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·16 de enero de 2025
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À 19 ans, Eliesse Ben Seghir est considéré comme l’un des plus grands talents du football européen. Représentant de la nouvelle génération, le milieu offensif de l’AS Monaco fait (déjà) preuve d’une certaine maturité. Épatant en Ligue 1 et en Ligue des Champions, l’international marocain sait ce qu’il veut : représenter fièrement son père décédé. Pour la première véritable interview de sa carrière, le gamin de Cogoli, dans le Var, a choisi Onze Mondial pour s’ouvrir au grand public. Entretien rempli de simplicité et d’humour.
Voici quelques extraits de notre interview de Eliesse Ben Seghir. L’intégralité de cet interview de 12 pages est à retrouver dans le magazine n°368 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 6 décembre 2024.
A comme AS Monaco
Mon entame de carrière à l’AS Monaco, je la juge plutôt bonne, même si j’ai été freiné par les blessures. Elles m’ont empêché de progresser rapidement. Sinon, mes débuts sont réussis. J'ai pu montrer de quoi j'étais capable. Les gens me connaissent maintenant, il faut désormais montrer que je suis un joueur régulier. Comme tu dis, j’ai un statut de « talent du club », mais je ne prête pas forcément attention à ce genre de choses. Je suis uniquement focalisé sur mon jeu. Tout ce qui peut se dire sur moi, je ne calcule pas. Je joue libéré, j’essaie d’être le plus performant possible, d’aider l’équipe, de marquer des buts, de faire des passes décisives et de donner du plaisir aux gens. Le reste viendra tout seul. Je me souviens bien entendu de mon premier match en Ligue 1, j’entre en cours de jeu contre l’AJ Auxerre et j’inscris un doublé. C’est un moment inoubliable. De tels débuts, ça ne s’oublie pas. J’y repense souvent, les vidéos tournent en boucle sur les réseaux sociaux, ça me fait toujours sourire. C’est bien, mais il faut passer à autre chose. Après chaque match, je suis concentré sur le suivant. Cette saison, pourquoi ne pas remporter le titre ? On a une très belle équipe, une profondeur de banc exceptionnelle. Une équipe jeune aussi. On s'entend tous très bien. On va essayer de faire de grandes choses.
B comme But
Je ne pense pas constamment au but. Je ne suis pas ce style de joueur. Si je peux aider l'équipe sans marquer, ni faire de passes décisives, je prends aussi. Je suis plus axé sur la performance dans le jeu. Pour le reste, quand tu es bon, ça vient tout seul. Dans l’équipe, on a des joueurs qui sont attirés par le but. C’est ces joueurs-là qu’on essaie d’aider à mettre des buts. Me concernant, je suis plus intéressé par le jeu, mais évidemment, je peux marquer et faire des passes décisives. Terminer un match sans trouver le chemin des filets ne m’empêche pas de dormir le soir. C’est toujours bien de marquer, tu as toujours envie d’aller célébrer avec les supporters, c’est un kiff, mais je ne suis pas obnubilé par ça. Il faut peut-être que je change ma vision de la chose et devenir plus tueur, plus décisif. Je sais que, maintenant, on définit un grand joueur par ses statistiques. Il faut que j’ajoute ça à ma palette. Je travaille sur cet aspect, car je sais que les buts et les passes décisifs, c’est souvent ce qu’on retient à la fin.
C comme Cogolinois
(Sourire) Le SC Cogolinois, c’est mon premier club. J’en garde pleins de bons souvenirs. Toutes mes années avec mes collègues, tous mes matchs joués là-bas. C’était uniquement du kiff. C’est là où j’ai pris le plus de plaisir, là où j’ai commencé vraiment à aimer le foot. Quand tu joues avec tes potes, à n'importe quelle heure, tu vas à l'entraînement, tu mets le maillot de Manchester United, du Baça, du Real, du Bayern, tu mets n'importe quel maillot. Franchement, ce sont les meilleurs moments. Au début, je pense que j’étais un joueur normal, je savais que j'avais du talent, mais je n'en ai pas pris conscience. Je l’ai compris plus tard. J’ai commencé à aller au stade à Cogolin avec mon grand frère. Quand il partait jouer, j’allais toujours le voir, et je prenais un sac avec des habits de foot. Car son entraîneur m’aimait beaucoup, du coup, je grattais pour jouer avec eux. Et le coach me rajoutait sur le banc, il me faisait entrer en jeu. J’ai vite progressé grâce à ça, car je jouais avec les plus grands. Ils avaient deux ans de plus que moi.
