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·25 novembre 2021

Australie – l’épitome du football communautaire

Image de l'article :Australie – l’épitome du football communautaire

De Doug Utješenovi à Tom Rogic et Alex Gersbach en passant par Mile Jedinak, Mark Viduka, Tony Popovic et Ange Postecoglou, les symboles du football australien ont rarement un nom d’origine anglo-saxonne. Paradoxal quand on sait que l’Australie fut colonisée par l’Empire anglais en 1788, le pays qui a inventé le sport. L’immigration autre qu’anglo-saxonne a en effet joué un rôle-clé, positif et négatif, dans le développement de notre sport préféré sur les terres aborigènes.

Les Anglo-Saxons, anti-Football

Colonie anglaise depuis la fin du XVIIIe siècle, l’Australie n’a jamais été terre de football. Le sport le plus pratiqué au monde a été ralenti dans sa progression sur l’île-continent, d’abord par les colons anglais. Une sorte de classisme xénophobe s’en est suivi, les plus riches regardant de haut un sport pratiqué surtout par des immigrés de classes populaires. Tout comme aux Etats-Unis, les institutions en Australie ont toujours favorisé d’autres sports plutôt que le ballon rond. Le développement de notre sport est principalement dû à la vague des migrants d’après-guerre : Hongrois, Croates, Grecs, Israéliens, Italiens, Espagnols… ces nouveaux venus ont changé la société, et le football, au pays des kangourous.


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Si l’Australie fut d’abord une « colonie pénale », une gigantesque prison, elle fut rapidement convoitée par les classes moyennes et supérieures anglaise comme un nouvel eldorado, quelques années après l’indépendance américaine. Les premiers arrivants en Australie, au cours du XIXe siècle, ont eu à cœur d’amener les valeurs « british » avec eux. Les sports les plus british à l’époque étaient le cricket, le rugby, à 13 ou 15, et le football australien, appelé Aussie Rules ou Footy au pays d’Harry Kewell. En Angleterre, le foot s’est d’abord développé dans les écoles privées, grâce aux matchs inter-écoles. L’Australie s’est inspirée de cette tradition et a aussi organisé ces rencontres, avec une différence importante : le soccer ne serait pas appris dans les écoles les plus prestigieuses – privées et catholiques – de Melbourne ou Sydney. Ce sport, vu comme un amusement réservé aux classes populaires, ne convenait pas aux pouvoirs en place à l’époque, et était même vu comme anti-australien. Les colons formaient en effet cette nouvelle génération d’ambitieux qui avaient quitté le pays qu’est aujourd’hui le Royaume-Uni pour fonder une meilleure société. La violence sur et autour des terrains de football, et la classe sociale dont sont souvent issus les amoureux du ballon rond ne feraient pas partie de ce nouveau pays.

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Un match de football australien, ou Aussie Rules, entre Essendon et Collingwood

Dans le même temps, le sport devient part entière du « way of life » australien. Au pays du surf, on aime être dehors, prendre soin de son corps et se dépenser, s’amuser par le sport. Le football est clairement laissé de côté dans la narrative. Le sport est partout dans la société, et de tout temps, les immigrants le comprennent en arrivant sur l’île. Beaucoup adoptent les nouveaux codes, le Footy, le rugby à 13. C’est presque un rite de passage pour le nouvel arrivant d’oublier son football et de commencer à apprendre les sports locaux. John Aloisi (international à 55 reprises) raconte souvent que son père jouait et a appris à aimer le cricket – un sport qu’il n’aurait jamais connu s’il était resté dans son Italie natale. Rapidement pourtant, ces sports sont surtout pratiqués par les classes supérieures, blanches, d’origine anglo-saxonne. L’Australie manque le coche avec le football, le traitant comme un sous-sport, refusant de créer une association nationale quand le monde entier se battait pour des places à la Coupe du Monde. Pourtant, petit à petit, génération après génération, l’immigration des peuples d’Europe du Sud va changer la société australienne.

