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·30 novembre 2021
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Yusuf Sari a quitté son cocon marseillais à l'été 2019 pour Trabzonspor. Sur les terres de ses ancêtres, le natif de Martigues a su se faire un nom. À vingt-trois ans, il vient même d'intégrer la sélection nationale turque. Entretien.
Tu es né le 20 novembre 1998 à Martigues, à quelques kilomètres de Marseille. Qu’est-ce que tu peux nous dire sur ton enfance et tes débuts dans le football ?
Je suis né à Martigues mais j'ai grandi à Marignane. Depuis que je suis tout petit, je passe beaucoup de temps avec ma famille et mes collègues. Je suis très « maison ». Je ne sors pas trop. C'est comme ça chez les Turcs (rires) ! J'ai commencé le foot à l'âge de cinq ans à Marignane. Après, j'ai joué dans plein de clubs : aux Pennes-Mirabeau, au Burel, à Port-de-Bouc, à Martigues et à Istres.
En 2015, tu arrives à l’OM à l’âge de seize ans et demi. Est-ce qu’à ce moment-là, c’est un peu un rêve qui se réalise pour toi ?
Jouer à l'OM, c'est le rêve de tout Marseillais. Porter ce maillot, c'est forcément une grande fierté !
Quelle est ton opinion sur la formation et le suivi des jeunes à l’OM ?
Quand j'étais à l'OM, tout était parfait. Les installations étaient superbes. On avait tout pour réussir. Aujourd'hui, plusieurs joueurs de ma génération sont sortis du centre comme Maxime Lopez, Bouba Kamara ou Christopher Rocchia. Je pense que c'est une question d'envie. Après, beaucoup de jeunes ne sont pas conservés. Mais comme partout. Il ne faut pas faire des généralités.
Tu gravis tous les échelons et tu intègres rapidement l'équipe première. Qu’est-ce que ça fait de s’entraîner avec Luiz Gustavo ou Dimitri Payet pour ne citer qu’eux ?
Au départ, pour être sincère, je ne réalisais pas. J'ai mis du temps pour m'en rendre compte. L'un de mes rêves était devenu réalité. J'ai dit à Steve Mandanda que je le regardais à la télé quand j'étais petit. Là, je m'entraînais avec lui ! J'étais le plus heureux du monde. C'était magnifique. Je me rappelle de mon premier banc à Monaco (en août 2017, ndlr). Patrice Évra m'avait félicité. Ça fait plaisir. Encore plus quand ça vient d'un grand joueur comme lui. Mais les cadres du vestiaire n'étaient pas trop focalisés sur les jeunes. Ils ne voulaient pas nous mettre la pression. On l'avait déjà (rires) !
Dans quelle mesure Florian Thauvin a-t-il été essentiel pour toi ?
J'étais très proche de lui. D'ailleurs, c'est encore le cas aujourd'hui. On doit jouer à la Play ensemble dans les jours à venir (rires). On joue à Warzone. À l'OM, il m'a énormément aidé. Il était toujours partant pour me conseiller. Après chaque entraînement, je répétais tout ce qu'il faisait. On faisait des exercices basés sur la finition ensemble à la fin des séances. Il m'appelait « petit kho » (littéralement « petit frère » en arabe, ndlr). Il a toujours été là pour moi.
Quel est le joueur de l'OM qui t'a le plus impressionné ?
Luiz Gustavo, sans hésiter ! Il était au-dessus. Son professionnalisme, son comportement sur le terrain et en-dehors… Tu vois directement qu'il a joué au très haut niveau. Tu sens qu'il a une grosse carrière derrière lui. Aujourd'hui, on se voit toujours en Turquie quand on peut (le Brésilien évolue à Fenerbahçe, ndlr). On s'appelle et on rigole beaucoup ensemble. Mais quand j'ai marqué contre son équipe (le 17 octobre dernier, ndlr), il ne voulait plus me parler (rires) !
À l'époque, c’est Rudi Garcia qui entraîne l’OM. Qu’est-ce que tu peux nous dire sur ta relation avec lui ?