D comme Dossier
Oui, tout le monde le sait maintenant, mon ancien compte Instagram a refait surface, des vidéos et des photos marrantes sont ressorties. Tout ça ne m’a pas dérangé, ça m’a fait rire parce qu’en soi, c’est juste moi. Ce n’est rien de méchant, ça me représente vraiment. J'étais un petit qui aimait beaucoup rigoler avec les autres, j’aimais charrier, me taper des délires. Ça montre aussi comment j'étais quand j'étais petit. Ce n’est pas un problème, ça me fait rire. J’aurais pu désactiver ce compte, personne n’aurait pu voir tout ça, mais seul problème, j’ai oublié les codes (rires). Je ne peux plus rien faire. Du coup, ouais, j’aimais bien faire des dabs. À l’époque, c’était à la mode grâce à Paul Pogba. Et pour le premier voyage de ma vie, on a été en Espagne, à Barcelone. J’étais trop content. Je faisais n'importe quoi là-bas. On a visité le Camp Nou, le centre d’entraînement, et je me suis mis devant, je faisais des dabs pendant que mon frère me filmait. Quand c’est ressorti sur les réseaux, ça a fait le buzz, mais je ne l’ai pas mal pris. Je l’ai bien vécu, je me suis fait charrier par mes potes, c’est bon enfant. Dans le vestiaire, ils se sont tous moqués de moi, mais c’est normal. On a bien rigolé.
E comme Exemple
Dans le foot, mon exemple, je dirais Neymar. J'aime beaucoup sa liberté, son style de jeu. Tous les jeunes aiment Neymar, se retrouvent en lui. C’est l’idole de pas mal de jeunes. Il y a aussi Messi. Ce qu’il fait sur un terrain, c’est incroyable. Il a cette faculté de pouvoir éliminer toute une équipe et d'aller marquer un but pour faire gagner les siens. Ce n’est pas donné à tout le monde. J’ai toujours apprécié Ousmane Dembélé également, par sa façon de penser. Il ne se prend pas la tête, il prend du plaisir. J’aime cette mentalité. En dehors du foot, j’ai toujours pris comme exemple mon grand frère. C’est grâce à lui que je me suis mis au foot, en suivant ses pas, en allant souvent le voir jouer. J’assistais même à ses détections lorsqu’il allait à Nice. C'est ce qui m'a aussi motivé à atteindre mon rêve.
F comme Fréjus
Mon coach de Cogolin, Damien Fresia, a rejoint Fréjus, du coup, il m’a amené avec lui. J'y ai passé deux belles années qui m'ont aussi permis de me développer, de participer à de beaux tournois, de voir le monde extérieur. Car à Cogolin, j’étais un peu renfermé, le niveau était limité au département. À Fréjus, tu es plus ouvert sur la France. Je me souviens d’un moment difficile, où j’ai été envoyé en équipe 2. Je l’avais mal vécu. Et on avait fait un match entre l’équipe 1 et l’équipe 2. J’avais joué avec l’équipe 2, j’avais marqué et on avait gagné. J’étais bien content de leur montrer que je n’avais rien à faire avec l’équipe 2 (rires).
G comme Gardien
Un gardien que j’ai trouvé vraiment fort ? Celui du RC Lens, Brice Samba, je le trouve très bon. On sent une vraie maturité dans son jeu, il met de la voix, il aide son équipe. Il a de bons réflexes, il fait de beaux arrêts. Quand un gardien te met en échec, il ne faut pas paniquer, car c’est un duel à long terme, sur tout le match. Ce n'est pas parce qu'il remporte le premier duel qu'il va remporter les autres. Ça nous aide aussi à le connaître, s'il remporte le premier duel, on comprend comment il est. Par exemple, s'il sort vite dans les pieds ou s'il a un côté préférentiel. On fait aussi un travail de vidéo en amont, ça aide à marquer un but sur la situation suivante. Personnellement, je ne suis pas axé sur la vidéo, je préfère jouer au feeling. La vidéo d’un match ne reflète pas forcément le match qui va suivre. Il faut aussi faire confiance aux sensations qu’on a sur le terrain, à l’instant T.
