Furia Liga
·18 juin 2019
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·18 juin 2019
Battue sans réel panache il y a quelques semaines face à la France en amical, la sélection bolivienne est méconnue en Europe et tout particulièrement dans l’hexagone. Avec peu de résultats majeurs sur la scène continentale ou mondiale et avec des footballeurs qui s’exportent peu, la Bolivie est un des pays les plus en retard du continent sud-américain en matière de football. Pourtant, entre 1993 et 1097, la Bolivie a rêvé et a eu des résultats exceptionnels sous la houlette de deux entraîneurs espagnols : Xabier Azkargota et Antonio Lopez. Retour sur cette période dorée pour le football bolivien et sur le parcours très particulier de ces deux hommes qui auront pris plaisir à sortir des sentiers battus.
Avant cette fameuse décennie 90, le football bolivien est à l’arrêt ou presque. La sélection n’a plus participé à un mondial depuis 1950 lorsqu’elle a été invité à la grande fête au Brésil. Sur le continent ce n’est guère mieux, hormis le titre acquis à domicile en 1963, la Bolivie ressemble surtout au paillasson de l’Amérique du Sud du football. Pire, on parle plus des matchs joués à haute altitude que de ses joueurs quand on évoque le football bolivien dans les discussions. Pourtant en 1993 la nomination d’un illustre inconnu dans cette partie du monde va changer radicalement la destinée d’une génération dorée. Retour sur l’arrivée du basque Xabier Azkargorta avec dans ses bagages : Antonio Lopez Habas.
Lorsque Xabier est nommé sélectionneur de la Bolivie, le basque n’a que 40 ans mais déjà une solide réputation en Espagne. L’ancien joueur qui a du arrêté sa carrière très tôt à 25 ans, a tout de suite enfilé les habits d’entraîneur avec succès. Après avoir entraîné plusieurs équipes au Pays Basque, l’ancien de l’Athletic prend en main le Nastic, puis l’Espanyol. En Catalogne il devient le plus jeune manager à avoir entraîné en Liga puisqu’il n’a que 29 ans lors de sa nomination. Puis on le retrouve à Valladolid ou encore à Seville. Un CV qui en dit long sur la compétence d’un garçon dont l’arrivée est moquée par la presse. Il l’explique dans une interview : « Quand je suis arrivé dans le pays (en Bolivie), la presse m’a qualifié d »illustre étranger. C’est-à-dire que j’ai entraîné huit ans en Primera mais je n’étais pas connu. Il se peut également qu’il existe des «illustres ignorants», car à cette époque il n’y avait pas de Wikipédia ».
Dans ses valises, le Basque arrive avec un staff entièrement espagnol dont Antonio Lopez mais aussi des garçons comme Luis Orozco. Cette nomination arrive dans un moment où la fédération marche bien et où une superbe génération est en train d’éclore. Xabier et ses comparses doivent juste matérialiser sur le terrain cette progression. L’objectif à court terme du technicien basque est de qualifier pour la première fois la Bolivie pour une Coupe du Monde. Les deux fois où les Boliviens ont pris part au tournoi, ils avaient été invité.
Le projet semble pharaonique surtout que pas grand monde ne connaît le football Bolivien dans le staff espagnol. Pour Goal.com, Xabier a confié son analyse de sa sélection et surtout son premier travail pour faire goûter les sommets à sa nouvelle sélection. « Nous nous sommes rendu compte que le footballeur bolivien ne s’aimait pas trop et qu’il devait commencer en profondeur, avec un travail détaillé et très personnel, un dialogue constant avec les joueurs, changer un peu l’image, exiger un meilleur comportement et surtout essayez cet engagement personnel. »
Pour son premier match officiel, la Bolivie d’Azkargorta affronte le Venezuela dans les qualifications pour le mondial 94 aux US. Le résultat est aussi fou qu’inattendu. À l’extérieur, la Bolivie inflige un cinglant 7-1 à son adversaire. Ce match va être le top départ d’un compte de fée. Libérée, la Bolivie va être intenable lors des 4 premières journées des éliminatoires. Lors du deuxième match, ils font même tombé le Brésil à domicile. Une victoire historique tant les Auriverdes dominent souvent aisément les qualifications pour les Coupes du Monde. La Bolivie bat ensuite l’Equateur, l’Uruguay et de nouveau le Venezuela cette fois à domicile. À cette période, les qualifications sont découpées en deux groupes en Amsud et après plus de la moitié des matchs, la Bolivie semble en route pour l’exploit.