On ne parlait pas énormément. De temps en temps. Personnellement, il m'aimait beaucoup. C'est lui qui m'a fait sortir du centre. Je le remercie encore aujourd'hui. Récemment, Gervinho (son coéquipier à Trabzonspor, ndlr) lui a envoyé une photo de moi. Et Garcia a dit « ça, c'est mon petit ». Franchement, ça s'est super bien passé avec lui. Avec son adjoint Claude Fichaux également.
Le 24 septembre 2017, tu effectues ton premier match chez les professionnels face à Toulouse. Tu remplaces Thauvin dans le temps additionnel. Est-ce qu’on profite vraiment quand on ne joue que quelques minutes ?
Franchement, je n'ai pas profité ! Ça m'a fait quelque chose, mais c'est impossible pour moi de considérer cette rentrée comme ma grande première chez les pros. C'était bien, parce que ça fait toujours plaisir de fouler un terrain, mais surtout frustrant. Je n'ai pas touché un ballon ! Je suis rentré et l'arbitre a sifflé la fin du match. Au final, ça reste mon seul match de Ligue 1 avec l'OM. Pour l'anecdote, je ne devais même pas rentrer (rires). Clinton Njie devait rentrer mais il a eu un souci de dernière minute. C'est pour ça que j'ai pu jouer.
Est-ce que tu t’attendais à avoir plus de temps de jeu en championnat après avoir connu tes débuts chez les pros ?
En fait, je n'avais pas encore signé pro. Les négociations étaient en cours. Je me suis dit, avec l'aide de mon entourage, que si je n'avais pas signé et que j'entrais déjà en jeu, c'était quelque chose de bien. Je voulais donc signer pro rapidement. C'est arrivé quelques semaines après (le 22 novembre, ndlr).
Tu te distingues en Coupe de France. Tu es titulaire à Épinal et tu rentres à Bourg-en-Bresse puis au Parc des Princes contre le PSG. Tu as su saisir ta chance. Pourquoi tu n’as plus joué par la suite ?
(il réfléchit) Marseille, c'est spécial ! Personnellement, je pense que j'aurais dû avoir plus de temps de jeu. Je ne cracherai jamais sur l'OM. C'est mon club de cœur, celui que j'aime depuis tout petit. Mais je pense que j'aurais pu avoir beaucoup plus de chances de me montrer. Je méritais. Après, c'est comme ça. Je ne regrette rien et surtout, je n'en veux à personne. L'équipe tournait très bien, et le groupe était très fort.
Dans la lignée de tes performances, tu es sélectionné avec la sélection espoir turque. Jouer pour la Turquie, c’était une évidence ?
Oui, j'ai toujours voulu jouer pour la Turquie ! Cette décision a fait plaisir à ma famille et à mon entourage. J'attache énormément d'importance à mes origines. La France, c'est aussi mon pays. Mais en réalité, à cette époque-là, je ne me posais même pas la question. Si j'avais eu l'opportunité de jouer avec l'équipe de France, j'aurais pu réfléchir. Mais lorsque l'offre de la fédération turque est arrivée, je n'ai pas réfléchi une seconde !
En août 2018, tu es prêté à Clermont en Ligue 2. C’était important pour toi d’enchaîner et de jouer régulièrement ?
J'ai beaucoup parlé avec Rudi Garcia avant de prendre ma décision. J'avais des offres de Troyes, d'Ajaccio et de Sochaux. Mais le coach de Clermont (Pascal Gastien, ndlr) me voulait vraiment. Descendre d'un étage pour gagner du temps de jeu, forcément c'était idéal pour moi. Quand tu es jeune, tu as besoin de jouer.
Malheureusement, ça ne se passe pas très bien. Tu reviens à Marseille en janvier. Pourquoi ?
Très clairement, je n'ai pas été respecté ! Du début à la fin. Le coach de Clermont m'a dit qu'il avait besoin de moi dans son effectif. Mais dès le premier match, je n'ai pas été convoqué. C'était normal, je venais d'arriver, je devais m'intégrer. En fait, il voulait que je joue avec la réserve ou avec les jeunes ! J'ai compris que je ne comptais pas à ses yeux. Je n'ai jamais affirmé que je voulais jouer d'entrée. Mais je m'attendais à avoir un certain temps de jeu. Mon agent m'a dit de rester tranquille. Au final, je n'ai rien dit. Après quelques mois, j'ai demandé à partir. Et je suis retourné à Marseille.