H comme Habitudes
Avant chaque match, j’appelle mon frère, on discute, on rigole en Facetime. J’appelle ma mère aussi et mes collèges de Cogolin. Ils vont me faire rigoler, me détendre, même si je ne suis pas forcément quelqu'un qui ressent la pression. Mais c'est ma petite habitude, je parle avec eux. Sinon, j’écoute du rap, dans le vestiaire, on met de la musique entre jeunes. On utilise l’enceinte, on a pris le monopole. En ce moment, on écoute le nouvel album en commun de Ninho et Niska. Sinon, on met du SDM, du MHD, un peu de tout.
I comme Immobilier
À l’époque, j’avais dit : « Si je ne deviens footballeur, je veux travailler dans l’immobilier ». Quel type d’agent immobilier aurais-je été ? Un petit malin (rires). En réalité, j’avais dit ça, mais sans vraiment réfléchir. Aujourd’hui, je ne me vois pas faire agent immobilier. Je n’aime que le foot. En dehors du foot, j’aime les sports de combat : le MMA et la boxe. J’aime beaucoup le combattant de l’UFC, Max Holloway, et le boxeur, Gervonta Davis. J’aime ces mecs qui ont des histoires bien particulières. Par exemple, Gervonta Davis vient de Baltimore, un endroit compliqué. Je regardais un reportage sur lui. Son coach racontait que lorsqu’il était jeune, il était prêt à dormir devant le gymnase pour être à l'heure à l'entraînement et s'entraîner. Et aujourd'hui, c'est l'un des meilleurs. Une vraie mentalité de gagnant, de guerrier.
J comme Jeunesse
J’ai connu une enfance assez ordinaire, malgré un événement tragique. Assez jeune… (il coupe) Je sais que je ne suis pas le seul jeune dans cette situation, mais j’ai perdu mon père à l’âge de 14 ans. Ce drame, j’en ai fait une force, c’est ce qui m'a permis d'aller de l'avant et d'aujourd'hui, d'être là où je suis. Je n’oublierai jamais les fois où mon père partait du travail plus tôt, quitte à ne pas être payé, pour pouvoir me ramener à l'entraînement. Ça m’a forgé une bonne mentalité, j’ai compris que mes parents faisaient beaucoup pour moi, je ne voulais pas les décevoir. Je voulais juste aller de l’avant et devenir le meilleur possible.
K comme Kiff
Moi, ce que je kiffe, c'est sortir avec mes collègues. Je retourne souvent à Cogolin pour voir mes amis, me poser avec eux ou aller boire un verre. À l’époque, j’aimais aussi jouer au city avec eux. J’aime rigoler, jouer à la play, aller au cinéma. En ce moment, je regarde Prison Break, j’ai un peu de retard, mais j’aime beaucoup. J’aime trop Michael Scofield, car il prend pleins de risques pour sauver son frère. J’aime bien son intelligence, il a toujours prévu un plan A, un plan B et un plan C.