L’influence de l’Europe du Sud

Le café devient la boisson chaude de choix, plutôt que le thé, le vin prend la place de la bière (l’industrie viticole en Australie est aujourd’hui extraordinaire), et le football tente tout pour prendre la place qui est la sienne. La tendance s’accélère dans la seconde moitié du XXème siècle. La Fédération Australienne de Football est enfin reconnue par la FIFA en 1956, et la première division nationale est créée en 1977. La vague d’immigration d’après-guerre est à l’origine de ces nouveautés. Elle vient surtout d’Europe du Sud. Les Italiens, les Grecs, les Hongrois, les Croates, les Macédoniens et les Israéliens qui débarquent ne parlent pas ou peu anglais, mais comprennent, à peine arrivés sur l’île, l’importance du sport dans leur acceptation au sein de cette nouvelle société. Leur préférence va au ballon rond plutôt qu’à l’ovale. Les immigrés peuvent prouver leur valeur par le seul football qu’ils connaissent, le « soccer ». A partir des années 50, des “clubs ethniques” voient le jour un peu partout en Australie. Saint-George Budapest, Sydney Croatia, Hakoah, Pan-Hellenic, Marconi Stallions, Preston Makedonia, South Melbourne Hellas… les noms laissent peu de place à l’imagination quant à la communauté qui les a créés, et qu’ils représentent.

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South Melbourne FC, équipe créée par la communauté grecque

Ange Postecoglou, aujourd’hui entraîneur du Celtic après de nombreux succès domestiques, le dit dans son autobiographie. Le football pour les immigrants étaient beaucoup plus qu’un simple sport. Le dimanche au stade était le seul endroit où son père, grec, était enfin lui-même, parlait sa langue, se libérait. Football était le seul contexte dans lequel Ange voyait son père heureux, une fois par semaine. Le reste du temps, c’était dur labeur et impression de ne pas être bienvenu dans ce pays d’immigrés qui se méfie toujours des nouveaux arrivants. Eux se retrouvent aux entraînements, et aux matchs le weekend, pour tenter de rendre l’adaptation à ce nouveau pays moins difficile, pour trouver un petit bout de leur pays d’origine, un endroit où leur communauté se retrouve dans la joie. John Aloisi raconte, de la même manière, qu’Adélaïde City, club fondé par des immigrés italiens, était pour lui, son père et ses frères, une deuxième maison. Chaque communauté construit son club et l’utilise comme un refuge. Il forme le premier contact qu’un immigrant aura avec l’Australie.

Dans les années 60, le football fleurit, et la récompense vient avec la qualification à la Coupe du Monde 1974, en Allemagne de l’Ouest. Les Australiens ne sortent pas des groupes, mais un palier est passé, grâce notamment à Doug Utješenovi, Manfred Schafer, Attila Abonyi, Ivo Rudi, Branko Buljevi ou Jim Milisavljevi. C’est le premier boom du football au pays des kangourous. La première division nationale est créée trois ans plus tard. Douze des quatorze clubs en lice sont des clubs ethniques, mais l’institution refuse de voir des noms à connotation étrangère dans la compétition de peur d’ostraciser le supporter lambda. South Melbourne et Saint George perdent leur suffixe, Melbourne Croatia devient Knights, Adelaïde Juventus devient City, et Sydney City et Olympic représentent les communautés juives et grecques respectives.

La NSL (National Soccer League) est un succès relatif et n’est pas aidée par les médias. Les histoires extra-sportives sont plus vendeuses et la rhétorique peint le football comme un sport violent, surtout dans les gradins. Encore une fois, le football est décrit comme le sport réservé aux classes populaires issues de l’immigration. Nouveau rendez-vous manqué pour les pouvoirs en place, majoritairement d’origine anglo-celtique. Membre de la Confédération océanienne, l’Australie peine aussi à se révéler sur la scène internationale, par manque d’exposition au haut niveau.

