Derniers Défenseurs
·11 septembre 2021
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·11 septembre 2021
Intouchable sur la scène interne et désormais roi de province avec ses sept titres de champion acquis au XXIe siècle, en moins de quinze ans, CFR Cluj s’est heurté à la dure réalité du mirage européen. Le même qui lui interdisait un huitième de finale de C3 sur une main perdue de Lacina Traoré à Sánchez-Pizjuán, il y a un an et demi, contre un certain FC Séville. Étouffée par les Young Boys en Ligue des champions, impuissante face à l’Étoile rouge de Belgrade en Ligue Europa, la locomotive du football roumain va devoir se contenter de la moins glorieuse Conference League. Une compétition qui correspond pourtant bien à l’état actuel du sport roi, des Carpates au Danube.
En novembre, après le départ de Dan Petrescu, l’homme aux trois couronnements, suite à une rare série de résultats défavorables, les traditionnels prétendants au titre ces dernières années (FCSB et CSU Craiova) avaient retrouvé la foi et pensaient pouvoir ébranler les Ceferiștii. Peine perdue, pour le ticket des « placés mais jamais gagnants ». Edi Iordănescu a poursuivi l’œuvre de son prédécesseur quitte à en épouser le style défensif, rudimentaire mais efficace. Au service d’une cause : la domination totale, par asphyxie, de toute forme de vie rivale.
Alors que les deux autres larrons se sont cassés les dents comme d’habitude contre moins fort, CFR a roulé sur à peu près tout le monde, en enfilant les clean sheets comme des perles et en remportant les matchs clés, parfois largement, parfois au forceps, à coup de phases arrêtées létales. Car avant d’être une équipe organisée avec une colonne vertébrale et la meilleure paire de défenseurs centraux qui soit (Burcă-Vinícius), les Ardelenii version 2020-2021 constituaient un vrai groupe de vétérans expérimentés (presque 31 ans de moyenne d’âge !) sans petits secrets ni jalousies, qui vit pour l’argenterie et ne se cherche pas d’excuses.
Sans compter que, par les temps qui courent, faire du football de performance à Cluj est devenu beaucoup plus évident qu’au Sud, dans la capitale ou ailleurs, là où le mot projet est galvaudé, là où la raison, la mesure et les décisions – de tous types – prises dans l’intérêt général ne sont vraiment pas à l’ordre du jour.
Sauf que Nelu Varga, le patron du club. Loin du traditionnel et caractéristique calme transylvain, pas un as de la discrétion, il est ce qu’on pourrait qualifier de tentative d’imitation de Gigi Becali. Alors même que CFR filait droit vers le quadruplé, cet ancien proprio de boîte de nuit reconverti dans la pierre s’amusait, au moindre match moins abouti, à sonder plusieurs entraîneurs pour prendre la suite de Edi (notamment après l’étonnante déroute au mois de mars, 0-3 contre FCSB à Bucarest). Motif pour lequel le fils de Anghel n’a pas souhaité prolongé son bail après le sacre, mais aussi parce qu’il était venu à la demande de Marian Copilu, le président.
À croire que Edi avait anticipé que cette situation d’insécurité permanente autour de son poste, malgré les résultats, allaient déboucher sur pire : trois mois plus tard, Copilu est viré et surtout roué de coups dans les vestiaires par les bulldogs de Varga, après l’élimination en barrages de la Ligue Europa contre Crvena Zvezda. On savait la relation glaciale, on n’aurait jamais imaginé un pugilat dans un club aussi « tranquille », habituellement uni contre vents et marées. Épisode qui s’est ajouté à la téléréalité autour de Marius Șumudică, le volcanique remplaçant de Iordănescu sur le banc.
Mad Max, vous connaissez. Mais Mad Marius est encore plus barge.
La saison 2021-22 dresse déjà un constat identique aux exercices précédents : CFR a pris l’autoroute du titre, à 200 kilomètres par heure. Sept victoires en sept matchs, treize pions marqués, quatre encaissés malgré la montagne d’erreurs défensives depuis la convalescence de Burcă et la non-prolongation de Vinícius, le dauphin (et promu !) Rapid à cinq points, FCSB à douze. Mais la méthode Șumudică, celle d’un meneur d’hommes instable et déjanté, a pris la première impasse et cela s’est ressenti dès les premiers matchs européens : CFR a manqué de se faire sortir au premier tour de qualification de la Ligue des champions par les Bosniens de Borac Banja Luka, après avoir maîtrisé l’aller (3-1, 1-2 a.p.). Un caramel version Lindt excellence, tardif et inattendu en prolongations de Alexandru Chipciu, le “banni mais pas trop” de l’équipe, sauvant les apparences.
