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·27 mai 2021
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À 21 ans seulement, Léa Khelifi boucle (déjà) sa sixième saison chez les professionnelles. Après des débuts réussis à Metz, la milieu de terrain a rejoint le PSG en 2019. Actuellement prêtée à Dijon, la prodige de Forbach enchaîne les performances et découvre l’équipe de France. Au bout du fil, on découvre une jeune femme épanouie au discours sincère et rafraîchissant.
Voici quelques extraits de notre interview de Léa Khelifi. L'intégralité de cet entretien de 4 pages est à retrouver dans le magazine n°340 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 6 mai.
Comment s'est déroulée ton enfance ?
J’ai grandi en Moselle, dans une cité, à Behren-lès-Forbach. J’ai grandi avec mon grand frère et ma mère. Ma maman était femme de ménage.
Tu étais quel type de fille ?
Petite, j’étais un garçon manqué on va dire (sourire). Je passais mon temps à jouer au football dehors, matin, midi et soir. Je jouais avec des garçons au city stade à côté de la maison parce qu’il n’y avait pas beaucoup de filles qui jouaient au foot dans le quartier.
Tu étais comment à l’école ?
L’école, ce n’était pas ma qualité première (sourire). Je bavardais beaucoup. Bon après, j’ai fait le minimum : j’ai obtenu mon bac STMG. C’était important d’avoir ce diplôme car le foot ne dure qu’un temps.
Tu as essayé d’autres sports ?
J’ai fait un peu de basket, mais ça ne m’a pas du tout plu. C’était vraiment foot, foot, foot. Je ne saurais pas te dire pourquoi je n’ai pas accroché avec le basket. Le foot, c’était naturel pour moi. Mon oncle était joueur, il a joué à un bon niveau, je l’ai un peu suivi. Et quand tu grandis dans une cité, le ballon vient tout seul à toi. Quand je sortais, tout le monde jouait au foot, j’allais donc naturellement vers eux pour ça.
Tu as une histoire marquante par rapport à ton enfance ?
Lorsque je suis passée par le pôle espoirs de Strasbourg, c’était la première fois que je quittais la maison. Je m’éloignais de ma mère, ma famille et mes potes. Pourtant, ma mère me laissait faire tout ce que je voulais. Mais quand elle a su que je ne voulais plus y aller parce que je ne me sentais pas bien, pour la première fois, elle s’est vraiment énervée contre moi et a levé la main sur moi (rires). Je me rappellerai toute ma vie de ce jour-là. Au final, elle a eu raison de me remettre les idées en place parce qu’aujourd’hui, si j’en suis là, c’est grâce à elle. Elle m’a mis un coup de pression en mode : « Impossible tu arrêtes ». Je la comprends, elle avait fait plein de sacrifices pour moi, c’était inconcevable pour elle que je lâche. Après, j’étais dans la période de l’adolescence, c’était un peu difficile, je voyais mes potes sortir le week-end, pendant que moi, j’avais foot. Ça a duré un moment, ensuite, c’est passé. Si ma mère n’avait pas été là, à ce moment-là, j’aurais sûrement tout arrêté.
Peux-tu raconter ton parcours footballsitique ?
J’ai commencé très tôt avec mon oncle qui était coach, dans le club de Behren-lès-Forbach. Avec mon cousin, on s’est inscrits. Après, j’ai été à l’US Forbach jusqu’en U15. À partir de là, je ne pouvais plus jouer avec les garçons. Ensuite, j’ai intégré le pôle espoirs de Strasbourg et le FC Metz au même moment. La semaine, je m’entraînais à Strasbourg, le week-end, je jouais à Metz. Normalement, je devais faire trois saisons au pôle espoirs, mais je n’en ai fait que deux. Après le pôle, j’ai continué quatre ans à Metz avant d’être repéré par le PSG. Et maintenant, je suis en prêt à Dijon.
Comment c’était le foot avec les garçons ?
C’était une belle période de ma vie. Je me sentais vraiment bien, j’étais comme leur petite sœur. Tout allait très bien. J’étais considérée comme les autres et j’aimais ce truc-là. Ils savaient aussi que j’avais des qualités, je leur montrais sur le terrain. Je n’étais pas une fille pour eux, puisque j’étais décisive, j’étais une partenaire, c’est tout. Après forcément, quand tu joues contre des mecs, en tant que fille, tu as toujours envie de donner plus.
Comment s’est opéré le passage entre les garçons et les filles ?
