Derniers Défenseurs
·3 juin 2021
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·3 juin 2021
Connaissez-vous le point commun entre Cengiz Under et Çağlar Söyüncü ? Un effort… ça va vous venir… oui ils sont turcs et coéquipiers à Leicester. Mais ce n’est pas là que je veux vous emmener aujourd’hui. Les deux joueurs, internationaux depuis les catégories U18, ont la particularité d’avoir été formés dans le même club. Non, il ne s’agit pas de Fenerbahçe, Galatasaray ou encore de Besiktas, les trois cadors stambouliotes, mais bien du club d’Altınordu en deuxième division turque. Depuis quelques années, le club commence à être reconnu sur la scène internationale pour ses qualités en matière de formation de joueurs. Arrêtons nous aujourd’hui sur les bords de la mer Egée, dans la province d’Izmir, pour partir à la découverte de cette institution surprenante.
Le Altınordu Futbol Kulübü (Club de Football d’Altınordu) évolue aujourd’hui en deuxième division turque, mais détrompez vous, nous parlons ici d’une véritable institution du football en Turquie. Le club a déjà évolué dans l’élite du football national à deux périodes différentes (entre 1959 et 1965 et entre 1966 et 1970) en terminant à la huitième place lors de l’exercice 1961-62. Il est fondé le 26 décembre 1923, quelques temps après la proclamation de la République en Turquie. En français, on pourrait traduire “Altınordu” par “L’armée dorée”. Ses couleurs sont le rouge et le bleu. Le club est fondé à Izmir, troisième ville de Turquie, par des habitants des quartiers de Basmane-Tilkilik-Namazgâh qui avaient remarqué l’absence d’institutions sportives près de chez eux. Après avoir obtenu les autorisations nécessaires et consulté les personnes qu’il fallait, ils se mirent à la recherche du nom de leur futur club de sport. Des débats houleux ont lieu, on cherche un nom qui rappelle la victoire lors de la guerre d’indépendance qui vient de s’achever (nous sommes en 1923). Finalement, tous se mettent d’accord pour “Altınordu”, nom de l’Empire mogol (qui sont des ancêtres des turcs) fondé par Gengis Khan en 1227. Ce nom glorieux rappelle ainsi la rage de vaincre qui anime le club. L’équipe évolue désormais en deuxième division turque.
Ce qui fait la particularité de ce club réside en des principes très forts transmis à leurs joueurs dès le plus jeune âge. A Altınordu, on ne devient pas simplement un bon footballeur, on devient un homme respectueux avec des valeurs de fair-play, d’humilité et de respect. Le club a toujours eu cette volonté de faire des ses joueurs de bon citoyens qui ont la capacité de rebondir rapidement pour trouver un autre travail en cas d’échec dans le domaine du football. Pour les plus jeunes catégories du club, l’aspect éducatif est très présent, avec une grande importance donnée aux valeurs humaines et à l’humilité.
Les jeunes sont par exemple très souvent amenés à planter eux-mêmes les fruits et légumes que les cuisiniers du club leur prépareront par la suite. Placé sous le signe de l’humilité et avec l’idée de “garder les pieds sur terre”, ce genre de pratiques fait la fierté et la renommée du club. De nombreuses pratiques extra-football sont également proposées, comme les échecs ou encore le judo comme vous pouvez le voir dans ce reportage.
Ces dernières années, le club d’Izmir a continué son développement en ouvrant de nouvelles écoles de football dans le pays. Le club compte actuellement 141 écoles en Turquie et y forme 11 000 élèves. Ces élèves constituent un vivier extraordinaire pour le centre de formation du club. Selon Köksal Ferizcan, directeur du réseau d’écoles du club, la quasi-totalité des jeunes qui intègrent le centre de formation sont issus de ces mêmes écoles. Il ajoute fièrement : “Avec des écoles dans plus de 134 emplacements dans le pays, nous sommes la plus grosse organisation footballistique en Turquie. Il faut voir Altınordu comme un club pyramidal, avec à sa base nos 141 écoles formatrices où 11 000 de nos enfants se voient enseigner la pratique du football. Ils sont notre avenir et porteront plus tard le maillot d’Altınordu avec fierté.” Il conclut en ajoutant : “nous espérons augmenter le nombre de nos écoles à 150 à la fin de la crise sanitaire”.