Quand tu reviens à l’OM en janvier, qu'est-ce que tu envisages ?
Le club n'était vraiment pas content de me voir revenir. Les dirigeants attendaient beaucoup plus de moi lors de ce prêt. Avant mon prêt, quand Rudi Garcia me parlait, il me disait que j'étais le futur de l'équipe. Il m'avait affirmé qu'il souhaitait faire de moi un gros joueur. Quand je suis revenu, je n'ai plus remis les pieds une seule fois au sein de l'équipe première. En plus, les terrains de l'équipe pro et de la réserve sont au même endroit. Quand je m'entraînais avec la CFA avec David Le Frapper, j'avais les larmes aux yeux. Pourtant, j'ai dit aux dirigeants que ce n'était pas ma faute. Mais ils n'ont rien voulu savoir…
En fin de saison, tu t’engages avec Trabzonspor en Turquie. Dans quel contexte ?
Je devais me trouver un nouveau défi alors que j'avais encore deux ans de contrat avec l'OM. Dans ma tête, c'était l'OM avant tout. Mais Andoni Zubizarreta (le directeur sportif du club à l'époque, ndlr) ne me voulait plus. Trabzonspor est arrivé et ma vie a basculé. Lors de ma première année en Turquie, j'ai un peu regretté mon départ de l'OM. L'année où je suis parti, le poste d'ailier droit était vide ! Tout le monde était blessé. Et c'est Marley Aké, qui était en réserve avec moi, qui a commencé à jouer…
Tu es Franco-Turc. La Turquie, qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Je suis né en France. La Turquie, c'est mon pays d'origine. Je n'y suis allé qu'une ou deux fois quand j'étais petit. J'aime autant la Turquie que la France. Je n'ai pas de préférence. La France m'a aidé dans beaucoup de domaines.
Comment t'es-tu adapté à la Turquie ?
Encore aujourd'hui, ça m'arrive de galérer. Je pense que j'ai mis deux bonnes années à m'adapter totalement. Pas au niveau de la langue. Même si je ne parlais pas turc avant d'arriver. J'avais des petites notions car je parle kurde et qu'il y a des similitudes avec le turc. J'ai vite appris la langue. En plus, je ne suis pas à Istanbul. Là où je suis, je ne peux pas prendre un avion pour Marseille dès que j'en ai envie. Il n'y a pas grand-chose. C'est la campagne (rires). Donc c'est encore aujourd'hui parfois un peu difficile.
Comment expliques-tu la passion qu’ont les Turcs pour le football ?
Pour être honnête, je pense que les Turcs ne sont pas les plus connaisseurs en ce qui concerne le jeu. Mais les ambiances… C'est juste incroyable ! J'ai joué à l'OM, mais c'est incomparable. En Turquie, les supporters sont beaucoup plus chauds. Quand je vois un OM-PSG, ce n'est rien par rapport à un Galatasaray-Fenerbahçe. L'ambiance du match entre Galatasaray et l'OM, elle était incroyable ! J'ai appelé Bouba Kamara, il était choqué !
Tu fais une très bonne première saison, malgré quelques blessures. Vous jouez le titre et vous remportez la Coupe. C'était important pour toi de te relancer rapidement ?
Oui, vraiment. Sur le terrain, j'ai connu de superbes débuts avant de me blesser. Je cassais tout. Pour l'anecdote, Zubizarreta a appelé mon agent et lui a dit qu'il était très content de ma progression. En fait, il voulait que Trabzonspor me vende car l'OM avait un pourcentage à la revente. Il souhaitait que mon transfert soit rentable, puisque c'est lui qui avait voulu me faire partir...
La saison suivante, vous remportez la Super Coupe, mais tu joues un peu moins. Comment l’expliquer ?
Je pense que c'est essentiellement à cause de mon adaptation difficile et de mes nombreuses blessures. J'ai eu un peu de mal à m'en remettre… Mais c'est certain que gagner des titres, ça fait toujours plaisir. Même quand on joue moins. Les gens qui ne s'intéressent pas à la Turquie peuvent penser que le niveau n'est pas élevé, mais un titre c'est un titre ! Certains joueurs jouent dans des grosses équipes et n'ont aucun trophée à leur actif.
