Le Corner
·18 avril 2020
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·18 avril 2020
Avant la MSN du Barça ou la BBC du Real, l’AC Milan comptait lui aussi, un trio magique dans ses rangs. Il n’est pas question aujourd’hui des trois fameux Hollandais qui ont contribué à faire des Rossoneri la meilleure équipe du monde à la fin des années 80, mais de joueurs qui ont sévis près de quarante ans en arrière, à l’aube des premières légendes du club.
Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, le football reprend peu à peu son rythme. Les compétitions redémarrent enfin après plusieurs années d’absence. Si les championnats nationaux sont de retour, ce sont bien les Jeux Olympiques de Londres, en 1948, qui font office de première compétition internationale depuis la fin de la guerre. Le tournoi de football est remporté, à la grande surprise, par la Suède. Par un football méthodique, les Blågult écrasent tous leurs adversaires. Au premier tour, l’Autriche tombe sur le score de 3-0. Puis vient la correction infligée à la République de Corée, 12-0 ! En demi-finale le Danemark ne fait pas le poids en étant vaincu 4-2 et que dire de la Yougoslavie, balayée 3-1 en finale. Les Suédois, qui ont époustouflé le monde entier, remportent l’or olympique, leur premier et unique titre international. L’équipe, dont les joueurs ont encore un statut amateur, voient alors l’une de ses plus belles générations éclater. L’armada suédoise est portée par un trio offensif alors peu connu au-delà des frontières scandinaves : Gunnar Nordahl, Nils Liedholm et Gunnar Gren. Avec ses sept buts inscrits, le premier, également entouré dans l’équipe par deux autres de ses frères titulaires lors du tournoi, n’est pas étranger au sacre. Une performance qui va le révéler aux yeux du monde.
Les exploits de Gunnar Nordahl ne passent pas inaperçus. Avant d’exploser dans le reste de l’Europe, le joueur est déjà prophète en son pays avec une horde de buts marqués dans son championnat, plus de 150 en pratiquement autant de matches. L’AC Milan va alors se manifester pour attirer l’actuel joueur de l’IFK Norrköping. Le club lombard ne vit pas ses plus belles heures, son dernier titre remonte à l’année 1907. Les Rossoneri enchaînent néanmoins les podiums, dont la marche la plus haute est monopolisée par le grand Torino des années 40. Cette concurrence n’effraie pas il Pompierone (le pompier, en référence à son métier d’origine), au contraire, elle le motive à signer dans un championnat beaucoup plus compétitif. Il est alors le premier Suédois de l’histoire à quitter son pays pour jouer à l’étranger. L’origine du transfert est néanmoins surprenante. En effet, un an plus tôt, le Danois Johannes Pløger tombe d’accord avec les Diavoli pour s’engager. Arrivé à la gare de Milan, des émissaires de la Juventus l’interceptent et l’emmènent à Turin pour le faire signer chez les Bianconeri. Pour se rattraper, Gianni Agnelli, alors propriétaire du club turinois, contacte le directeur de sa filiale à Stockholm espérant recevoir la recommandation d’un joueur qu’il pourrait offrir à l’AC Milan. Nordahl débarque à Milan le 22 janvier 1949, en cours de saison. L’homme est accueilli comme une star. Il y retrouve d’ailleurs son ancien entraîneur à IFK Norrköping en la personne de Lajos Czeizler et un certain Lorenzo Buffon, grand oncle de. Avec ce transfert professionnel, Gunnar Nordahl est forcé de prendre sa retraite internationale, à son grand regret. La règle limitait à l’époque l’accès à l’équipe nationale aux amateurs. A peine arrivé, l’homme impressionne déjà : 16 buts en 15 matches. D’une grande puissance physique, il est inarrêtable quand il est lancé en pleine course et ses adversaires sont obligés de s’agripper à lui pour l’arrêter. Un vrai bison. Il marque de toutes les manières : du droit, du gauche, de la tête, en pleine course comme à l’arrêt. Le Milan semble avoir eu du flair, d’autant plus que Pløger, le joueur chipé par la Juve, ne s’imposera lui jamais sous ses couleurs avec seulement 1 but en 16 rencontres. Il Bisonte devient très vite le nouveau chouchou du public milanais. Il permet à son équipe de finir la saison à la troisième place.