Le tirage était favorable sur le papier, mais la double manche suivante contre les Gibraltariens de Lincoln, qui n’ont pas démérité à l’aller sur leurs terres, au point d’en vouloir sérieusement à Arlauskis (2-1 pour CFR, puis 2-0 à Cluj), n’a rassuré personne. La faute au vent sur le rocher, paraît-il. Et puis, est venue cette approche étrange face aux Young Boys, alors que l’on a longtemps connu un Șumi porté sur l’offensive et surtout alors qu’il fallait laver l’injustice signée Benoît Bastien en décembre.
Un but d’entrée (Manea, 4e minute) et puis “laisse béton” comme dirait Renaud, avant de se faire logiquement punir dans les arrêts de jeu (1-1, 93e). Faire du Dan Petrescu avant l’heure n’a pas payé et malgré une autre ouverture du score tout aussi tôt en Suisse par l’entremise d’Omrani, Ceferiștii ont totalement pris l’eau après vingt minutes, allant jusqu’à s’écrouler physiquement (3-1 à la pause, fini campagne).
À force de se balader et d’être rarement mis à l’épreuve depuis de longues années en Roumanie, ces Clujenii vieillissants se reposent sur leurs acquis et les investissements se limitent aux rumeurs extravagantes (cf. Balotelli et Stanciu l’été dernier). Or on ne passe pas un cap européen avec des joueurs libres dénichés en seconde division. Et c’est pourtant simple de s’en rendre compte, tant il suffit de jeter un coup d’œil de l’autre côté de la frontière, pour voir les recrues importantes d’une équipe comme Ferencváros (de Franck Boli à Myrto Uzuni, en passant par Ryan Mmaee). Des recrues qui, depuis 2 à 3 ans, ont notamment permis aux Hongrois de renouer avec la coupe aux grandes oreilles.
Le point de rupture entre Șumudică et ses joueurs est intervenu à Belgrade, alors que CFR devait se ressaisir pour aller chercher la C3 : l’Étoile rouge, clinique et sans pitié, plie l’affaire 4 à 0. Score qui ne sera évidemment pas effacé à Gruia, avec une nouvelle victoire serbe (2-1). La manière de perdre et l’absence de répondant ont posé le plus problème dans ce duel plutôt équilibré de prime abord. Au Marakana, alors que Șumi faisait son devoir en conférence de presse, les cadres (ou dinosaures, au choix) du vestiaire Ciprian Deac, Mario Camora et Ovidiu Hoban chantonnaient « Au revoir, Șumi, au revoir ! » sous la douche, d’après les sources de Digi Sport.
Que cela soit avéré ou non, le vrai problème est que ces allégations ne soient pas une surprise, vu les prestations limites des deux premiers cités, pas loin de la faute professionnelle. L’entraîneur a perdu une grande partie de son vestiaire car il a bousculé le fonctionnement d’une machine huilée, mais aussi parce qu’il n’a pas su adapter son image à sa nouvelle maison, plus lisse. Le mariage était osé, il avait de la gueule… mais il a vite implosé. Jusqu’à se demander si Șumudică était désiré.
Viré dans la nuit de manière officieuse, les dernières images de lui tournées à Cluj le montrent le lendemain devant les grilles du Dr. Constantin Rădulescu, sûr d’être toujours en poste, alors que des employés du club lui refusent l’accès au stade. S’ensuit une journée lunaire avec causerie dans l’arrière-boutique du magasin du club, vraie-fausse arrivée de Dan Petrescu dans la foulée (finalement confirmée un jour plus tard) et communiqué des ultras du club, affirmant – après discussion avec le board – que l’entraîneur était bien… Șumudică. 300 000 euros (clause libératoire) et quelques salaires restants versés à MS plus tard, Varga officialise le retour de Super Dan, non sans un pont d’or et cette impression de recyclage sans fin.
