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·1 octobre 2025
Bodo/Glimt : lumière sur le cercle polaire !

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·1 octobre 2025
Hier, le surprenant club de Bodo/Glimt a tenu tête à Tottenham, cador de Premier League. L'histoire d'une écurie à part située aux confins de l'Europe. En juin 2025, Onze Mondial était parti à la découverte de ce club pas comme les autres. L'occasion de découvrir un savoir-faire unique dans le football moderne.
À plus de 2 000 kilomètres de Paris à vol d’oiseau, direction le grand nord où se trouve Bodø, petite cité de pêcheurs située sur le cercle polaire abritant 50 000 âmes et un club pas comme les autres. Depuis plusieurs années, l’équipe de Bodø/Glimt s’est fait un nom en Europe. Pour son football offensif, sa manière de voir le haut niveau, mais aussi et surtout pour sa situation géographique singulière.
Le 31 mai aux alentours de 12H30, Jens Pet-ter Hauge, l’attaquant vedette de Bodø/ Glimt, allume sa webcam en direct du cercle polaire. Il vient de terminer l’entraînement avec le reste de son équipe. Le soleil brille en arrière-plan et il n’est pas prêt de se coucher. Dans quelques jours débuteront les « jours polaires », ceux où le soleil ne se couche pas, même à minuit. De quoi en perturber plus d’un, à l’image de Victor Boniface, l’attaquant nigérian du Bayer Leverkusen débarqué dans le Grand Nord en 2019.« Je me rappelle de Victor Boniface, il appelait son agent pour savoir quand il allait faire noir au milieu de la nuit, se rappelle avec amusement Hauge. Mais les joueurs s’y habituent. L’été, les conditions sont bonnes... même si l’hiver peut être plus difficile, surtout si tu es loin de ta famille, tes amis. Tu peux te sentir un peu seul, c’est aussi à nous d’aider les non-initiés ». Né à Bodø, passé par le centre de formation pour ensuite atteindre les professionnels, il avait ébloui l’Europe lors d’un barrage face à l’AC Milan en Ligue Europa. Les Italiens l’avaient d’ailleurs recruté dans la foulée. Depuis, il a vécu des expériences mitigées du côté de Francfort, La Gantoise, pour finalement revenir là où tout a commencé.
Bodo Glimt face à Tottenham - Icon Sport
« Bodø, c’est là où j’ai grandi, où je suis né, c’est la maison. J’adore jouer au football ici. Ça représente tout ! C’est le premier club que j’ai regardé en étant jeune garçon, aller au stade en étant gamin. À l’époque, ça n’était pas une super équipe », ajoute-t-il. Et c’est peu dire. Mis à part une modeste Coupe de Norvège en 1975, l’écurie n’avait, avant 2020, rien gagné, oscillant entre la première et la deuxième division, dans l’ombre des plus gros clubs du pays.
Mais depuis 2020, c’est quatre championnats de Norvège, des exploits en Coupe d’Europe avec une victoire 6-1 face à l’AS Roma de José Mourinho ou encore cette saison une demi-finale de Ligue Europa (élimination face à Tottenham). En Coupe d’Europe, elle est même devenue une équipe intraitable avec 30 victoires sur ses 37 derniers matchs à domicile. Comment un club situé dans une ville d’à peine 50 000 habitants censé jouer les seconds rôles aux confins nordiques du continent a pu s’imposer ainsi ? Dans la bouche d’Havard Sakariassen, ancien joueur de Bodø reconverti directeur sportif, la réponse a l’air simple : « On a fait table rase du passé. L’idée, c’était d’essayer d’être meilleur chaque jour, performer du mieux que l’on puisse, ne pas laisser le résultat, d’aucune manière, influencer notre manière de travailler. Que l’on perde ou l’on gagne, tant que l’on continue de travailler ainsi, c’est le plus important, car on aime ce que l’on fait ». Facile, évidemment.
Kjetil Knutsen, le coach de Bodo - Icon Sport
Depuis l’intronisation de Kjetil Knutsen au poste d’entraîneur en 2018, le club a complètement revu sa manière de procéder. En s’inspirant toujours d’un 4-3-3 déjà utilisé lors du premier titre en 1975, et en prônant un football offensif, l’écurie a su allier résultats et élégance, le tout sans trop investir. « On a notre propre manière de jouer, qu’importe l’adversaire ou le lieu du match. On joue à notre façon. C’est une des clefs pour performer au plus haut niveau face aux grandes équipes européennes. On n’a pas peur, on peut s’incliner et jouer mal, mais on essaie toujours de pratiquer notre jeu », analyse Hauge.
« Le football n’est pas une question d’argent, c’est une question de football. Les journalistes parlent trop souvent d’argent dans le football et pas assez de football » affirme de son côté Frode Thomassen, président du club. Ancien joueur passé par le ministère de la Culture en Norvège, il décrypte le projet mis en place : « Bodø/Glimt est devenu une inspiration, car ça n’est pas qu’une question d’argent. C’est une question de valeurs. On a voulu changer de manière de penser. On ne voulait pas parler de résultats. Quand on débute une saison, on ne parle pas de remporter le championnat ou de faire une demi-finale européenne, mais plutôt de ce qu’on va faire de bien aujourd’hui ».