En parlant de titre, Trabzonspor réalise un début d’exercice parfait avec onze victoires et trois matchs nuls en quatorze matchs. Comment expliquer ce départ canon ?
J'espère que l'équipe sera championne en fin de saison ! L'ambiance au sein du vestiaire est exceptionnelle. C'est à la base de notre succès. Tout le monde s'entend bien. On va tout faire pour remporter le championnat. Il y a deux ans, on a tout perdu au dernier moment. Je ne veux pas revivre ça.
Quel regard portes-tu sur le football turc ?
Je pense que le championnat turc est mal perçu. Le niveau n'est pas si bas que ce que les gens peuvent penser. Aujourd'hui, de grands joueurs jouent en Turquie. Même s'ils ne sont pas jeunes, ils galèrent (rires) ! Mais c'est vrai que la présence de ces joueurs-là est bénéfique. Ils apportent de l'expérience. Quand des joueurs comme John Obi Mikel ou Marek Hamšik viennent dans une équipe turque, c'est évident que c'est une bonne chose ! Ils ne peuvent qu'aider les jeunes.
Même si tu n'es pas forcément titulaire en club, tu as récemment été appelé en sélection pour la première fois au plus haut niveau. Qu'est-ce que ça fait de représenter son pays au niveau international ?
C'est énorme ! J'en suis très heureux ! Quand je l'ai annoncé à mon père, il n'a pas tout de suite saisi (rires). Mes parents ont été fiers de moi. Après, pour être honnête, j'espérais être convoqué avant. J'attendais ce moment avec impatience. Jouer avec Cengiz Ünder, Burak Yılmaz, Hakan Çalhanoğlu ou Çağlar Söyüncü, ça fait vraiment plaisir. Quand je me dis que je suis avec les A, ça me donne envie d'aller encore plus haut. Je veux atteindre tous mes objectifs.
La Turquie doit se défaire des barrages pour espérer se qualifier au prochain Mondial, qui se tiendra au Qatar dans un an. Jouer une Coupe du monde, qu'est-ce que ça t'inspire ?
J'aimerais vraiment être de nouveau appelé. En plus, on va jouer contre le Portugal. Il faut que j'accumule plus de temps de jeu en club. Disputer une Coupe du monde, ce serait incroyable ! Ce serait vraiment très beau. Porter le maillot de la Turquie, mon pays, à ce niveau-là...
Tu n'as plus qu'une quelques mois de contrat avec Trabzonspor. Quelles sont tes ambitions ?
J'ai envie de retourner en Europe ! Je sais que j'ai les qualités pour y réussir. Pourquoi pas reporter le maillot de l'OM un jour ? Ça serait ma plus grosse fierté. Mais si je reviens, c'est pour jouer (rires). Je ne me vois pas rester sur un banc, j'ai envie de prendre du plaisir.
Aujourd'hui, est-ce que certains joueurs qui évoluent à ton poste t’inspirent ?
J'aime voir du beau jeu, donc forcément ! Je vais citer deux gauchers qui jouent au même poste que moi : Lionel Messi et Mohamed Salah. Je regarde beaucoup comment ils jouent. On me dit souvent que j'ai des similitudes avec Xherdan Shaqiri. Je suis petit, trapu, gaucher, rapide et explosif, comme lui.
Être un joueur offensif, est-ce que ça a toujours été une vocation pour toi ?
Oui, j'ai toujours joué en attaque. Que ce soit au poste de numéro dix, à droite ou à gauche.
Qu’est-ce que tu penses de l’évolution du poste ? Avant, les ailiers gauchers jouaient à gauche mais depuis un certain temps, ils sont davantage à droite.
Plus qu'un seul poste, c'est le football qui a évolué. Désormais, l'aspect tactique a pris une plus grande dimension. Pour un arrière gauche, je pense que c'est plus difficile de défendre face à un gaucher. Impossible de savoir si l'ailier va aller vers l'intérieur ou vers l'extérieur.
Si demain tu as l’occasion de signer dans le club de tes rêves, ça serait lequel ?
Je vais dire le Real Madrid (rires) ! C'est un gros club qui m'a toujours donné envie.
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