La Génération Dorée et ses successeurs

Malgré des tentatives d’amélioration de la NSL pour la rendre plus populaire (retour des noms ethniques, puis nouvelle interdiction, noms de franchise « à l’américaine » – Spirit, Kingz, Power), les instances peinent à créer le même engouement pour le football que l’Europe connaît. Certains joueurs arrivent malgré tout à se faire un nom au pays et sur le Vieux Continent. Ils s’appellent Mark Viduka, Mark Bresciano, Vince Grella, Tony Popovic… et mettent encore une fois la lumière sur l’immigration d’Europe du Sud. Mark Bresciano, de père italien et de mère croate, avoue se lever aux aurores, alors enfant, pour regarder la Serie A avec son père, carreleur de métier. Mark Viduka, le V-Bomber, est le fils de Joe, footballeur (et homme politique) croate, qui avait fuit le régime communiste yougoslave. Viduka, cousin de Luka Modric, parlait croate à la maison, et dans son club, Melbourne Knights, où il était entraîné par son père. Les autres joueurs de cette génération dorée, Josip Skoko, Zeljko Kalac, John Aloisi, ont tous les même souvenirs d’enfance.

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Awer Mabil, Aziz Behich, Ajdin Hrustic la nouvelle génération

Sous leur impulsion, l’Australie se rend compte qu’il est l’heure de passer un cap. La presque-qualification à la Coupe du Monde 2002 motive le gouvernement australien à enfin intervenir pour aider le ballon rond et son développement domestique. Le Premier Ministre, John Howard, donne les clés du sport en Australie à Frank Lowy… un immigré juif hongrois, qui change complètement la face du football en Australie. L’équipe nationale se qualifie enfin pour la Coupe du Monde en 2006, 32 ans après, grâce à ses enfants d’Europe : Mark Bresciano arrache la prolongation, John Aloisi marque le penalty décisif. En Allemagne, un match montrera, si besoin est, l’impact de l’Europe du Sud sur le paysage footballistique australien. Croatie-Australie, le dernier match de groupe (2-2), envoie les Verts et Or en huitième de finale. Sur l’île-continent, les populations issues des Balkans supportent leur équipe de coeur… mais aussi Kalac, Viduka et Culina côté australien. Dans les rangs croates, on retrouve même Josip Simunic et Joey Didulica, respectivement nés et élevés à Canberra et Melbourne.

L’Australie ne battra pas l’Italie, mais l’histoire est écrite. Le pays commence à avoir confiance en son football, son identité. Jusqu’en 2013, seuls trois sélectionneurs nationaux sont australiens : Les Scheinflug, Frank Farina et Graham Arnold pour un an. Guus Hiddink amène l’équipe en Allemagne, et après lui, un autre néerlandais, Pim Verbeek, qualifie l’Australie pour la Coupe du Monde 2010. L’Allemand Holger Osieck se voit ensuite confier l’équipe pour la route du Brésil. Les Socceroos se qualifient, mais l’entraîneur est remplacé par un illustre australien d’origine grecque, Ange Postecoglou. L’actuel entraîneur du Celtic gagne en 2015 la première, et seule, Coupe d’Asie des Nations de son pays. Le joueur de la compétition est Massimo Luongo, dont les parents sont italiens, le capitaine des Socceroos est Mile Jedinak, et leurs coéquipiers se nomment Matthew Spiranovic, Ivan Franjic, Tomi Juric. Même après la Génération Dorée, même 70 ans après la Guerre, l’influence de l’immigration méditerranéenne sur le football australien reste indéniable.

Le football aujourd’hui n’est toujours pas le sport numéro un en Australie. Les choses changent, positivement cette saison, avec un nouveau directoire, de nouveaux droits TV, et le pays semble prêt à accepter le ballon rond comme part de son identité. Les nouvelles vagues d’immigration restent une source de talent pour l’équipe nationale : Awer Mabil, de descendance soudanaise, Ajdin Hrustic, bosniaque et roumaine, Aziz Behich, turque, Denis Genreau, francaise, sont les nouveaux Socceroos. L’Australie est un pays qui se targue souvent d’avoir « réussi » le multiculturalisme, mais trop souvent, l’importance du football dans l’adaptation de ces nouvelles cultures est minimisée voire oubliée. Les clubs ethniques sont toujours là, plus que jamais sont des lieux de vie pour leur communauté, et ne cessent de se développer, à tel point qu’ils seront la base de la future deuxième division nationale. L’Australie est à la croisée des chemins, pendant que les autres nations d’Asie se développent à toute vitesse. Sans ses enfants croates, italiens, turcs, grecs, elle serait sans doute bien loin de la 35e place qu’elle occupe actuellement au classement FIFA.

Crédits Photos : Getty Images

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