Cliftonville-St Joseph’s FC (2-3 a.p.) : jusqu’au bout de la nuit chez les catholiques de West Belfast | OneFootball

Afin de compléter le triptyque nord-irlandais, il est absolument nécessaire de parler du bastion catholique républicain de Belfast, le Cliftonville FC. Affrontant le St Joseph’s FC de Gibraltar lors du premier tour de barrages de Conférence League, les pensionnaires de Solitude ont passé une soirée bien plus mouvementée que prévue…

Pas à pas à travers Falls Road, Gaelltacht, Ardoyne et New Lodge, quartiers acquis à la cause de l’Eire, la culture du stick est plutôt parlante et explicite. Ici deux entités d’un rang différent tapissent les rues, le Celtic Glasgow, évidemment, porte-étendard de la cause catholique dans toute l’Europe, ayant remporté la Ligue des champions en 1967 à Lisbonne, ainsi que les Reds de Solitude, fiers héritiers de la tradition entamée par le Belfast Celtic.

Mural représentant le logo du Cliftonville FC, Ardoyne, Belfast.

Street Art, Checkpoint et briques rouges

L’alliance entre les deux entités est évidente, des fresques la célèbrent au coin de certaines rues. Porte-étendards de West Belfast, les Reds sont actifs à partir de 1879. Le club le plus ancien de toute l’île a la particularité de n’avoir connu aucune relégation.

L’armoire à trophées des pensionnaires de Solitude est par conséquent plutôt garnie, avec cinq championnats nationaux et neufs coupes d’Irlande du Nord (dont la dernière glanée l’an dernier contre Linfield au Windsor Park, dans une ambiance volcanique). Sept Coupes de la Ligue viennent s’ajouter au total, portant le nombre de titres à 49 en comptant d’autres trophées plus méconnus.

Rivaux de Glentoran et de Linfield, le derby local de North Belfast se joue surtout contre Crusaders, club plus confidentiel mais tout de même important à l’échelle nationale (6 titres de champions d’Irlande du Nord).

Bien sûr, comme souvent en Irlande du Nord, le Cliftonville FC a une portée qui dépasse largement le football, dernier représentant des Catholiques dans la Northern Ireland Football League, les Reds se doivent de performer au nom d’une minorité à l’origine devenue majoritaire démographiquement en 2021.

Mural de la Red Army, situé en face de Solitude.

Pour parvenir à Solitude, situé sur les hauteurs de la ville, il faut traverser Shankill et Ardoyne. Le premier exhibant à chaque coin de rue des symboles unionistes et protestants, avec des fresques représentant des hommes lourdement armés étant tombés dans les ruelles sombres de Belfast en pourchassant des Catholiques, le tout dans une atmosphère sordide et ultra hostile.

Le second est diamétralement opposé à Shankill, les deux places fortes rivales sont séparées par des Peace Walls, dont il faut franchir un checkpoint pour pouvoir passer outre (une franchise Lidl des plus avisées s’étant placée à l’endroit exact du checkpoint, maximisant ainsi sa clientèle).

À Ardoyne, les rues sont bordées de rangées de maisons de briques rouges, comme à Shankill, c’est plus ou moins le seul point commun entre les deux. Un premier pub indique que l’ambiance a drastiquement changé en quelques mètres. Tout de vert flanqué, ce dernier affiche une voiture de police en feu, un drapeau Palestinien ainsi que la mention « The Shamrock Supports KNEECAP » du nom du collectif musical de West Belfast, connu notamment pour son hit « Get the Brits Out », plutôt explicite.

Pub aux couleurs de KNEECAP, Ardoyne, Belfast.

Mural républicain, Ardoyne, Belfast.

Le Kneecap étant une pratique purement issue de l’IRA (Irish Republican Army, organisation paramilitaire catholique républicaine luttant contre les milices protestantes) afin de punir les belliqueux d’une balle dans le genou, un brin brutale cela dit. Un festival de Street Art représentant des figures de l’IRA ou des grévistes de la faim décédés pour la cause irlandaise colorent le quartier. Le sang orange, blanc et vert surgissant des tombes respectives pour rappeler aux plus jeunes que certains ont payé le prix de leur vie pour un combat loin d’être fini, via des messages muraux très parlants.