Le moustachu basque est revenu pour Goal.com sur l’importance médiatique de ces matchs. « Tout cela a eu un écho formidable, car je me souviens que même la presse américaine non sportive l’a souligné sur ses couvertures et était un exemple de la façon dont un pays comme la Bolivie est passé au premier plan sur la scène internationale pour battre une puissance comme le Brésil. C’était choquant, cela nous a donné beaucoup de morale, surtout beaucoup d’estime de soi et l’équipe a réalisé que je pouvais battre n’importe qui. La preuve en est que lors du prochain match à domicile, nous avons joué contre l’Uruguay et que nous avons encore gagné 3-1. L’équipe a pris la dynamique nécessaire pour atteindre le succès final ».
Xabier a réussi son pari et la superbe génération bolivienne croit fortement en ses qualités et son football. La sélection va pourtant perdre ses 2 prochains matchs en concédant notamment un cinglant 6-0 face au Brésil sauf que le nul acquis face à l’équateur lors de la dernière journée scelle le destin de la Bolivie. Les hommes d’Azkargorta viennent d’écrire l’histoire et surtout, ils découvriront le mondial US à l’été 94. C’est la première et seule fois que la sélection réussit à sortir des qualifications pour une CDM en profitant des matchs à domicile en altitude. Les joueurs et le sélectionneur sont fêtés comme des héros à leur retour à la Paz comme l’explique Milton Melgar alors membre de ce formidable groupe : « Certains de mes compagnons ont versé des larmes, nous nous sommes embrassés, nous avons célébré, nous avons lancé (Xabier) Azkargorta dans les airs. C’était incroyable. Nous célébrons la sortie du stade, dans l’avion, quand nous arrivons à La Paz et dans tout le pays « . Cependant, le pays doit maintenant capitaliser sur ce succès et faire bonne figure dans la plus belle des compétitions.
Après avoir offert à la Bolivie une liesse magnifique, ses nouveaux héros doivent maintenant être au niveau de l’événement. On n’évoque pas de qualification pour le tour suivant au vu du groupe plutôt difficile dans lequel figure la sélection (Espagne, Allemagne et Corée du Sud) mais il faut continuer de rendre fier le pays. De avril à juin, Azkargorta et ses joueurs multiplient les amicaux sans grande réussite. En 8 matchs, la sélection ne remporté qu’un succès face à l’Arabie Saoudite malgré des adversaires de niveau modéré.
Le 17 juin, devant près de 64 000 personnes, la Bolivie fait l’ouverture de la compétition face au champion en titre : l’Allemagne. Le groupe Bolivien est dans la lignée de celui qui a réussi à mener le pays jusqu’à ce match. Les noms ne sont pas encore très connu mais les Trucco, Marco Sandy, José Milton Melgar ou autre Erwin Sánchez font déjà la fierté de tout un peuple. Face à l’Allemagne, les Boliviens sont solides et appliqués. Cependant, le Panzer Jürgen Klinsmann marque le seul but du match et Marco Etcheverry est expulsé côté Bolivien. Au deuxième match, c’est l’adversaire le plus abordable du groupe que défie la Verde: la Corée du Sud. Le match va être décousu et les occasions nombreuses de part et d’autre, cependant aucun but n’est marqué mais la Bolivie marque le premier point de son histoire dans un Mondial. Manque encore un petit but pour rendre cette Coupe du Monde historique du côté de la Paz.
