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·11 mars 2021

L’Akhmat Grozny, l’instrument du pouvoir tchétchène

Image de l'article :L’Akhmat Grozny, l’instrument du pouvoir tchétchène

La guerre marque souvent la fin des clubs de football. C’est évidemment le cas pour l’actuel Akhmat Grozny avec les deux guerres de Tchétchénie. Après le rétablissement de la paix et l’installation de gouvernants pro-russes, le club a pu être recréé. Depuis près de vingt ans, il est un acteur stable de la première division russe et est utilisé dans la propagande du président de la République, le très controversé Ramzan Kadyrov.


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Le club de Grozny est fondé en 1946 sous le nom de Dynamo. Il devient le Neftianik de 1948 à 1958 avant de choisir son nom historique : le Terek Grozny, du nom d’une rivière qui coule au nord de la république de Tchétchénie, une république qui fait partie de la fédération de Russie.

Au cours de la période soviétique, le club joue dans les divisions inférieures du pays. Après une première année en troisième division soviétique en 1946, le club joue finalement dans des championnats locaux jusqu’en 1957. A partir de cette année et jusqu’en 1994, il évolue entre la deuxième et la troisième division du pays (exception en 1971 où le club joue en quatrième division).

Le tournant majeur pour le club a lieu à la chute de l’URSS. La Tchétchénie n’est pas un état comme les autres. Il est animé par un grand désir indépendantiste de la part des Tchétchènes, un peuple du Caucase qui parle le tchétchène et qui a pour religion prédominante l’islam sunnite. Le président de la République, Djokhar Doudaev, proclame l’indépendance de la Tchétchénie en 1991. Moscou envoie alors des troupes pour rétablir l’ordre. Cette première guerre de Tchétchénie dure de 1994 à 1996. Une seconde se déroule entre 1999 et 2000. Elle oppose le pouvoir central russe et des milices armées indépendantistes qui souhaitent une république islamique tchétchène.

Dissolution et renaissance

A partir de 1994, le club est dissous et tombe dans l’anonymat. Il évolue au sein du championnat local. Une grande partie des joueurs ont fui dans les républiques proches du Daghestan ou de Kalmoukie. D’autres restent à Grozny ou se réfugient dans les villages de montagne. Une minorité décide quant à elle de se battre. Dzhumbulat Samkhadov, ancien capitaine du club, a dirigé l’offensive tchétchène pour reprendre Grozny en 1994. Chamil Bassaïev, considéré un moment par Moscou comme « le terroriste numéro un ». Il est à l’origine d’attentats ayant causé la mort de plus de 150 personnes à Boudionnovsk en juin 1995 et près de 350 à Beslan en septembre 2004. Il a joué au club lorsqu’il évoluait dans les échelons locaux en 1997. Pendant la guerre, le stade du Terek était occupé par une division de chars russes. Sept jeunes du club ont aussi été tués lors d’un bombardement en plein match.

En 2001, les autorités du pays décident de relancer le club, à l’initiative du ministre des sports de Tchétchénie, Khaidar Alkhanov, ancien joueur du club dans les années 1980. Le président du club est alors Akhmad Kadyrov. Celui-ci est placé à la tête du gouvernement de la région par Moscou dès 2000 et est élu président de la République en 2003.

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Le centre d’entraînement n’est pas situé dans la région car elle demeurait une zone de guerre. Malgré la restauration du contrôle de la région par la Russie, des attentats sont toujours perpétrés. Ce n’est qu’en 2009 que le régime met fin au statut de « zone d’opération antiterroriste », après près de quinze années d’un conflit. Certains parlent même d’un « génocide » du peuple tchétchène avec des estimations allant de 100 000 à 300 000 civils tués. C’est donc à Kislovodsk, station thermale située dans le kraï de Stavropol, que les joueurs s’entraînent, à plus de 300 km de Grozny. Le club joue aussi des matchs à Piatigorsk, dans la même région, à près de 280 km de la capitale tchétchène.

