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Le Corner

·22 avril 2020

La guerre du football, du ballon aux balles

Image de l'article :La guerre du football, du ballon aux balles

En 1969, la rencontre qualificative pour la Coupe du Monde entre le Salvador et le Honduras attise les braises sur les tensions qui opposent ces deux pays voisins. Quelques jours plus tard, le Salvador bombarde la capitale hondurienne et la Guerre de Cent Heures, ou Guerre du Football, éclate.

Dire qu’un simple match de football a déclenché une guerre serait faire un raccourci bien trop simpliste. Pour comprendre la dispute entre ces deux pays, il faut remonter un peu plus loin.


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Le Salvador est un petit pays d’Amérique Centrale constitué de 3,2 millions d’habitants à l’époque. L’agriculture y est très bien exploitée, mais malheureusement les terres sont possédées en majeure partie par les familles les plus riches du pays. L’exportation est ainsi privilégiée pour l’enrichissement des propriétaires, au détriment de la population. Cela pousse ainsi des milliers de salvadoriens a émigrer chez le voisin hondurien.

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Le Honduras est six fois plus grand, et compte moins d’habitants, 2,5 millions. Les salvadoriens espèrent donc y trouver des terres à cultiver, et en 1969 ils sont environ 300.000 à vivre au Honduras. La frontière entre les deux pays était extrêmement poreuse, et sur place les salvadoriens ne se faisaient pas vraiment remarquer tant les deux populations sont similaires. Toutefois, au Honduras les terres viennent aussi à manquer, notamment à cause du contrôle de la United Fruit Company, multinationale américaine. Vous l’aurez deviné aisément, les paysans honduriens accusent les migrants salvadoriens de venir voler leurs terres et d’être une concurrence déloyale en acceptant des salaires moins élevés. Cette contestation est bien appuyée par le gouvernement hondurien, en manque de légitimité. En effet, le président Oswaldo López Arellano a réalisé un coup d’état dix jours avant le scrutin présidentiel, et l’a remporté dans la foulée, non sans truquer les élections évidemment. Une coutume de l’Amérique Latine. Arellano va par la suite essayer d’unir son peuple en définissant un bouc-émissaire : le salvadorien. La presse va jouer un rôle majeur dans cette tension, en instrumentalisant ce conflit au profit du pouvoir. Les immigrés vont ainsi subir des persécutions partout dans le pays, et nombreux seront assassinés par un groupe paramilitaire, La Mancha Brava, dont tout lien avec le gouvernement est évidemment nié. Le gouvernement salvadorien aura ainsi du mal à s’organiser face aux retours trop nombreux au pays des immigrés fuyant la violence. Ajoutez à cela une vieille dispute pour des territoires entre ces deux pays et vous avez tous les ingrédients nécessaires pour qu’une guerre éclate.

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Dan Hagedorn, auteur d’un livre sur le conflit a résumé la situation ainsi :

“Dans une large mesure, cette guerre concernait des terres disponibles, trop de monde dans trop peu d’espace, et l’oligarchie dirigeante alimentait simplement le feu en lien avec la presse.”

C’est dans ce contexte brûlant, et très particulier, que les équipes nationales du Salvador et du Honduras vont s’affronter dans une double confrontation décisive pour la qualification au mondial mexicain, hasard du destin sans doute.

Trois matchs houleux

Revenons maintenant au football. Le match aller se déroule le 8 juin 1969 au Honduras. Klaxons, pétards et bruit de tôle furent les mots d’ordre des supporters honduriens, cernant l’hôtel où résidaient les joueurs adverses toute la nuit précédant la rencontre. Ce sont des salvadoriens épuisés qui s’inclinent 1 à 0 à Tegucigalpa face aux Catrachos, surnom des honduriens. C’en est de trop pour Amelia Bolaños, jeune salvadorienne qui se suicide d’une balle dans le cœur. Ses obsèques seront instrumentalisés par le gouvernement du Salvador et son président Fidel Sánchez Hernández.

Lors du match retour les rôles s’inversent, mais le niveau de violence grimpe. L’hôtel de la sélection du Honduras est incendié, sans faire de victime, mais obligeant les joueurs à en changer. La nuit sera une nouvelle fois bien agitée et les honduriens arrivent au stade le lendemain exténués. Lors des hymnes, le drapeau du Honduras brûle devant une foule en délire. Bilan des courses, victoire 3-0 de la Selecta, surnom de l’équipe nationale du Salvador. Après le match, des affrontements auront lieu entre supporters à la frontière et deux honduriens perdront la vie.