Ardoyne, un quartier sinistré

Ici, les murs parlent plus qu’ils n’écoutent, et dispensent d’une visite dans un musée spécialisé. Les hommages muraux s’enchaînent, les styles sont différents, le mouvement artistique est absolument magnifique, mais le quartier est meurtri. Tant de ses enfants ayant trépassés dans un conflit sans fin, les genoux à terre pour un drapeau, une religion et une identité à protéger. Les messages sont aussi poignants qu’émouvants, la jeunesse de certains martyrs glace le sang, et les récits du contexte des meurtres coupent le souffle.

Les émotions sont omniprésentes dans cet environnement sinistré, dont le torrent de larmes versées s’évapore et s’abat de nouveau assez régulièrement sur les tuiles et le bitume. Une façon poétique de dire qu’il pleut beaucoup pour un mois de juillet à Belfast.

Les visages même joyeux des trentenaires et plus ne réussissent pas à cacher le traumatisme, tous ont connu un père, un ami, un oncle, un frère tombé au combat, dans des ruelles infâmes que le sang semble presque laver.

« Our revenge will be the laughter of our children », Bobby Sands.

Une fresque en particulier attire l’attention, un visage enfantin au regard innocent veille sur une poignée de maisons depuis son mur attitré, honorant une âme montée au ciel trop tôt, et qui intime aux siens de ne jamais plier face à l’ennemi, quoi qu’il en coûte.

On imagine aisément des messages similaires dans le camp opposé, conditionnant les plus jeunes à cultiver une haine mutuelle que rien ne semble altérer à Belfast.

Mural en l’honneur d’un enfant victime des troubles, Ardoyne, Belfast.

Mural Républicain Irlandais, Ardoyne, Belfast.

Rouille, toiles d’araignées, Solitude, un stade loin des standards modernisés

Une  première fresque en l’honneur de « Joe The GoalKeeper » introduit Cliftonville à l’enchevêtrement de prouesses murales, suivi de deux autres fresques mettant en exergue le logo ainsi que quelques joueurs légendaire quelques rues plus loin.

Les spotlights de Solitude surplombent les environs, et la tribune principale du stade, toute de taule rouillée vêtue est cachée derrière les maisons des locaux. L’entrée du stade se fait dans une ruelle, au contact de l’arrière cour jonchée de poubelles de chaque rue. L’authenticité de l’antre est frappante, le charme couplé au voyage spatio-temporel que la tribune permet est sensationnel.

Mural en l’honneur de Joe The Goal, Ardoyne, Belfast.

Les toilettes de la Main Stand sont très rudimentaires et se sont mués avec le temps en royaume pour les petites araignées présentes, l’odeur de bois rappelant que malgré des airs moyenâgeux, l’endroit conserve une certaine propreté. Cependant, pas sûr que le référent UEFA n’ai eu connaissance de ce lieu extrêmement primitif.

Le terrain synthétique est entouré de trois tribunes, pouvant accueillir jusqu’à 8 000 âmes dans ses travées. La rencontre du jour oppose les Reds aux représentants de Gibraltar en qualifications de Conférence League, le St Joseph’s FC.

Les deux adversaires s’étant quittés sur un 2-2 à l’aller, rendant le suspense total pour ce match retour. Le stade se remplit peu à peu, et l’échauffement débute. En raison des réglementations de l’UEFA, une partie du stade est fermée, ce qui n’empêche pas les locaux de lancer la cérémonie avec de premiers chants très sonores.

Toilettes de Solitude, royaume des araignées

Un tableau d’affichage rudimentaire

Un match qui prend une mauvaise tournure, avant d’être relancé

Le stade est plein à craquer, et la rencontre débute. Dès la première action, la charnière centrale des locaux se fait piéger par un Pablo Rodriguez en renard des surfaces. Le parcage visiteurs brille par son absence, et la climatisation est totale. Le début de match est cauchemardesque, les locaux sont médusés.

La déflagration sonore est instantanée en tribune, la joie jaillit des entrailles de ceux qui se voyaient déjà éliminés après une grossière erreur de début de match, et des hurlements revanchards résonnent dans tout le quartier. Tout est à nouveau possible, Cliftonville 1-1 St Joseph’s FC.

La qualité footballistique des deux équipes est relative, mais quelques beaux enchaînements viennent régaler le public local de nouveau aux aguets de la moindre action des leurs. Quelques tacles musclés ponctuent les débats, et les jaunes pleuvent sur Solitude.