L’euphorie est encore présente au pays, la Bolivie avant son dernier match de poule peut encore se qualifier pour le tour suivant. l’Espagne, le dernier adversaire de la Bolivie a du se contenter de deux nuls et la Corée du Sud dispose du même nombre de points. Pour faire simple, en cas de victoire, la Bolivie serait bien placée pour passer au tour suivant. Le début de match est équilibré et la Bolivie joue un joli football. À la 19e, une action qui semble anodine dans la surface de la Verde accouche d’un pénalty pour la Roja. Guardiola transforme et à la 65e, Perez alourdi la marque. La Bolivie veut toujours y croire et quelques minutes après ce 2-0, la légende Erwin Sanchez réduit la marque. La match termine à 3-1 pour l’Espagne mais la Bolivie rentre fière au pays. Sa sélection a honoré le maillot aux US, a marqué son premier but et pris son premier point dans un Mondial. Maintenant, tout le pays doit capitaliser sur ces bons résultats pour lancer une dynamique positive et durable profitable au football bolivien.
Xabier Azkargorta est au sommet de sa gloire et adulé en Bolivie. La légende raconte qu’on lui aurait même proposé de devenir ministre de l’Éducation, de la Santé et des Sports, proposition qu’il aurait rejeté. Le moustachu va même plus loin et quitte son poste de sélectionneur de la Bolivie en 94 pour rejoindre … le rival Chilien pour la Copa America 1995 organisée en Uruguay. Antonio Lopez Habas est nommé pour reprendre la sélection et le travail de son mentor pour la même Copa. Entre temps l’Espagnol a fait ses preuves en tant que numéro 1 à Bolivar, l’un des clubs les plus puissants du pays. L’objectif est le même que pour son prédécesseur Basque : tirer le football bolivien vers le haut. Pour se faire, le sélectionneur espagnol multiplie les appels pour tenter de naturaliser des joueurs et étoffer son groupe déjà très fort.
Dans une Copa America qui a la même format qu’actuellement, Antonio Lopez Habas va permettre à la Bolivie de sortir des poules en tant que meilleur 3e mais l’histoire tourne court et la Verde se fait éliminer dès les quarts face à l’Uruguay, le futur vainqueur. Un résultat qui reste le meilleur du pays depuis son sacre en 63 et qui montre bien que le football bolivien progresse. Dans le même temps le Chili d’Azkargorta ne sort pas des poules et le Basque sera mis dehors en 96. La plus belle moustache d’Amérique de Sud s’envolera pour le Japon puis le Mexique pour revenir en Bolivie quelques années plus tard. Entre temps le football local n’aura guère changé.
En 1997 quand Xabier est nommé entraîneur principal des Yokohama Marinos, Antonio Lopez Habas fait un court retour en Espagne pour entraîner Lleida mais revient pour préparer la Copa America à domicile avec la Bolivie. Les attentes sont très grandes et les investissements pour faire de cette compétition une fête très importants. Plusieurs stades sont rénovés mais rapidement les premières déconvenues arrivent. La compétition chevauche les qualification pour le Mondial en France et de nombreuses équipes annoncent vouloir amener des équipes B. L’Uruguay en tête mène la fronde contre les matchs en altitude et réussit à faire changer quelques matchs d’emplacement. Cette cacophonie laisse les spectateurs dans le flou et les billets pour les matchs tardent à se vendre. Au final quelques stars ne seront pas présentes du côté de l’Uruguay et de l’Argentine mais le Brésil amène une formidable équipe et les résultats seront au rendez vous.
En poule, la Bolivie finit première de son groupe avec 3 victoires en 3 matchs. Le groupe est dans la droite lignée de celui qui s’est qualifié pour le mondial 94, Juan Miguel Pena a été transféré et est depuis 3 ans à Valladolid. Son passage au club de Pucela durera 10 ans. Sur le terrain, la Bolivie récite un beau football et performe comme elle en a l’habitude depuis quelques temps à domicile. En quart, la Verde écarte la Colombie 2-1 après avoir fait l’écart en première mi-temps. En demi, les hommes d’Antonio Lopez concède l’ouverture du score face au Mexique mais réussissent un magnifique come-back pour s’adjuger une superbe victoire 3-1. Qualifiée pour une nouvelle finale, les Boliviens rêvent d’un nouveau sacre à domicile près de 34 ans après. En finale cependant, c’est le champion du monde brésilien que les locaux devront battre. Sur le terrain des stars et devant un Ronaldo encore tout jeune qui négocie son transfert à l’Inter Milan. Sur le pré, presque sans forcer, la Selecao s’adjuge le titre 3-1 avec deux buts dans le dernier quart d’heure. La Bolivie ne le sait pas encore, mais elle vit son dernier grand moment de football avec sa sélection.