Nordahl s’est vite adapté à ses nouvelles couleurs, mais Gunnar est seul, loin de sa famille et de ses amis restés en Suède. De plus, il sent que l’équipe est perfectible et capable de tutoyer les sommets du championnat. C’est pourquoi, avant de débuter la nouvelle saison, il se rend au siège de Milan afin de parler au président Umberto Trabattoni et au directeur sportif Toni Busini afin de les convaincre de signer deux personnes qu’il connait bien : « Là-haut en Suède, j’ai deux de mes amis qui jouent très bien au foot, l’un s’appelle Gunnar Gren et l’autre Nils Liedholm, je vous conseille de les prendre. » Son souhait sera exaucé. Gren et Liedholm arrivent dans la capitale lombarde à l’été 1949. Nordahl retrouve alors ses deux coéquipiers avec qui il a remporté les Jeux Olympiques un an plus tôt. Ce n’était pourtant pas gagné pour tenter d’attirer son ancien compère de l’IFK Norrkoeping : « Je finis par accepter surtout à cause de la fatigue. Nous avons parlé toute la nuit. Nous étions à l’aube quand je dis oui », rappelait Liedholm. Grand bien lui en prendra.
Une nouvelle saison de championnat commence. Le concurrent au titre est cette année la Juventus emmenée par Giampiero Boniperti et son duo danois John Hansen, Karl Aage Præst, alors que quelques mois plus tôt, l’équipe du Torino périssait dans un accident d’avion. Le Milan aligne son trio suédois et très vite l’équipe change de visage. Le trio s’organise ainsi : Gren en meneur, Liedholm en milieu offensif et Nordahl en pointe. Gunnar Gren, il Professore, est le cerveau de l’équipe. Mezzala élégant sur le terrain, il a une excellente technique, est doté d’une grande intelligence tactique, son sens du positionnement est solide et sa précision dans les passes est remarquable. Nils Liedholm, il Barone, est un milieu aux grandes qualités techniques et un excellent passeur. Figure de l’athlète parfait fort de sa grande condition physique, il était sans doute le plus complet techniquement. Les deux formaient un incroyable couple au milieu de terrain avec Gren sur la gauche et Liedholm à droite. Quant à Gunnar Nordahl, il est le puissant attaquant qu’on connait, un véritable amas de muscles qui lui permet d’avoir un tir puissant et précis. « Il tirait tellement fort qu’il pouvait aussi bien marquer du gauche. Il était aussi à l’aise pour conclure à bout portant que pour tenter des frappes spectaculaires. Il trouvait des espaces dans les conditions les plus invraisemblables. C’est sans aucun doute l’un des plus grands joueurs qu’il m’ait été donné d’observer. Je connais très peu d’attaquants de son niveau. », observait Gren. Les trois joueurs se connaissent parfaitement, savent comment chacun veut recevoir la balle et où se placer pour ce faire. « Avec Gren et Liedholm, nous avions développé une sorte de lien télépathique à force de nous entraîner ensemble », explique Nordahl. « En arrivant en Italie, je me suis rendu compte que les joueurs étaient beaucoup plus mobiles en Suède. Je me suis donc tout de suite attaché à essayer de trouver des espaces entre les défenseurs. Liedholm et Gren l’avaient compris et ils essayent toujours de me servir en profondeur. Ensuite, je n’avais plus qu’à conclure. » La légende « Gre-No-Li » est en marche. Le sigle est trouvé par un journaliste italien qui a des difficultés à écrire et prononcer les noms des trois Suédois.
Sans grande surprise, la Juve finit la première partie de saison en tête, avec six points d’avance sur son dauphin milanais. Les jeux semblent faits, surtout à une époque où la victoire ne rapporte que deux points. Mais la roue va vite tourner. A la 18ème journée, la Vieille Dame s’incline à domicile contre Lucchese quand le Milan fait nul à Trieste, resserrant à 5 points l’écart. Puis nouvel écart, de 7 points cette fois ci quand les Bianconeri s’imposent contre la Sampdoria et que les Rossoneri viennent perdre contre la Roma. Mais rien n’est encore fait, car la Juventus cale contre la Fiorentina avec un nul tandis que l’AC Milan punit la Samp 5-1 dans le même temps avec un Nordahl qui enchaîne les buts. Le weekend suivant, la Juve perd de nouveau chez elle contre la Lazio. Milan qui s’impose, revient à quatre points, puis à trois points la semaine d’après avec sa victoire contre Venise et le nul des Turinois à Bari.
