Lucarne Opposée
·8 novembre 2025
Bruno Henrique : Chronique d'un scandale

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·8 novembre 2025

Le cas Bruno Henrique continue de faire scandale au Brésil. Reconnu coupable d'avoir orchestré un système de paris illégaux en provoquant délibérément un carton jaune lors d'un match de novembre 2023, l'attaquant de Flamengo continue pourtant de jouer, protégé par un effet suspensif.
Tout commence en novembre 2023, lors d'un match apparemment anodin entre Flamengo et Santos au stade Mané Garrincha de Brasília, comptant pour la 31e journée du Brasileirão. Bruno Henrique, sous le coup d'une suspension en cas de carton jaune, aurait informé son propre frère, Wander Nunes Pinto Júnior, qu'il allait délibérément provoquer un troisième carton jaune lors de cette rencontre. L'objectif sportif était simple : être suspendu le match suivant contre Fortaleza afin d'être disponible pour la confrontation cruciale face à Palmeiras. Une stratégie courante dans le football, pas illégale en soi. Sauf que Bruno Henrique n'a pas gardé cette information pour lui.
Les extraits des conversations WhatsApp entre Bruno Henrique et son frère Wander, révélés par la Police Fédérale, constituent un dossier d'une rare précision et que la Globo a intégralement publié. Dès le 29 août 2023, soit deux mois avant le match fatidique, la mécanique est enclenchée.
Tout commence lorsque Wander demande à son frère s'il a bien deux cartons jaunes au compteur en championnat, Bruno Henrique confirme. La suite de l'échange ne laisse planer aucun doute sur les intentions : « Quand ils te diront de prendre le troisième, préviens-nous hein », lance Wander. La réponse de l'attaquant est immédiate et précise : « Contre Santos ». Après avoir vérifié la date du match (29 octobre), Wander plaisante sur la difficulté pour son frère de tenir jusque-là sans prendre de carton. Bruno Henrique le rassure : il ne réclamera pas auprès des arbitres, sauf s'il fait une grosse faute. La conclusion de Wander résonne comme un aveu : « Bon, je vais déjà mettre l'argent de côté, investissement réussi ».
Le 7 octobre, les échanges prennent une tournure plus technique. Bruno Henrique cherche à transférer 10 000 reais à son frère, mais refuse d'effectuer la transaction directement : « Ça ne peut pas être toi, on a les mêmes noms ». Quand Wander demande pourquoi, la réponse est sans équivoque : « Une affaire de paris ». L'attaquant tente manifestement d'effacer ses traces en utilisant un intermédiaire, conscient du caractère illégal de l'opération. Ironiquement, Wander répond : « Bon, je vais parier moi aussi, j'ai besoin d'argent ». Le 16 octobre, à deux semaines du match fatidique, Wander relance son frère avec une insistance qui trahit l'impatience : « T'en as deux à nouveau hein. Quand ce sera le troisième, préviens-moi ». La réaction agacée de Bruno Henrique (« Putain tu m'appelles pour me dire ça, tu rigoles ? ») révèle une tension : le joueur semble mal à l'aise avec la tournure que prend l'affaire, mais ne fait rien pour y mettre fin. Les contacts reprennent à la veille du match : « Tu te souviens du truc dont tu m'as parlé il y a quelque temps ? ». Mais cette fois, Bruno Henrique interrompt brusquement l'échange écrit et passe un appel téléphonique – une prudence tardive qui n'échappera pas aux enquêteurs.
Le 1er novembre 2023, Bruno Henrique démarre la rencontre face à Santos comme titulaire. Le match tourne à l'avantage du Peixe, qui s'impose finalement 2-1. C'est dans les arrêts de jeu que le plan de l'attaquant se concrétise, avec une tournure inattendue. Bruno Henrique commet une faute et reçoit le carton jaune escompté. Sauf qu'au lieu de s'en tenir là, il se lance dans une altercation avec l'arbitre Rafael Rodrigo Klein. La situation dégénère : le numéro 27 est expulsé pour avoir insulté l'homme en jaune (« Tu es une merde »), doigt pointé vers son visage. En quittant la pelouse, Bruno Henrique reçoit même un gobelet d'eau au visage. Le match, marqué par la violence – Gerson (Flamengo) et Lucas Braga (Santos) sont également expulsés –, restera dans les annales pour de mauvaises raisons.
Muni de cette « information privilégiée », Wander et son entourage se sont lancés dans une opération de paris massifs. Son frère, accompagné de sa femme Ludymilla Araújo Lima, d'une cousine du joueur (Poliana Ester Nunes Cardoso) et de trois amis (Andryl Sales Nascimento dos Reis, Claudinei Vitor Mosquete Bassan et Douglas Ribeiro Pina Barcelos) ont parié des sommes importantes sur le fait que Bruno Henrique recevrait un carton jaune. Les volumes d'argent misés étaient tels que les plateformes de paris sportifs ont immédiatement signalé ces transactions suspectes. C'est ainsi que l'affaire a éclaté au grand jour, déclenchant une enquête de la Police fédérale.