Lors de cette finale, la Copa Bolivia entre en scène. C’est une coupe de la CONMEBOL qui est officielle mais qui est frappée du drapeau bolivien. Elle est remise au finaliste malheureux, la Bolivie est la première sélection à la remporter. Depuis, la coutume est restée mais la Verde ne l’a plus touché. En 1998, Azkargorta quitte le Japon avec un titre de champion et fait une pause avec le football. Antonio Lopez a quitté la Bolivie et vient d’être nommé à Gijon. De son côté, la sélection verte reste à la maison et suit le Mondial en France à la télé.
Azkargorta est revenu sur le devant de la scène brièvement au Chivas en 2005 mais surtout en tant que sélectionneur bolivien en 2012. Le bail devait être court, le basque finira par rester 3 ans. Le temps notamment de perdre face à la Roja de Vicente Del Bosque. De son côté, le CV d’Antonio s’est étoffé. Après un nouveau retour à Bolivar, l’Espagnol redevient numéro 2 en rejoignant le Valence de Rafa Benitez. Il devient même numéro 1 en 2005 pour remplacer Ranieri. Puis il rejoint Tenerife brièvement la même année. Antonio redevient numéro 2 lors de la signature de Hristo Stoichkov en 2007 au Celta. Lors du licenciement du Bulgare il repasse brièvement numéro 1 avant de plier bagage. Sa carrière est de plus en plus chaotique, il rejoint les Mamelodi Sundows en 2009 toujours avec Hristo. Lorsque le Bulgare démissionne il continue 2 ans sans succès. Puis l’éternel numéro 2 rejoint le très spécial Bidvest Wits FC de 2011 à 2013. L’année 2014 est bonne pour les deux entraîneurs, Azkargorta mène Bolivar jusqu’en demi de Libertadores et remporte un titre national quand Antonio devient champion avec l’Atletico de Kolkata en Indian Super League.
En 2015, la Bolivie revient brièvement sur le devant de la scène en étant éliminé en quart de Copa America. Un rayon de soleil dans un horizon plus que triste. Le football bolivien ne progresse plus et la fédération n’a jamais su capitaliser sur le long terme. Le championnat survit et existe grâce aux internationaux et le pays a un retard monstre sur ses voisins. Après une sortie par la petite porte à Bolivar et une pige sans intérêt au Sport Boys, Azkargorta semble avoir pris sa retraite. Antonio Lopez est toujours en Inde cette fois à Pune City. Les deux restent profondément marqué par leur passage en Bolivie et sont tristes de voir que rien n’a évolué la bas depuis leurs départs.
Le Basque s’est confié à As sur la situation dans son pays d’adoption : « La situation est similaire ou pire qu’à mon époque, parce que les voisins ont investi. En Bolivie, il n’y a pas de compétitions dans les catégories inférieures, les jeunes ont des difficultés. Il n’y a pas d’école. Et bien sûr, pas d’installations. Vous devez battre des clubs du Brésil, d’Argentine, du Chili ou d’Uruguay et vous n’avez même pas d’endroit où vous entraîner. » Ramallo l’auteur du but historique face à l’Equateur qui a offert le mondial 94 à son pays partage le même sentiment que son ancien sélectionneur : « Il a passé 25 ans depuis cet exploit, 25 ans de joie pour nous, mais aussi de tristesse parce que nous nous ne somme pas retourné en Coupe du monde et que nous n’avons aucun signe de progression. Nous nous souvenons du nombre d’années écoulées toujours avec l’illusion que cela se reproduira ». Antonio partage le même optimisme : »Je pense que la Bolivie a du potentiel si sa fédération est bien organisée« . L’espoir reste présent mais le football bolivien n’est clairement pas sur la bonne voie et reste encore très loin d’un retour en Coupe du monde …
Benjamin Bruchet
@BenjaminB_13