C’est un changement. J’ai eu la chance de commencer avec les garçons donc quand je me suis retrouvée avec les filles, tout ce que je faisais était plus rapide. Jouer avec les garçons, ça te fait progresser plus vite. Si j’avais commencé avec les filles, je n’aurais peut-être pas eu ce niveau-là. Le changement était normal. Une fois arrivée en U15, tu commences à devenir une femme, c’était normal. L’intensité n’était plus la même, mais j’ai su m’adapter.
À quel moment tu t’es dit que tu pouvais vivre du foot ?
Quand j’étais à Metz, quand j’ai commencé à réaliser qu’on pouvait vivre du foot (elle coupe). Enfin vivre, c’est un grand mot. Je dirais plutôt quand j’ai compris qu’on pouvait être rémunérées. J’ai toujours su que je voulais être footballeuse. Je pense à ça depuis petite.
À 21 ans, tu en es déjà à ta sixième saison en pro. Tu es déjà une ancienne…
(Rires). Non, quand même pas. C’est vrai que j’ai commencé tôt avec le FC Metz. Je ne suis pas une ancienne du tout, j’ai juste un peu d’expérience. Mais le chemin est encore très long.
Tu as débuté très jeune. Comment as-tu fait pour t’imposer dans un vestiaire d’adulte ?
J’ai toujours été une fille qui restait dans son coin. Je restais à ma place et j’observais beaucoup. Je regardais comment ça se passait, je ne suis pas du style à me faire remarquer. Une fois que je connais bien, je suis plus relâchée. Mais au départ, j’ai toujours un temps d’adaptation.
Qu’as-tu appris durant toutes ces années à Metz ?
J’ai beaucoup appris. Déjà, j’ai compris que tout pouvait aller très vite. Il m’a suffi d’une saison complète en D1 pour me faire remarquer par le PSG. Après, il faut aussi beaucoup travailler parce que ça peut aller vite dans les deux sens. Je suis partie de rien, je sais d’où je viens et je sais que j’ai encore beaucoup à faire et à prouver. Le chemin est très, très long. Il faut travailler et ne rien lâcher.
Comment s’est déroulée ta signature au PSG ?
C’était lors de la saison 2018/2019, on avait réussi à se maintenir en D1 avec le FC Metz. Tout au long de l’année, j’ai été décisive. Et à ce moment-là, le PSG s’est manifesté. Maintenant, dans le foot féminin, la plupart des filles ont des agents. Et tout s’est fait par l’intermédiaire d’agents.
Comment s’est faite la découverte du PSG et de la vie parisienne ?
Quand tu arrives au PSG en provenance d’un club comme Metz, c’est un autre monde. Il faut être réaliste. Ce n’est pas le même budget, pas les mêmes objectifs. Tu te retrouves directement avec de très grandes joueuses. Donc forcément, tu es un peu impressionnée, tu te mets un peu sur la défensive entre guillemets, tu observes. Mais dans l’ensemble, tout s’est bien passé, les filles m’ont bien accueillie. J’ai beaucoup travaillé et progressé au PSG. Concernant la vie parisienne, ce n’est vraiment pas mon kiff. C’est trop speed, il y a trop de monde. En fait, tout est « trop » à Paris.
Tu aurais pu tenter une aventure à l’étranger ?
Je voulais rester en France. Pourquoi ne pas voir ailleurs à l’avenir. Mais pas maintenant.
Pourquoi ton début d’aventure au PSG n’a pas marché ? Tu t’es vue trop belle ?
Je ne sais pas. Comme je te l’ai dit, j’ai besoin d’un temps d’adaptation. Entre Metz et Paris, il y a eu un gros changement quand même. Le travail n’est pas le même. Tout ce qui est mis en place est différent. J’ai mis du temps à m’adapter. Pourquoi ça n’a pas marché, je ne sais pas. Le coach a ses raisons, il a fait des choix. Aujourd’hui, je dois travailler encore pour viser plus haut.
Ce n’était pas une question de niveau donc ?
Je ne sais pas. Je sais que, parfois, j’aurais dû en faire plus. Les choses sont ainsi faites, c’est mon destin. Ça devait se passer comme ça, pas autrement.
Quel était le discours du coach ?
Il savait qu’il fallait que je bosse sur le plan athlétique. Techniquement, j’étais à l’aise. En même temps, c’est l’une des mes qualités. Il faut que je bosse sur le plan physique. Il faut que je fasse encore plus pour être au top. C’est bien d’être au point techniquement mais ça ne suffit pas.