L comme Ligue des Champions
J’ai découvert la Ligue des Champions cette année, c’est un rêve devenu réalité. Tous les amoureux de football qui ont regardé cette compétition à la télé ont tous rêvé d’y participer, d’entendre la musique au moment de l’entrée des joueurs, c’est incroyable. Et maintenant qu’on y est, il faut tout faire pour y rester, pour être le plus performant possible. C’est le summum du football à l’échelle européenne, tout le monde te voit, c'est la compétition la plus attendue. Donc c'est aussi une motivation supplémentaire. On a battu le Barça, c’est un souvenir, après la victoire, tout le monde m’a ressorti la vidéo où je fais des dabs devant le Camp Nou (rires). C’était un très beau moment, une grosse victoire. Mentalement, ça a fait du bien à tout le groupe. Et même pour l'ego de chacun, battre le Barça, c'est bien. On peut faire quelque chose dans cette compétition, même si c’est long et dur avec cette nouvelle formule. On possède l'équipe pour faire quelque chose. Entendre la petite musique, ça procure beaucoup d’émotions. Tu repenses aux années où tu étais devant la télé en train de supporter une équipe, en train d'écouter la musique. Parfois, je me mettais devant la télé, je chantais, je mettais la main sur mon torse comme si j’étais sur le terrain. Avant le match, tu repenses à tout ça, après, tu te mets en place et tu te concentres sur le match.
M comme Maroc
C’est vrai, beaucoup disent que j’ai choisi le Maroc trop tôt. Beaucoup me le sortent, mais pour moi, il n'y a pas de timing parfait. Quand tu veux quelque chose, tu dois y aller, tu dois foncer. Et tu ne dois pas faire attention à ce qui se dit sur toi. Je voulais jouer pour le Maroc, donc pourquoi attendre de jouer avec l'équipe de France A alors que mon souhait est de jouer pour le Maroc ? Oui, mon choix intervient assez tôt dans ma carrière, j’en suis fier, et surtout, c’est parce que le sélectionneur, Walid Regragui, a fait appel à moi et m’a accordé une grande confiance. Je ne me suis jamais dit : « Il faut que j’aille tôt en sélection du Maroc », je me disais : « Il faut que j’aille en sélection quand on fera appel à moi », tout simplement. J’ai foncé avec fierté et j’essaie de donner le maximum. Évidemment, le parcours à la Coupe du Monde 2022 m’a aussi donné envie. Mais il n’y a pas que ça. Quand on voit ce que le Maroc fait pour le football, avec le nouveau centre d'entraînement, avec ce qu'ils ont mis en place pour encadrer le football marocain, c'est incroyable. La Coupe du Monde au Qatar, c’est un plus. Car le travail est mis en place depuis des années déjà. Et puis, quand tu vois les noms sur la liste, ce n’est pas négligeable non plus. On a un très bel effectif, une équipe très compétitive avec de grands joueurs. Quand j’étais petit, je n'allais pas très souvent au Maroc à cause du football et aussi parce que ma mère n’avait pas les moyens de payer les billets d’avion, mais j’ai vécu une éducation à la marocaine. Mes deux parents sont Marocains. J'avais souvent ma famille marocaine avec moi à la maison. C'est l'éducation qui a tout fait.
N comme Nouvelle Génération
Les joueurs de la nouvelle génération que j’aime bien ? Kenan Yıldız de la Juventus. Il y aussi Mathys Tel, Warren Zaïre-Emery, Kobbie Mainoo… tous ces jeunes qui n’ont pas peur. Pour moi, la nouvelle génération, c’est des jeunes qui savent ce qu'ils veulent, ils n'ont pas peur. Quand ils sont sur le terrain, ils sont entiers, ils sont vrais, ils essaient de donner le maximum d'eux, ils montrent leur talent. Ils n’ont pas froid aux yeux. Personnellement, je n’ai pas la pression, je n’ai pas froid aux yeux. Quand j’entre sur le terrain, c'est pour montrer mes qualités, montrer que je suis le meilleur et être le plus performant possible.
O comme Obstacles
Les plus grands obstacles de ma carrière, ce sont mes deux blessures de la saison passée. Ça a été difficile pour moi, parce que j’avais envie de vite progresser. Et quand tu vois les autres joueurs qui progressent, tu te sens freiné par ces blessures, tu ne peux pas rentrer sur le terrain et montrer de quoi tu es capable. J’ai inversé la tendance et pris cette période comme une force. Car j’en avais besoin, ça m'a permis de me remplir physiquement parce que j'étais assez frêle quand j'ai commencé en pro, à 17 ans. Donc j'ai utilisé ces moments difficiles pour m'endurcir et devenir encore meilleur. Évidemment, pendant cette période, je me suis posé plein de questions. Tu doutes un peu, tu rentres chez toi, tu vois les matchs, tu vois qu'ils ont gagné, tu n'es pas là, tu n'es pas dans les victoires, tu n'es pas dans les défaites. Tu te dis : « Ça commence à m'oublier, je ne suis pas là ». En plus, avec la puissance des réseaux, c'est encore plus difficile mentalement. Personnellement, ça ne m'atteint pas forcément, mais je sais que c'est difficile. Il faut aussi savoir que j'ai une très grande confiance en moi. Je savais que quand j'allais revenir, j'allais montrer de quoi j'étais capable pour revenir et m'imposer.