Les Milanais se font de plus en plus menaçants. Vient alors le choc entre les deux candidats au titre le 5 février 1950. Dans cette partie décisive, c’est pourtant la Juve qui part favorite, à domicile face à 50 000 spectateurs. Cette partie est d’autant plus particulière qu’elle est la première partie de Serie A à être diffusée à la télévision. Le coup d’envoi est donné. 13ème minute, les Bianconeri ouvrent le score grâce à leur paire danoise : Praest pour Hansen. La Juve démarre fort, mais cela ne fait que réveiller l’artillerie suédoise du Milan. Deux minutes plus tard, Nordahl égalise sur corner. A la 23ème minute, Gren permet aux Rossoneri de passer devant. Une minute plus tard, Liedholm y va de son but lui aussi. 25ème minute, les Juventini n’y croient pas leurs yeux quand Nordahl vient marquer le quatrième but milanais. Les Turinois sont abattus et la situation ne s’arrange pas lorsque leur défenseur Carlo Parola est exclu juste avant la mi-temps pour des fautes à répétition sur l’indestructible armoire à glace suédoise. La seconde mi-temps est tout autant un calvaire pour la Juve et le Milan appuie sa démonstration de force en marquant trois nouveaux buts grâce à Nordahl, Burini et Candiani. 7-1, score final, le Milan revient à un point de la première place et la saison est une nouvelle fois relancée.
Après une fin de championnat à rebondissements, c’est finalement la Juventus qui termine en tête, notamment grâce à huit victoires de suite. L’AC Milan finit deuxième, à cinq points mais avec les statistiques impressionnantes de 118 buts inscrits en 38 rencontres, dont 71 marqués par les trois vikings. Nordahl finit meilleur buteur, avec 35 réalisations soit un record de buts dans une seule saison qui ne sera dépassé qu’en 2016 par Gonzalo Higuain.
Après le mondial au Brésil et la troisième place de l’équipe nationale suédoise, une nouvelle saison pleine de promesses peut reprendre pour un trio « Gre-No-Li » toujours aussi confiant. Les grandes forces du championnat sont cette année de nouveau la Juve et le Milan puis l’Inter qui vient s’ajouter à la quête du scudetto. Milan vire rapidement en tête du classement, grâce à un enchaînement de six victoires consécutives. Ces efforts sont vite effacés, puisqu’à la fin novembre, les Rossoneri perdent contre Bologne et voient l’Inter s’envoler en tête avec trois points d’avance grâce à leur victoire sur la Fiorentina. Les Nerazzurri s’adjugent le titre de champion d’automne en janvier 1951.
La phase retour prend un autre tournant. L’Inter va rapidement perdre la première place après avoir enchaîné trois nuls et une défaite au retour de la trêve. Le Milan, après son nul lors de la 20ème journée, remporte les dix rencontres suivantes, en battant notamment ses concurrents directs : 2-0 la Juve et 1-0 l’Inter. A huit journées de la fin, les Diavoli comptent alors cinq points d’avance sur leurs cousins et dauphin interiste. La Juve, après sa défaite contre Milan, est distancée pour de bon et ne rattrapera plus son retard. L’écart entre les deux premiers oscille alors entre 3 et 5 points, A l’avant dernière journée, les Milanais qui ont trois points d’avance sur son concurrent se font peur en perdant contre la Lazio. Heureusement pour eux, l’Inter n’en profite pas et s’incline contre le Torino. Le titre est alors mathématiquement acquis et la défaite contre la Roma lors de la dernière journée ne change rien. Le 10 juin 1951, la ville explose de joie et l’AC Milan remporte le quatrième scudetto de son histoire, son premier titre depuis 44 ans.