Le coup de grâce arrive plus d'un mois après les faits. Wander envoie un long message désespéré à son frère, expliquant que les plateformes de paris ont bloqué ses gains : « Le jour où tu m'as donné l'idée du carton, j'ai parié 3 000 reais pour gagner 12 000. Sauf qu'ils n'ont toujours pas payé, ils ont mis le pari en analyse ». Désormais endetté, il supplie son frère de lui prêter 10 000 reais pour « payer les cartes de crédit, la pension des enfants qui est en retard ». La réponse de Bruno Henrique le lendemain est résignée : « Je vais voir ça Juninho ». Il joint un document à sa réponse – probablement une preuve virement.
La mécanique judiciaire s’enclenche alors. Huit mois plus tard, en août 2024, la Police fédérale ouvre officiellement une enquête. En novembre, des perquisitions visent Bruno Henrique et les autres suspects. Les enquêteurs extraient alors des conversations WhatsApp du téléphone portable de Wander qui constituent une preuve accablante. Le dossier est complet, la décision tombe en avril 2025 : Bruno Henrique est inculpé par la Police fédérale pour fraude sportive, au titre de l'article 200 de la Loi générale du sport (« frauder, par quelque moyen que ce soit, ou contribuer à frauder, de quelque manière que ce soit, le résultat d'une compétition sportive ou d'un événement qui y est associé »). La dénonciation du Ministère public du District fédéral et des Territoires (MPDFT) est acceptée par la Justice du District fédéral. L'attaquant est officiellement accusé et devra répondre de ses actes devant la justice ordinaire, avec une peine encourue de deux à six ans de réclusion.
Le jeudi 12 septembre 2025, après plus de huit heures d'audience, le Tribunal Supérieur de Justice Sportive (STJD) rend son verdict. Bruno Henrique, qui a participé à l'audience par visioconférence, est acquitté de l'article 243 du Code de justice sportive (« manipulation délibérée pour nuire à une équipe »), mais condamné à quatre voix contre une pour avoir agi « de manière contraire à l'éthique sportive » (article 243-A). Il reçoit alors douze matchs de suspension et une amende de 60 000 reais (soit un peu moins de 10 000 euros).
Si la peine parait clémente, Bruno Henrique et Flamengo ne comptent pas en rester là. Le club annonce immédiatement son intention de faire appel et demande un effet suspensif – une procédure qui permet au joueur de continuer à jouer en attendant le jugement en deuxième instance devant l'assemblée plénière du STJD. Le samedi 13 septembre, le STJD accorde cet effet suspensif. Une décision qui suscite la controverse dans l'opinion publique : comment un joueur accusé de fraude sportive peut-il continuer à fouler les pelouses comme si de rien n'était ?
Depuis, Bruno Henrique joue normalement avec Flamengo, protégé par cette mesure juridique. Le jugement en appel, initialement prévu pour fin octobre 2025, a été reporté en raison d'une « méga-opération policière » à Rio de Janeiro qui a causé cent vint-et-un morts.
La ligne de défense adoptée par l'avocat du club, Michel Assef Filho, est pour le moins discutable. Selon lui, provoquer volontairement un carton jaune « fait partie de la stratégie du jeu » et ne constitue pas « une attitude contraire à l'éthique sportive ». Il minimise l'affaire en parlant tout au plus d'une « information privilégiée » qui, selon lui, ne serait même pas punissable car « n'importe quel connaisseur moyen du football savait qu'il prendrait un troisième carton dans ce match ». Cette argumentation ignore complètement l'essentiel : Bruno Henrique n'a pas simplement pris un carton jaune, il a transformé une décision sportive en opportunité financière pour son entourage proche. C'est précisément cette instrumentalisation qui constitue la fraude. Face aux preuves documentées sur plusieurs mois et détaillant chaque étape du stratagème, la ligne de défense de Flamengo et de son avocat apparaît d'autant plus intenable. La défense s'accroche à des arguments techniques, tels que prescription, absence de préjudice sportif, stratégie légitime de gestion des cartons, mais ignore les conversations interceptées par la Police Fédérale, le réseau de paris organisé, le volume des mises.
Cette affaire expose aussi et surtout les dysfonctionnements du système judiciaire sportif brésilien. Près d'un an après l'ouverture de l'enquête policière, près de deux ans après les faits, la justice sportive se révèle incapable de rendre une décision définitive. Les multiples reports et l'absence de communication claire transforment ce qui devrait être un exemple de fermeté en une pantomime juridique. Quand le STJD se décidera enfin à reprogrammer ce jugement, le mal sera fait. Bruno Henrique aura profité de plusieurs mois de sursis, Flamengo aura pu compter sur lui pour ses échéances les plus importantes et le message envoyé a déjà eu son effet dévastateur : dans le football brésilien, on peut être condamné sans vraiment en payer le prix, tant que l'on dispose des bons avocats et de l'appui d'un grand club. Quant à lui, Bruno Henrique, légende de Flamengo, restera dans les mémoires pas seulement pour ses buts, mais aussi pour avoir sacrifié son intégrité sur l'autel de quelques milliers de reais. Une broutille lorsque l’on connait son salaire. Un gâchis qui ternit l'héritage d'un joueur qui a marqué l’histoire du Mengão. Mais surtout, cette affaire montre le paradoxe dans lequel le Brésil est embarqué alors que le pays se targue de lutter activement contre les dérives des paris sportifs au moment où l’ensemble de ses clubs sont de plus en plus dépendants des financements par les plateformes de paris sportifs.
Photo une : Wagner Meier/Getty Images









