P comme Parents
Ma mère était femme de ménage, ensuite, elle a arrêté à cause de problèmes de santé. Mais elle a toujours été là pour mon frère et pour moi. Surtout quand on a perdu notre père parce que c'était un moment très difficile. Elle a su assumer alors qu'on n'était pas forcément des gens faciles à vivre, mon frère et moi. Elle nous a permis de garder la tête sur les épaules. Ma tante a joué un très grand rôle également, elle nous a élevés avec ma mère. Elles ont été là pour nous et ce sont elles qui ont fait notre éducation. Quand mon père est décédé d’un AVC, j’avais 14 ans. Avant, il travaillait sur les chantiers, Il était maçon. J'étais très proche de mon père. C'est quelque chose qui a été difficile pour moi. Mais c’est comme ça. De par ma croyance - je suis de confession musulmane -, je sais que c'est le destin Si Dieu l'a choisi, c'est que c'était la meilleure des choses. Il aurait kiffé me voir porter le maillot de la sélection du Maroc. Voilà mon plus grand regret. C’est qu’il ne peut pas voir et vivre tout ce qui m’arrive. Il ne m’a pas vu signer professionnel à l’AS Monaco. Il ne m’a pas vu effectuer mes débuts, il ne m’a pas vu évoluer en équipe nationale… J’aurais tellement aimé. De ce qu’on m’a dit, c’était un bon joueur. Il aimait beaucoup le foot. Je veux féliciter ma mère, ce n’est pas simple d’élever deux garçons toute seule. En plus, à ce moment-là, Salim était à Nice et moi, je partais à Monaco, donc elle s'est retrouvée seule. C’était encore plus difficile pour elle. Aujourd’hui, elle est contente de nous retrouver, de pouvoir venir nous voir.
Q comme Question
Si j’étais journaliste, quelle question je poserais à Eliesse Ben Seghir ? Je lui demanderais : « Pourquoi tu ne lâches pas le ballon plus vite parfois ? » (sourire). Je poserais cette question, car on me l’a reproché plusieurs fois. Et je répondrais : « Je me sens mieux quand le ballon est dans mes pieds, pas quand il est loin de moi et que je dois courir » (rires). Je sais que le jeu sans ballon est important, je pense avoir progressé à ce niveau. Mes coachs me demandent de multiplier les appels et ils ont raison. Je préfère avoir la balle dans les pieds, mais il faut aussi s'adapter. Certains matchs demandent de la profondeur, donc j'essaie de la prendre. En plus, j’ai une bonne qualité de vitesse, c’est pour ça que certains sont frustrés que je ne prenne pas la profondeur.
R comme Rue
Ma qualité technique vient du foot de rue. Quand tu joues dans la rue, le ballon fait des rebonds bizarres avec le bitume, les espaces sont réduits, tu dois savoir plus vite ce que tu fais. Tu as moins de temps, moins d'espace. Donc tes crochets doivent être plus précis. Tu dois tuer ton adversaire pour passer, sinon tu ne passeras pas, car c'est serré. Aujourd’hui, ça m’aide encore, au niveau de ma qualité d’élimination, dans les un contre un. Quand je me sens enfermé, ça m'aide à me sortir de là, à trouver des solutions. Ma meilleure anecdote, c’est quand on jouait contre les grands de Cogolin, ils sont très forts. On a toujours eu du mal à gagner, et lors d’un match, j’ai mis une virgule petit pont à un ancien, ça a été mal vécu (rires).