2004, l’année des succès

Le club reprend en troisième division et devient champion dès l’année suivante, en 2002. Il monte alors en second division et termine quatrième. L’année 2004 est un tournant pour l’histoire du club tchétchène. Il remporte le championnat et accède donc pour la première fois à la première division du pays. Ce titre est historique. Le Terek termine premier avec 100 points, un record et une série de 21 matchs sans défaites.

Le 9 mai 2004, le président du club et de la région, Akhmad Kadyrov, est tué lors d’un attentat à la bombe au stade de Grozny au cours d’une commémoration. Pourtant, vingt jours plus tard, le club obtient son premier et seul trophée majeur, la coupe de Russie. Le club de deuxième division parvient à vaincre le Krylia Sovetov Samara, alors en première division, 1 but à 0 grâce à un but d’Andreï Fedkov. Pour remporter le championnat de D2 et la coupe, le club s’est appuyé sur plusieurs anciens internationaux russes comme Oleg Teriokhine, Andreï Fedkov, Viktor Boulatov, Maksim Bokov ou encore Aleksandr Chmarko.

La victoire en coupe lui permet de participer à la coupe de l’UEFA pour la saison 2004-2005. Au deuxième tour préliminaire, elle remporte ses deux matchs 1 but à 0 face au Lech Poznań (Pologne). Elle hérite au tour suivant du FC Bâle. Au cours du match aller, au stade du Lokomotiv Moscou, le Terek parvient à obtenir un nul 1-1 mais il perd au match retour 2-0 en Suisse. Bâle n’était d’ailleurs pas rassuré par cette opposition car la période demeurait dangereuse avec la prise d’otage de Beslan mais aussi des attentats contre des avions (89 morts en août 2004) ou dans le métro de Moscou (40 morts en février 2004). Le club suisse demandait un match dans un stade neutre mais son appel n’a pas été entendu. Aucun Suisse n’avait d’ailleurs fait le déplacement.

Pour sa première saison dans l’élite, le club termine dernier et doit redescendre à l’échelon inférieur. Il y restera deux années avant de remonter et de conserver sa place jusqu’à aujourd’hui.

Le retour en Tchétchénie

Ce n’est qu’en 2008 que le Terek est autorisé à rejouer ses matchs à Grozny. En 2011, un nouveau stade est inauguré avec près de 30 000 places, l’Akhmad Arena. Après la mort d’Akhmad Kadyrov, c’est son fils Ramzan qui prend la tête du pays et du club. Il décide alors de donner le nom de son père à la nouvelle enceinte. Un match est organisé pour son inauguration. Le président fait venir de nombreuses anciennes stars mondiales comme Diego Maradona, Luis Figo, Fabien Barthez, Franco Baresi, Enzo Francescoli, Jean-Pierre Papin, Manuel Amoros, Ivan Zamorano, Steve McManaman, Robbie Fowler ou Alain Boghossian.

Un match entre une équipe de Tchétchénie contre des anciens champions du monde brésiliens avait aussi marqué quelques mois auparavant. Romário, Dunga, Bebeto, Cafu ou Raí étaient présents, tout comme Lothar Matthäus et Oliver Kahn qui avaient été invités pour jouer auprès de l’équipe du président. Raí regrettera d’ailleurs sa participation sur son site officiel en affirmant : « Je me sentais mal à l’aise pendant toute la rencontre, et j’avais envie de me cacher de tous, et même de moi-même […] C’était simplement un évènement à caractère politique et populiste. Avant le match, ils nous ont prié de ne pas jouer au maximum, puisque de toutes façons, le match devait avoir l’aspect d’une blague ».

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Ces matchs font polémique alors que le président est accusé de nombreuses atteintes aux droits de l’homme avec des actes de torture, des assassinats ou des persécutions contre les homosexuels. De nombreux opposants à Ramzan Kadyrov ou son allié Vladimir Poutine ont en effet été assassinés comme la journaliste et militante pour les droits de l’homme, Anna Politkovskaïa ou l’opposant Boris Nemtsov. Le budget du club est en effet en partie financé par le Kremlin. Le Terek est une vitrine pour la région et par celui-ci, Vladimir Poutine et son allié tentent de montrer que tout va bien en Tchétchénie. Depuis 2011, Ramzan Kadyrov est devenu président d’honneur du club et le poste de président a été confié à Magomed Daudov, président du Parlement de la République tchétchène.