La plus grosse particularité du club réside dans le fait que 100% des joueurs qui y évoluent sont turcs. Altınordu adopte une politique stricte dans ce sens. La logique n’est absolument pas d’exclure les autres et d’être un club fermé, mais plutôt de donner leur chance aux jeunes talents turcs, dans un pays où l’on n’est que très peu patient avec les footballeurs inexpérimentés. La mission que s’est donnée le club est de permettre aux jeunes de la région de faire du sport en préparant les plus talentueux d’entre eux à une future carrière de footballeur professionnel.
Selon Ferizcan, chaque enfant a le droit de faire du sport dans de bonnes conditions. “C’est d’abord pour cela que nous ouvrons des écoles”, explique-t-il. “Nous sommes très attentifs au fait que les standards de qualité soient maintenus dans chacun de nos établissements. Nos entraîneurs ont tous une grande expérience et sont reconnus pour leur qualité sur la scène nationale. Ces critères sont pour nous une priorité absolue. Il est important que chacune de nos structures soit digne du club et de ses exigences. Nous maintenons de hauts standards en matière d’éducation et nous ne voyons certainement pas nos jeunes comme une source de revenus pour le club, mais plutôt comme un notre avenir ” martèle Köksal Ferizcan.
L’adaptation à la crise sanitaire a été compliquée pour le club et les jeunes, mais la recette a finalement pris pour tout le monde. “Durant la pandémie, nous avons récolté les fruits de notre travail relationnel passé” explique Cenge Ateş, directeur technique adjoint du réseau d’écoles d’Altınordu. “Tous nos entraîneurs passent par une étape de formation à propos des valeurs du club et de quelques enseignements tactiques et théoriques lors de leur recrutement. Des cours de communication et d’utilisation des réseaux sociaux sont également donnés à nos entraîneurs des écoles ainsi qu’à ceux du centre de formation. Pour la période de pandémie, nous avons mis en place un système éducatif basé sur des formations par vidéo. Nous avons ainsi édité des programmes vidéos d’une longueur de deux mois chacun, et ce, pour quatre tranches d’âges différentes de 5 à 13 ans. En donnant des cours vidéos sur les règles du foot, la psychologie, la communication et les réseaux sociaux, nous espérons avoir aidé nos enfants à traverser cette période difficile”, raconte-t-il fièrement.
Sur toute son histoire, le club a formé certains des plus grands talents turcs. Récemment, impossible de passer à côté de la sensation Çağlar Söyüncü qui fait maintenant partie des défenseurs centraux les plus reconnus de Premier League en brillant avec Leicester City à seulement 25 ans. Il ne faut pas non plus oublier de parler de Cengiz Ünder, son coéquipier en club qui est un peu moins en vue cette saison pour cause de blessures à répétition. Il reste néanmoins un redoutable joueur de couloir avec son pied gauche très difficile à défendre.
Pour ce qui est de l’avenir, les plus grands clubs européens s’arrachent déjà trois talents très prometteurs, à savoir Ravil Tagir, jeune défenseur central de 18 ans, Burak Ince, milieu de terrain de 17 ans et enfin Enis Destan, talentueux attaquant de seulement 18 ans. Suivi par plusieurs clubs de Bundesliga, Destan a marqué 11 buts et délivrés 5 passes décisives cette saison. Le club espère le vendre entre 5 et 10 millions d’euros, probablement cet été. Pour ce qui est d’Ince, il aura le temps de démontrer une saison de plus tout son talent en Turquie, puisqu’il vient seulement d’avoir 17 ans (en janvier dernier).
Dans un pays qui regorge de talents mais qui est incapable de bien les mettre en avant (et de bien les vendre), le club d’Altınordu fait le plus grand bien. Construit sur une philosophie que l’on pourrait comparer à celle de L’Athletic Club Bilbao en Espagne ou encore à celle du Chivas au Mexique, le club fait figure d’exception en Turquie. Altınordu est en train de devenir la locomotive du football turc, les grands clubs d’Istanbul commençant enfin à comprendre l’importance de la formation, ils investissent de plus en plus de ce côté. La SüperLig pourrait être d’un tout autre niveau, tant le vivier national est riche. Il suffirait que les clubs choissent des modèles économiques différents, plus viables sur le long terme.
Crédits photos : Altinordu / Getty Images