Une nouvelle fois, l’attaque milanaise affole les compteurs. Des victoires 6-2 contre l’Udinese, 7-2 contre Como, 7-4 contre l’Atalanta, 5-1 contre Lucchese, 9-2 contre Novara ou encore 9-0 contre Palerme (le plus large succès de l’histoire du club) et un total de 107 buts inscrits en 38 journées. Le « Gre-No-Li » n’est une nouvelle fois pas étranger à cela puisque Nordahl finit encore meilleur buteur du championnat avec 34 réalisations.
La saison n’est pourtant pas finie. Quelques semaines après son sacre, le club lombard est engagé dans la Coupe Latine, la plus importante compétition européenne du moment à une époque où la Ligue des Champions n’existe pas. Elle réunit les champions d’Italie, de France, d’Espagne et du Portugal. Les Italiens ne laissent aucune miette à leurs opposants. En demi-finale ils s’imposent 4-1 contre l’Atletico de Madrid, il Pompierone y va bien évidemment de son but. En finale, les Milanais affrontent Lille (Nice, le champion de France était alors engagé dans un autre tournoi) et défait le club français 5-0. Le triplé de Nordahl permet au club rossonero de remporter le premier trophée international de son histoire.
Cette saison fructueuse couronnée de succès sera la dernière pour le « Gre-No-Li ». Si le trio joue encore deux saisons ensemble, il ne parvient pas à reconquérir le titre de champion d’Italie. Une deuxième place lors de la saison 1951-1952 et une troisième place lors de la saison 1952-1953 au profit de la Juve et de l’Inter respectivement mettent un terme à cette entente magique. En 1953, Gunnar Gren, après 133 matches et 38 buts, quitte le navire milanais direction la Fiorentina. Orphelin de son meneur de jeu, le Milan va devoir désormais se réinventer.
Il faudra attendre deux ans, en 1955, pour que le Milan, porté par ses deux Suédois, reconquière un nouveau scudetto, son cinquième. Pendant ce temps il Bisonte continue de collectionner les titres de capocannoniere, meilleur buteur du championnat. Après 49-50 et 50-51, il finit meilleur buteur trois saisons de suite en 52-53, 53-54 et 54-55. Pour leur dernière saison ensemble, Nordahl et Liedholm ramènent même une deuxième Coupe Latine, en 1956. Mais après 8 saisons de bons et loyaux services, Gunnar Nordahl quitte lui aussi la Lombardie. Huit saisons qui auront suffit à le faire rentrer dans la légende. En 257 matches sous la tunique rossonera, l’attaquant aura marqué 210 buts ce qui en fait le meilleur buteur de l’histoire du club encore aujourd’hui. Une pige de deux ans à la Roma lui permettra d’empiler 15 buts supplémentaires et d’inscrire son nom à la deuxième marche des meilleurs buteurs de l’histoire de la Serie A, derrière Silvio Piola. Il ne sera dépassé qu’en 2013 par Francesco Totti.
Liedholm continuera et finira sa carrière au Milan, jusqu’en 1961, avec lequel il gagnera deux autres scudetti en 1957 et en 1959. Il atteindra même la finale de la Coupe des clubs champions en 1958 où le Milan s’inclinera 3-2 contre le Real ; l’un des plus grands regrets de sa carrière. En tirant sa révérence, « l’Etoile venue du nord » est alors le joueur étranger qui comporte le plus de sélections avec le Milan.
Qui sait ce qu’aurait pu accomplir la Suède avec ces trois-là ? La question peut se poser et les regrets peuvent surgir notamment parce qu’en 1958, l’équipe nationale termine deuxième de la Coupe du monde, avec Liedholm et Gren titulaires et proches de la fin. La retraite anticipée de Nordahl laissera pour toujours une part d’inachevé. Néanmoins, grâce à leurs succès, « Gre-No-Li » deviennent les premières superstars étrangères du club lombard et de Serie A. Au sortir de la guerre, le football italien, qui avait perdu tant de joueurs lors du conflit, était à la recherche de talents. Ces trois amis sont arrivés au bon moment. Ils étaient la lumière et l’espoir dont avait besoin l’AC Milan pour revenir au premier plan. Aujourd’hui, leur trace est inscrite dans la légende, à tout jamais.
Crédits photos : Iconsport
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