En janvier 2011, le club pense réaliser un gros coût en annonçant l’arrivée de Ruud Gullit comme entraineur du club. Ramzan Kadyrov affirme même qu’avec lui, ils pourront gagner la Ligue des champions. L’expérience tourne court et ne va pas au bout des 18 mois du contrat. Il est limogé après 13 journées de championnat avec une 14e place sur 16 et 12 points au compteur. Plusieurs grands noms sont évoqués pour rejoindre le club durant cette année comme Ronaldo, Diego Forlán ou Nicolas Anelka mais les transferts n’aboutissent pas. Le projet du club est cependant différent de celui de son voisin du Daguestan, l’Anzhi Makhachkala. Celui-ci avait lancé un grand projet pour le club avec le recrutement de Roberto Carlos ou Samuel Eto’o, mais qui végète aujourd’hui en troisième division.

Grozny, aux portes de l’Europe

Lors de la saison 2016-2017, le club réalise sa meilleure saison en première division et termine 5e. Il échoue à un point de la 4e place, qualificative pour la Ligue Europa. A la fin de cette saison, le club change de nom et devient l’Akhmat Grozny « à la demande de milliers de supporters » selon le fils de l’ancien président du club. C’est un nouvel hommage rendu à l’ancien président régional. Depuis, le club ne parvient pas à réaliser de nouveaux coups comme en 2016-2017 et joue tous les ans dans la deuxième partie de tableau.

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Parmi les joueurs passés par le club, plusieurs joueurs ont été sélectionnés lors des grandes compétitions européennes et internationales en étant sous contrat avec le Terek ou l’Akhmat. En 2012, Maciej Rybus est sélectionné pour participer à l’Euro avec l’équipe de Pologne. En 2016 c’est Oleg Ivanov qui se rend en France avec la sélection russe. Andreï Semionov représente quant à lui la Sbornaya pour les mondiaux 2014 et 2018. Enfin, Milad Mohammadi participe au mondial russe avec la sélection iranienne.

Même si le palmarès de l’Akhmat Grozny est assez faible et s’il se contente souvent de jouer le milieu de tableau, voire le maintien presque chaque année, il reste un club important du championnat. Il est le sixième club à avoir la plus longue longévité en étant présent dans la ligue sans discontinuité depuis 2008. Seuls le Lokotomotiv, le CSKA, le Spartak, le Zénith et le Rubin Kazan sont présents depuis une date plus ancienne. Propriété de l’État tchétchène, il demeure un bon élément de propagande pour le pouvoir en place et tente d’incarner aujourd’hui une image plutôt positive de la Tchétchénie.


Sources :

  • Site officiel du club.
  • CANDAU Adrien, Le Ramzan Kadyrov FC, So Foot, 12 juin 2017.
  • GAUTIER Antoine, En route pour la Russie #31 – L’Egypte à Grozny : football, islam et propagande, Footballski.fr, 19 juin 2018.
  • HESSE David et PUNTAS BERNET Daniel, Football brulant. Le FC Bâle contre Terek Grozny, à Moscou, Le Temps, 14 septembre 2004.
  • LE MONDE AVEC AFP, Maradona, Figo et Boghossian mouillent le maillot en Tchétchénie, Le Monde, 12 mai 2011.
  • LE MONDE AVEC AFP ET REUTERS, Le président tchétchène s’illustre lors d’un match amical contre le Brésil 94, Le Monde, 9 mars 2011.
  • O’MAHONY John, War games, The Guardian, 12 mai 2001.
  • PAUWELS Alexandre, Le Terek enfin grand ?, So Foot, 22 septembre 2012.
  • SO FOOT, Rai regrette l’amical de Grozny, So Foot, 25 mars 2011.
  • WALKER Shaun, The worst football transfer in the world ?, The independent, 20 janvier 2011.

Crédits photos : Icon Sport

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