En ce qui concerne le vainqueur de la double confrontation, le goal average n’est pas pris en compte pour la qualification, une troisième rencontre devra être disputée. Le Mexique se propose comme terrain neutre et accueille ce match tant attendu à l’Estadio Azteca. Les médias des deux côtés continuent à jeter de l’huile sur le feu, si bien qu’il ne s’agit plus de se qualifier pour la Coupe du Monde, mais de fierté nationale, de supériorité sur le voisin. Le match couperet se déroule dans un contexte particulier, entaché par les nombreux affrontements entre supporters. Plusieurs spectateurs seront blessés à l’issue du match, la ville de Mexico est envahie par des honduriens et salvadoriens venus pour en découdre avec l’ennemi et les hôpitaux sont bondés. A la frontière, la violence ne s’arrête plus et de nombreux morts sont à déplorer.

Côté terrain, le match se passe étrangement bien, les deux sélections ont un niveau similaire et le score est de 2-2 à la fin du temps réglementaire. Durant les prolongations, Mauricio Rodríguez inscrit le but qui offre la victoire au Salvador. Il aura donc fallu deux fois 90 minutes et encore 120 minutes pour trouver un vainqueur à cet affrontement. Après le match, les joueurs saluent leurs adversaires dans le plus grand respect, comme s’ils étaient déconnectés par rapport au contexte de cette lutte fratricide. Le héros du match Mauricio Rodríguez déclara plus tard : “Pour nous comme pour les joueurs honduriens, ce n’était pas un match entre ennemis, mais entre rivaux sportifs.”

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Quelques jours plus tard, des bombes pleuvent dans le ciel de Tegucigalpa et le Salvador vient de déclarer la guerre au Honduras.

Une courte guerre

Le Salvador décide d’attaquer son voisin le 14 juillet, misant alors sur une guerre éclair, à l’image de la blitzkrieg de l’Allemagne nazie. Le Salvador domine ce conflit rapidement mais tout prendra fin, quatre jours après son début, d’où le nom de Guerre de Cent Heures. Sous la pression de l’OEA, l’Organisation des Etats Américains, et accusant un manque criant de matériel, les deux pays signent un cessez-le-feu le 18 juillet, bien qu’il faille attendre un mois de plus pour que les forces salvadoriennes se retirent du Honduras. Durant cette courte mais violente guerre, on estime que 3.000 personnes ont perdu la vie, sans compter les milliers de blessés et déplacés. En représailles, le Honduras a fermé pendant très longtemps ses frontières avec le Salvador, isolant encore plus le pays et l’empêchant d’exporter autant qu’il souhaiterait.

On la surnomme donc Guerre du Football, mais la genèse de ce conflit est bien plus profonde qu’une simple qualification à la Coupe du Monde. Si la triple confrontation a nettement fait monter la tension, n’importe quel autre incident aurait pu avoir le même effet. Mauricio Rodríguez l’affirme : « La guerre aurait eu lieu, avec ou sans mon but”. Le nom de Guerre du Football provient du livre éponyme écrit par un journaliste polonais présent pendant les événements, Ryszard Kapuściński.

Et le football dans tout ça ? Car oui, le Salvador s’était qualifié sur le terrain tout de même. Afin de se qualifier pour le mondial au pays des Aztèques, la Selecta devait encore disposer des Haïtiens. Les bleus et blancs s’imposent à l’extérieur mais perdent le match retour à domicile face aux Grenadiers. Aucun vainqueur donc et un troisième match en terrain neutre doit être disputé, à Kingston en Jamaïque. Le Salvador s’impose une nouvelle fois en prolongations, sans qu’une guerre éclate par la suite cette fois-ci, et obtient son billet pour la Coupe du Monde. Première équipe de l’Amérique Centrale à disputer un mondial, si on exclut le Mexique, le Salvador va faire de la figuration en phase de poule. Défaite 2-0 contre la Belgique, 3-0 contre l’URSS et enfin 4-0 face aux mexicains, hôtes de l’édition. Cependant, la qualification était déjà une énorme victoire pour ce petit pays.

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Le football, et le sport en général, se retrouvent souvent utilisés à des fins politiques. La rencontre entre le Salvador et le Honduras devait simplement avoir un enjeu sportif, mais les deux gouvernements ont instrumentalisé le match au profit du nationalisme et de la haine du voisin. L’implication du monde politique dans les événements sportifs ne présage jamais rien de bon, et l’histoire l’a confirmé. Après avoir couru derrière un ballon, les peuples honduriens et salvadoriens ont dû éviter les balles.

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