S comme Salim
On a une relation très fusionnelle. Ça n'a pas toujours été facile parce que petits, c'était la guerre entre nous. On allait jouer au foot et je n'ai pas peur de le dire, c'est lui le meilleur. Et moi, j'avais cette motivation de le battre. Quand je venais jouer, quand on faisait nos un contre un, c'était pour gagner. Lui, c'était pour s'amuser. Il voulait juste me dribbler. Moi, c'était pour gagner. Ces moments m’ont aussi fait progresser. On a toujours été fusionnels malgré la distance. Lui est parti tôt, moi je suis resté deux ans de plus à Cogolin. Lui est parti au centre de formation de l’OGC Nice, et moi, plus tard, à l’AS Monaco. Et quand je me suis rapproché de lui, il a signé à l’OM quelques mois après. Donc on a vécu un nouvel éloignement par la distance. Mais c'est comme ça, on essaie de se voir régulièrement. Quand il était blessé, il venait chez moi, il faisait ses soins chez moi. J’étais content de passer du temps avec lui. Je ne pense pas qu’il vive mal la situation actuelle. À Marseille, ça ne s’est pas passé comme prévu. Je parle beaucoup avec lui. Il sait de quoi il est capable. Il sait que c'est difficile. On n'a pas tous la carrière qu'on souhaite. C'est aussi une question de choix. Peut-être que Marseille, c'était plus compliqué pour faire jouer les jeunes. Moi, j'ai eu la chance d’évoluer dans un club qui fait confiance aux jeunes. J’ai donc pu progresser très rapidement. Salim sait que rien n'est fini. Il y a des joueurs qui ont percé bien plus tard que lui. Quand je vois la carrière de Riyad Mahrez, c’est aussi un exemple. C’est un joueur qui a percé tard et qui a réalisé une grande carrière. Je pense qu’il peut encore réussir, j’ai une entière confiance en lui. Quand ses pépins physiques vont partir, et quand il deviendra décisif, tout le monde sera conscient de son talent.
T comme Travail
La vérité, je n’étais pas un très grand travailleur. Je ne l'ai jamais été. Mais désormais, je fais du travail supplémentaire, car la blessure m’a appris qu’il fallait prendre soin de son corps, c’est notre outil de travail. J’ai un kiné perso qui vient à la maison quand j'en ai besoin. Il m’aide à récupérer, à faire des soins quand j’ai de petites douleurs. Je fais aussi attention au niveau de la nutrition et de mon sommeil. C’était un gros point chez moi, il fallait que j’améliore tout ça. Maintenant, je dors bien, je mange bien, je fais attention à moi. Pour faire une carrière et durer, c’est obligatoire, il n’y a pas le choix.
U comme U23
Les Jeux Olympiques avec le Maroc U23, c’était une expérience magnifique, c’était incroyable. Rien que le soutien du peuple lors de cette compétition, c'était quelque chose. En France, en plus, c'est encore plus incroyable. On n'était même pas chez nous. Mais on a réussi à obtenir une médaille, la médaille de bronze. C'est historique. On est aussi entré dans l'histoire du football marocain. On est très content, c’est une fierté. Je ne m’attendais pas à un tel engouement. J’ai vu la folie à la Coupe du Monde, mais je me disais : « C’est normal, c’est la Coupe du Monde, c’est les A, ils ont passé les poules ». Mais là, quand tu vois comment le peuple a soutenu l’équipe U23 ! Je n’arrivais même pas à y croire. Certains joueurs de notre équipe n’étaient pas forcément connus du grand public, pourtant les gens venaient crier leur nom. C’était magnifique, ça nous poussait à être encore meilleur.