Tacle assassin, retourné acrobatique et climatisation

La mi-temps vient vider le champ de bataille. Après une courte trêve, tout redémarre. À l’heure de jeu, un vent de stupeur vient s’abattre sur l’antre des Reds, l’enfant du club Odhran Casey vient de commettre une énorme faute sur l’un des attaquants adverse, et l’arbitre s’approche de lui l’air sévère. Le second jaune est sorti, symbole d’expulsion, le public fustige cette décision, mais la sentence est irrévocable.

Un carton rouge contesté …

Le jeu se poursuit, mais poussé par un public déchaîné, Cliftonville continue d’attaquer. D’un coup, Solitude explose. D’un retourné acrobatique autoritaire, Joe Gormley, ayant grandi dans le quartier, représentant à 35 ans parfaitement toutes les valeurs d’un club pour lequel il a mouillé son maillot durant douze saisons, vient abattre les doutes quant à l’issue de la rencontre.

Les locaux sont en furie, le stade entre en fusion, et les chants émanant des entrailles de la tribune principale sont repris à l’unisson, résonnant maintenant dans tout Belfast. D’une seule voix, les Reds intiment à leurs représentants depuis le gazon synthétique de maintenir la cadence. Le tout en créant des limbs absolument extraordinaires.

Sur l’action suivante, le capitaine et vétéran du St Joseph’s FC, Juan Manuel Gonzalez Perez, vient punir les locaux d’une frappe puissante qui trompe complètement Lewis Ridd, le très jeune portier local. La climatisation est totale, mais les Reds ne se laissent pas abattre. 2-2.

Redoublant d’efforts, les hommes de Jim Magilton, même en infériorité numérique, parviennent à maintenir la pression sur les cages adverses, tout de même bien gardées par un vaillant Bradley Banda, attentif sur chaque tentative. Conscients que la prolongation sera probablement fatale, les tribunes tremblent et bouillonnent au rythme des chants, et les joueurs répondent positivement à l’appel, en se surpassant pour apporter du danger devant la surface adverse.

Les minutes défilent, une occasion presque enfantine à convertir est manquée par les visiteurs, et au rythme des changements, des doutes émergent.

À la dernière seconde, un contre flamboyant pour Cliftonville progresse, et dans la clameur collective, le jeune Conor Falls bat le portier adverse, mais sa tentative échoue sur le poteau des Blues de Gibraltar.

Le temps réglementaire est écoulé, place à la prolongation.

Dernière action du temps règlementaire

Jusqu’au bout de la nuit, ou presque

Après quelques changements, les vingt-deux acteurs se positionnent sur la pelouse. Et comme au début du match, les visiteurs frappent fort d’entrée. Le Suédois Hugo Jesslen vient finir d’achever des Reds déjà exténués. Le ciel tombe sur la tête des supporters de Cliftonville.

2-3.

La nuit tombe et emporte avec elle les derniers espoirs des catholiques de Belfast quant à leur participation à la Coupe sans oreilles la saison prochaine. Et malgré des déboulés ambitieux, le sort des locaux semble scellé.

Après une dernière mi-temps, les Reds utilisent leurs ultimes forces dans la bataille, mais buttent sur un portier adverse des grands soirs. Les tirs au but semblent inaccessibles, mais à la dernière seconde, dans un regain d’énergie final, les coéquipiers de Jonathan Addis se procurent une dernière chance. Cette fois-ci, c’est sauvé sur la ligne par un défenseur des Blues.

Au bout des prolongations, le suspense est total et tous les joueurs sont debout, surplombés par la « tribune presse ».

Les derniers espoirs de qualification s’envolent avec les mouettes du Shipyard, arrivées curieuses mais reparties bredouilles. La désillusion est immense et la déception colossale, mais après une campagne de Coupe nationale couronnée de succès l’an passé, les locaux ne perdent pas le sourire, et ce rendez-vous juilletiste n’a que préparé la clameur des fidèles fervents du bastion catholique de Belfast pour le prochain exercice.

Jusqu’au bout de la nuit, les spectaculaires Reds de Belfast n’auront rien lâché, et c’est le plus important, l’état d’esprit étant toujours calqué sur les valeurs inaltérables du Cliftonville FC.

Hommage aux six martyrs de New Lodge, Belfast.

Mural Républicain Irlandais, Ardoyne, Belfast.

Mural républicain et Antifa, Falls Road, Belfast.