Une manière de travailler plébiscitée par les joueurs. Jens Petter Hauge, passé par plusieurs gros vestiaires en Europe, est en partie revenu pour cela : « Dans les autres clubs que j’ai connus, c’est uniquement une question de résultats. Tu dois gagner sinon les fans sont en colère, le coach se fait virer. La pression est bien plus grande et on peut voir que notre manière de travailler fonctionne, détaille le buteur. La pression vient de l’extérieur, mais nous, on sait ce que le coach veut, ce que le patron du club veut, c’est très rassurant ».
Le stade de Bodo/Glimt - Icon Sport
Une façon de convaincre de nouveaux joueurs de tenter l’aventure dans un territoire hostile où la température franchit rarement la barre du zéro degré en hiver ? Si au début de cette nouvelle aventure, cela a pu s’avérer difficile, Havard Sakariassen affirme désormais qu’il s’agit d’une histoire ancienne : « Désormais, on a une super bonne réputation. Les joueurs sont heureux de venir ici et ils voient cela comme une très bonne étape dans leur carrière. Évidemment, il y a 10 ans, c’était un gros facteur de refus ».
Une théorie confirmée avec un trait d’humour par le CEO du club : « Les joueurs qui vont à Paris ont un milliard de choses à faire. Ici, dans une petite ville de pêcheurs du nord de la Norvège, il y a moins d’activités, mais tu peux t’entraîner ». Malgré ces belles paroles, l’équipe reste quand même à grande majorité composée de Norvégiens, avec environ 80% de l’équipe, accompagnés de Scandinaves. Une question de société ? : « On veut des joueurs que l’on imagine dans notre culture. C’est aussi la société dans laquelle on vit en Norvège, c’est un peu du « socialisme », on travaille les uns pour les autres. On est tous un élément de la colonne vertébrale, c’est une pensée collective » décrypte le responsable du sportif.
Une culture et des joueurs convaincus par le projet. En interne, un mot d’ordre : liberté. Le club ne veut absolument pas entrer dans des conflits au moment des négociations. Kjetil Knutsen, courtisé par de nombreuses écuries à travers l’Europe, est toujours le coach de Bodø. Et visiblement, personne ne s’inquiète outre-mesure d’un départ : « Je pense que ce club est une question d’amour, décrit le président. L’amour que vous portez aux gens avec qui vous travaillez. J’ai un grand respect pour notre coach. Il a mis toutes ses compétences, il nous a fait passer des étapes. Je ne pense pas qu’il partira tout de suite, mais un jour, il viendra chez moi et me dira merci et il partira, je lui dirai merci et que je l’aime ».
Les supporters de Bodo Glimt - Icon Sport
Havard Sakariassen, très proche de son entraîneur, partage ce constat : « S’il veut vraiment faire quelque chose d’autre, il ne nous appartient pas, c’est terminé ça. On vit une aventure incroyable depuis des années, c’est pourquoi il est toujours là. On travaille avec des êtres humains, il ne faut jamais l’oublier. On ne travaille pas avec des machines. Ça n’est pas de la magie, mais des relations humaines ».
Quid du futur ? Avec un calendrier infernal, le championnat se jouant en décalé (voir encadré), le club n’a quasiment jamais de break et il demeure difficile de se projeter. Pour passer un step, les dirigeants ont toutefois décidé d’investir dans un nouveau stade. Le vieillissant Aspmyra Stadion (8 000 places), sorti de terre en 1964, va bientôt laisser place à une enceinte flambant neuve de 10 000 sièges. Pas question de voir trop grand, mais plutôt voir moderne : « Aller à un match de football, cela doit aussi être une expérience. On doit avoir des lumières, du son, des feux d’artifice comme on peut le voir ailleurs. On veut que les gens aient envie de revenir », conclut le patron du club, qui se remémore son arrivée avec émotion : « À l’époque, il y avait 40-50 personnes dans le club en comptant les joueurs. Maintenant, nous sommes 120 et on prépare un nouveau stade. Le projet est construit autour des valeurs et de notre culture, avec des êtres humains. C’est inspirant ».
Bod Glimt après avoir éliminé la Lazio - Icon Sport
Et avec le football pratiqué par les joueurs de Knutsen, cela ne devrait pas être compliqué de remplir les tribunes. C’est une des raisons qui a d’ailleurs poussé Jens Petter Hauge à renouer avec son club d’enfance, plutôt que de poursuivre dans un championnat majeur : « Le coach a une philosophie très claire, il nous demande beaucoup à l’entraînement, notre investissement doit être total. Il s’y connaît très bien en football, c’est génial. En plus de cela, c’est un très bon humain. Tu peux vraiment parler avec lui, si tu n’es pas d’accord, il y a aura un échange, il te laisse parler et on trouve toujours une solution ».
L’humain, une fois de plus, au-dessus de tout. Sur le terrain, mais aussi dans les actions menées par l’équipe. Comme lorsque la recette du match face au Maccabi Tel-Aviv a été reversée à la Croix Rouge pour venir en aide à Gaza (voir encadré), ou quand Patrick Berg est venu interpeller directement un fan ayant tenu des propos homophobes : « Bodø/Glimt est plus qu’un simple club de football. On cherche à utiliser nos voix pour aller vers une meilleure société. Un club de football ne doit pas être qu’un club de football ». Et tout au nord de l’Europe, sur le cercle polaire, Bodø/Glimt est bien plus qu’un club de football.
Reporate issu du magazine de juin 2025
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