Pourquoi tourner autour du pot quand il faut sauter à corps perdu dans le puits ? Au milieu des anciens et des moins jeunes, Claudiu Petrila sera le détonateur, l’arme secrète de CFR. Jusqu’à forcer la main de Dan Petrescu, connu pour laisser très peu les joueurs de moins de 28 berges s’exprimer. L’ailier gauche faux-pied (20 ans), déjà auteur de trois buts en sept matchs de championnat cette saison après un prêt très à son avantage du côté de Sepsi en 2020-21, grandit chaque week-end avec des bottes de sept lieues.
Il apporte tout ce qu’il manque dans une équipe qui ne mise pas sur le déséquilibre ou les différences individuelles, le profil idoine pour débloquer un match cadenassé. Avec sa vitesse de pointe et d’exécution phénoménales et son crochet du droit, il casse des reins en un contre un et engendre à peu près toujours le danger. Par le dribble donc, mais aussi par la passe et les coups francs, avec sa façon « CR7esque » de botter les phases arrêtées.
Toujours dans la verticalité, il ne rechigne pas à créer des actions de but à partir de rien et perd très peu le ballon, même sous pression. Sa maturité est telle qu’il pourrait bien être vite trop grand pour la Liga 1, en témoigne l’intérêt tout récent de Galatasaray, qui semble vouloir beaucoup miser sur les joueurs roumains dans son processus de reconstruction. Petrila, des appuis en béton et une manière de ne plus jurer par le bodybuilder Deac.
Claudiu Petrila n’a pas pu changer les choses contre Zvezda, mais Jablonec, Randers et l’AZ risquent d’apprendre à le connaître.
C’est une bonne question. Vous l’aurez compris : tous les feux sont au vert en Liga 1, mais la Conference League reste une énigme. Dan Petrescu devra bricoler dès la première journée, face à Jablonec. Giedrius Arlauskis, le portier titulaire, ne sera pas de la partie puisqu’il a prétexté une blessure pour rentrer chez lui en Lituanie, après le chaos post CFR-Zvezda. Ami du désormais ex-président Copilu et soutien de Șumudică, il ne veut plus travailler avec Super Dan, qui l’a de fait exclu de la liste UEFA. Le retour de Bălgrădean ? Ça promet. Vient le cœur du problème : les blessés.
Sur les 23 joueurs retenus, sept vivotent encore autour de l’infirmerie. Burcă est en phase de reprise, après trois mois et demi d’absence, et ne peut pas tenir 90 minutes, ni peut-être même 60 à haute intensité. Sušić manquera deux à trois semaines de compétition. Graovac pareil. Bordeianu et Culio sont loin d’être prêts physiquement, entre un retour infructueux en Arabie saoudite pour le premier nommé et un passage en D3 argentine pour le vétéran des vétérans (38 ans). Enfin, Alibec s’est à nouveau blessé avec la sélection, en Islande, et loupera au moins un bon mois (lésion fibrillaire). Omrani, son premier backup poste pour poste, ne sera pas non plus du voyage en République tchèque. Dans ces conditions, dur de dégager un XI type, puisqu’il changera de semaine en semaine, au gré des retours.
Tout ce qu’on peut vous dire, c’est que le switch Șumudică-Petrescu doit ramener une certaine discipline et assise défensives, que les coups de pied arrêtés offensifs seront à nouveau plus importants que jamais, et que l’accent sera mis sur l’efficacité et le résultat. Pas sur la manière. La recrue Boateng, repérée par coach Petrescu il y a un an lors d’un CFR Cluj-KuPS, sera scrutée, Manea doit passer un cap en phase défensive et Sigurjónsson sera la plaque tournante de l’entrejeu, de par son gros volume, son abattage et sa qualité technique. Il y a deux ans, CFR aurait sans doute été favori de son groupe. Désormais, en sortir serait déjà une bonne chose. Car cette poule D (AZ, Jablonec, Randers), n’est certainement pas une sous-poule d’Europe.
Le XI probable de CFR à Jablonec.
Le XI espéré, à mi-campagne…
UEFA Europa Conference League – Groupe D : AZ / CFR Cluj / Jablonec / Randers
Crédits photos : IMAGO