Comment se passe ton prêt à Dijon ?
Très bien. Quand je suis arrivée au club, je n’avais pas beaucoup joué avec le PSG, du coup, je n’étais plus en confiance. Je ne vais pas dire que je doutais de moi, mais je sortais d’une saison compliquée. Au début, c’était un peu difficile, il fallait que je retrouve le rythme des matchs. Mais aujourd’hui, je me sens très bien. J’ai repris confiance en moi et ça se voit sur le terrain.
Que te dit le coach de Dijon ?
Il est content. Il sait que je peux faire encore plus et apporter à l’équipe. Il me fait énormément confiance et ça, c’est plaisant. J’essaie de lui rendre sur le terrain.
Tu n’étais pas déçue d’être prêtée ?
C’est moi qui ai demandé à être prêtée. Je voulais du temps de jeu. C’était mon souhait, c’est normal en même temps, je suis jeune, j’ai besoin de jouer. Au final, ça a été bénéfique pour moi puisque j’ai été rappelée en équipe de France. Ces sélections, ça vient récompenser le travail fourni, mais il ne faut pas s’arrêter là.
Comment se sont passés les deux rassemblements ?
Le premier rassemblement, j’y suis allée alors que je sortais de la période de Covid. Je sortais de 14 jours d’isolement. Les premiers entraînements, c’était difficile au niveau du rythme. J’ai pu vivre ma première sélection, je suis entrée en jeu. Je me suis hyper bien intégrée, c’était top. Le deuxième rassemblement s’est très bien passé.
Comment tu t’es sentie pour ta première sélection ?
C’est une fierté ! C’est particulier parce que j’ai connu les équipes de France de jeunes quand j’étais à Metz. J’ai ressenti beaucoup de joie et de satisfaction.
Penses-tu déjà à la saison prochaine ? À retourner au PSG pour t’imposer ?
Je ne sais pas du tout. Il y a encore quelques matchs avant la fin de saison. Il faut que je discute avec le PSG et mon agent pour voir comment ça va se passer. À ce jour, je n’ai toujours pas discuté avec eux.
Si tu devais présenter Léa, que dirais-tu sur sa personnalité ?
Je suis timide au premier abord. Mais quand je connais, je suis un autre personnage. Je suis une fille qui aime beaucoup rigoler, j’aime bien charrier. Je ne me prends pas la tête.
Qu’est-ce que tu aimes en dehors du foot ?
J’aime beaucoup les habits, les vêtements et les chaussures. Quand j’ai du temps et quand il fait beau bien sûr, c’est le premier truc que je fais quand je n’ai pas foot. Je dis : « Je vais m’acheter des habits ». J’aime aussi manger. C’est un vrai plaisir (sourire). Bon, je sais faire attention, hein. Mais c’est bien de se faire plaisir occasionnellement. Je suis très famille aussi.
Quelle est la place de ta famille dans ta carrière ?
Ma mère et mon frère sont très importants pour moi. Il y aussi mes oncles et mes tantes. Dès que j’ai des jours de repos, je rentre chez ma famille directement. Mon frère aime bien le foot. Il regarde tous mes matchs, c’est mon premier supporter et mon premier fan (sourire). Il est fçer, je pense, même s’il ne me le dit pas directement. Ma mère aussi est à fond. Bon, elle ne comprend pas tout, parfois, elle me sort des trucs qui n’ont rien à voir mais bon. Quand elle voit sa fille, forcément, elle est trop contente, elle est affolée même. Parfois, elle me dit : « Mais pourquoi tu ne gardes pas le ballon ? ». Je lui réponds : « Mais je ne peux pas, ce n’est pas un sport individuel ». Et là, elle me sort : « Si, tu dribbles, tu frappes et tu marques » (rires). Après, je lui explique que ça ne se passe pas comme ça, qu’il faut jouer avec les autres.
Tu disais avoir grandi avec ta mère, tu n’as pas connu ton père ?
Si, je l’ai connu. Mais ma mère était divorcée, il est décédé par la suite. J’ai été élevée par mon beau père entre guillemets jusqu’à mes huit ans.
Tu n’as pas passé beaucoup de temps avec ton père, ce n’était pas difficile ?
C’est le destin, ça fait partie de ma vie. Ma mère m’a tout donné, je n’ai pas réellement ressenti de manque. Elle a fait beaucoup de sacrifices pour moi, elle a fait en sorte que je ne manque de rien. Ce vécu, c’est ma force aussi. Si j’en suis là aujourd’hui, c’est parce que je sais d’où je viens et ce que j’ai vécu. Je me sers de tout ça pour avancer.