V comme Vie
Ma vie de footballeur, je la trouve animée. Je ne cherche pas à en faire le moins possible. Je ne veux pas tomber dans une routine où je me réveille, entraînement, je rentre, je dors, je mange. J’essaie de bouger quand je peux, je prends la voiture, je vais voir des collègues, je me pose avec eux, on parle, on rigole, on joue aux cartes ou à la play, on va au cinéma. Quand on me reconnaît dans la rue, je n'ai pas forcément de difficultés avec ça. Je me mets à leur place. Si j’avais été à leur place, j'aurais voulu que la personne s'arrête et prenne une photo avec moi. Donc je prends des photos. Parfois, c'est long, mais c'est comme ça, ça fait partie du boulot. Je suis prêt à devenir encore plus connu, mais je sais qu’à un certain stade, ça devient vraiment difficile. Je me mets à la place de Kylian Mbappé ou d’autres, ça doit être dur à vivre. À l’avenir, je ne veux pas rentrer dans une routine, je veux garder ma liberté, c’est tout.
W comme Winner
Je n'aime pas perdre, que ce soit à l'entraînement, en match ou lors de petits jeux, je hais la défaite. Même si je fais un tennis-ballon avec quelqu’un pour rigoler, je veux gagner. Cette mentalité me vient de Cogolin, et dans ma ville, on est tous comme ça. Quand on jouait contre des autres équipes du quartier ou du département, on ne voulait qu’une chose : la victoire, même s'il y avait une très grosse rivalité. Quand on perdait, on pleurait, on s’insultait, on s’embrouillait, c’est comme ça… (sourire).
X comme X-factor
Le facteur X de ma carrière, même si c’est tragique, c’est le décès de mon père. C'est ce qui m'a fait réaliser que je devais le rendre fier et que je devais le faire pour lui aussi. Parce qu'il ne fallait pas être égoïste. Je savais que j'avais du talent. Je savais qu'il ne fallait pas que je le gâche. Lui, il avait tout fait pour que je puisse l'exprimer. Il m'emmenait à l'entraînement même si c'était dur. Donc, pour lui, je devais faire deux fois plus. Je devais honorer son nom. Jouer avec son nom derrière le maillot, c'est quelque chose de fou. Et c'est quelque chose qui m'apaise aussi de me dire que je le rends fier.
Y comme Yin et Yang
Les forces opposées et complémentaires de Ben Seghir ? Le bon côté, c'est que je suis quelqu'un qui ne me prend pas la tête, qui rigole beaucoup. Et le mauvais côté, je suis quelqu'un qui est aussi assez nerveux, parfois impulsif. J’essaie de me stabiliser et de régler ça, notamment avec l’aide de la psy à l’AS Monaco. À la suite d’un carton rouge la saison dernière, les dirigeants m’ont demandé de voir la psy. Moi, je n'aime pas forcément les joueurs qui se donnent un rôle de méchant sur le terrain. Alors qu’en dehors du terrain, ce ne sont pas des méchants. Du coup, j’ai mis un mauvais coup à un joueur et j’ai pris un carton rouge. La psy me dit qu’il faut que je me canalise. Elle me dit : « Si tu as fait ça, c’est pour une raison, il faut trouver les raisons ». Elle me dit aussi que si les gens me font des fautes, me mettent des coups ou me provoquent, c’est parce qu’ils n’arrivent pas à me prendre le ballon, et donc qu’ils sont frustrés. Car il est vrai que je m’énervais souvent pour ça, du coup, elle me dit de me mettre ça en tête pour que ça ne se reproduise plus.
Z comme Zoom
Je peux parler du sujet de mon choix là ? J’ai un message à faire passer (rires). Il faut venir voir ce que je fais aux entraînements, car ils ne sont pas trop filmés. Récemment, par exemple, on a vu des retournés de Mbappé aux entraînements, car c’est filmé. Moi, tout ce que je fais aux entraînements, c’est du gâchis, personne ne peut le voir (rires). Je mets des petits ponts, je fais de beaux dribbles et ça passe inaperçu. J’aimerais bien qu’on mette une caméra isolée sur moi aux entraînements (il éclate de rire).
La phrase qui représente Eliesse Ben Seghir
On m'a déjà dit : « Libère ton esprit pour libérer tes pieds ». Parce que quand tu penses trop souvent à des choses externes au football, tes pieds ne suivent pas. Donc, si tu as l'esprit libéré, tu es plus performant sur le terrain et tu joues avec plus de simplicité.
La note de Eliesse Ben Seghir pour son interview
Je me mets 9 sur 10, je me suis trouvé bon (sourire).
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