À ton poste, qui sont tes exemples ?
J’aimais beaucoup Ronaldinho. Il avait des dribbles incroyables, tout était fluide avec lui, un vrai magicien. Quand on vient d’‘un quartier comme moi, on est obligé d’aimer les dribbles (sourire). Ça fait partie de nous, c’est inné. J’apprécie CR7 aussi. Dans le foot féminin, le profil de Dzsenifer Marozsán m’inspire beaucoup.
Qu’est-ce qui te manque pour passer un cap dans ton jeu ?
Il me faut de meilleurs changements de rythme. Il faut que j’arrive à mieux répéter les courses à haute intensité. Il faut que je bosse sur ça, les courses et les repris défensifs. C’est ce qui va me faire passer un cap.
Tu as toujours évolué au poste de milieu de terrain ?
Plus jeune, j’ai déjà joué numéro 9. J’étais une petite qui courait partout. J’avais un sale caractère aussi. Oh là là, comment je râlais sur le terrain tu n’as même pas idée. Parfois, ça me faisait défaut, je m’énervais. Heureusement que je suis calmée.
Quels sont tes rêves ?
Niveau football, je rêve d’être au plus haut niveau, d’être en équipe de France, de jouer la Champions League, participer à de grandes compétitions, être décisive, être vraiment au top. Mais avant tout ça, je veux être en bonne santé. Dans la vie de tous les jours, j’espère avoir un travail et une vie de famille après le football. Je tiens beaucoup à ça, c’est important. J’aimerais avoir des enfants. Je ne sais pas si j’arrêterais le foot pour ça, je n’en suis pas encore là, mais si ça doit se passer comme ça, ça se passera comme ça. Avant tout ça, je pense à ma carrière. On verra après pour le reste.
Si tu n’avais pas été footballeuse, tu aurais fait quoi ?
Alors là, je n’en ai vraiment aucune idée. Dans ma tête, je n’avais qu’une chose : devenir footballeuse (rires). Je ne sais pas ce que j’aurais fait. Pour l’après-foot, j’ai déjà une petite idée. J’aimerais travailler dans un métier en rapport avec les personnes en situation de handicap. J’aime beaucoup être auprès d’eux. J’espère me retrouver dans ce domaine, mais je ne sais pas encore à quel poste. Quand j’étais au pôle espoirs, on organisait des après-midis avec le cécifoot, plein d’autres trucs comme ça. Et lors de ces moments, j’ai toujours été proche des personnes en situation de handicap. Ça m’a toujours plu, je me suis toujours senti à l’aise. Je n’ai jamais eu de difficultés à aller vers eux, à parler, à communiquer, à les aider. C’est vraiment un domaine où je me sens bien.
Si tu étais journaliste, tu poserais quelle question à Léa Khelifi ?
Ouh là (elle réfléchit longuement). Tu m’as bloqué là. Je lui demanderais : « Quelles sont tes origines ? » parce qu’elle n’en a jamais parlé et ça permettrait d’en savoir plus sur elle. Et du coup, je répondrais : « Je suis d’origine algérienne, d’une ville près de Sétif, j’y suis déjà allée à plusieurs reprises. J’aime y retrouver cette ambiance familiale, c’est très chaleureux, je m’y sens vraiment bien. Même si attention, je suis Française avant tout et fière de mes origines ».
Si tu devais finir l’interview par une phrase qui te représente, tu dirais quoi ?
« Je n’oublie pas d’où je viens. » Je sais par quoi je suis passée, ça n’a pas été toujours facile, je sais que ma mère a fait énormément pour moi. Ce que j’ai aujourd’hui, je ne l’avais pas avant et j’en suis consciente, c’est une force pour moi. Tu sais, j’ai grandi dans une cité, ce n’est pas toujours simple, on n’a pas les mêmes avantages que les autres. Mais je ne me plains pas, au contraire, ça a été une source de motivation supplémentaire pour moi. Ma mère y vit encore, quand j’y retourne, les gens ont toujours un mot positif ça me fait plaisir. Ils sont fiers de moi et quand j’y retourne, ça me fait toujours quelque chose.
Si tu devais te donner une note pour cet entretien, tu te mettrais combien ?
Je me suis trouvée à l’aise, je me mettrais 7 sur 10.
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