Le Corner
·11 août 2020
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·11 août 2020
Habitué à faire l’ascenseur entre divisions une et deux, le Rayo Vallecano fait figure d’équipe mineure à Madrid. Fort de dix-huit années en première division, le club fédère par ses valeurs plus que par ses résultats sportifs. Retour sur un club que ses supporters veulent engager socialement, où les valeurs du quartier se heurtent à l’opportunisme d’un président adepte de la mondialisation.
Le dernier club de quartier, c’est comme ça que le Rayo Vallecano a tendance à se revendiquer. Il est vrai que là où les autres clubs espagnols représentent des villes entières, le Rayo lui est le club d’une partie de Madrid. Au sud-est de la Plaza de España, centre de la capitale espagnole, s’étend Vallecas. Un îlot prolétaire où 320 000 habitants s’entassent dans des barres d’immeubles décrépits.
Vallecas a toujours suinté la sueur ouvrière. Le manque d’emploi y a explosé. En 2015, on y comptait 26% de chômage, un chiffre qui atteint 65% chez les jeunes. Alors la débrouille fait office d’institution. Certains vivent du subsidio, le RSA local (426 euros par mois). Beaucoup cumulent les chapuzas, ces petits jobs mal payés non déclarés mais qui permettent de remplir l’assiette. Autrefois peuplée essentiellement de paysans d’Andalousie et d’Estrémadure, les vagues d’immigrations successives de Marocains, Chinois et Sud-Américains ont depuis rejoint le quartier qui demeure défavorisé.
« J’y suis né et Vallecas restera toujours Vallecas : un village d’Astérix, de résistance, de fierté populaire. C’est truffé de collectifs libertaires, d’associations d’entraide, de locaux pour ouvriers à la retraite. Et même d’un club de foot qui fait souvent trembler les meilleurs ! » – Jorge Luis, habitant du quartier, pour Libération
L’engagement politique inhérent à cette banlieue ouvrière lui a valu le surnom de « Petite Russie ». Un surnom qui prend un écho particulier dans une Madrid autrefois capitale du régime franquiste. Aujourd’hui, Podemos, dont le leader Pablo Iglesisas est originaire de Vallecas, a remplacé le Parti Communiste, mais l’engagement demeure. Les murs du quartier ornés de graffitis en témoignent. Contre-culture, anarchisme et anticapitalisme y prônent en bonne place. Forcément, le club local s’en voit influencé.
Au cœur du quartier, cerné par les barres d’immeubles, se trouve le terrain du club. Ses trois tribunes à l’anglaise, souvent remplies et proches du terrain, peuvent contenir jusqu’à 14 708 spectateurs. Écrin vétuste aux tribunes serties de graffitis, le Campo de Fútbol Teresa Rivero (du nom de la présidente du club de 1994 à 2011 et première femme présidente de club en Liga) a le charme pittoresque des petites enceintes. Chaque week-end, les habitants du quartier s’y rendent en famille, comme l’explique Enrique, billettiste, à SoFoot : « Je vends des tickets à des gens de tous les âges. Ici, on vient en famille. Être supporter du Rayo c’est une marque d’identité très forte ».
Les couleurs antifascistes rouges et noirs et les portraits du Che y sont brandis à bout de bras ou portés sur des tee-shirts fièrement arborés. Drapeaux républicains et pro-légalisation du cannabis sont également de la partie. Les gorges reprennent à l’unisson l’Internationale et la Marseillaise. Le Rayo, c’est d’abord la fierté de représenter un quartier fort en valeurs. Un sentiment d’appartenance que Jesús Diego Cota, joueur mythique du club, résume par la maxime « pour comprendre le club, tu dois comprendre le quartier. Et vice-versa. Ils sont indissociables ».
C’est que le club, qui a vu le jour en 1924, a tout de l’institution. On retrouve sur son logo, celui du quartier, constitué des râteaux utilisé par les éboueurs, clin d’œil au premier siège du club qui se trouvait dans les locaux d’une société de ramassage d’ordures. Fondé dans un quartier où le communisme est très présent, le club va notamment participer au championnat de la fédération ouvrière de 1931 à 1936. Si l’équipe de quartier gravit peu à peu les échelons, elle se retrouve très vite dans une situation économique critique.
En 1948, le club noue un partenariat économique avec l’Atlético, club lui aussi populaire où les valeurs se ressemblent. Le club Che prête quelques joueurs et donne des liquidités au Rayo. En échange le club madrilène abandonne son maillot blanc, qui rappelle trop le Real, pour un club strié de rouge façon River Plate qui a éclaboussé les années 40 de sa classe avec la Máquina. Le club mythique argentin et la petite équipe de quartier se sont, par la suite, rencontrés pour un amical en 1953. Depuis, la bande rouge n’a jamais quitté le maillot du Rayo et demeure fondatrice de l’identité du club.
Les joueurs, quant à eux, sont obligatoirement sensibilisés à la démarche d’un club dont les supporters placent l’engagement social au-dessus de tout. Avec un hymne écrit par le groupe antifasciste Ska-P et des gradins qui vibrent aux chants « qui ne saute pas est un fasciste », les joueurs savent où ils mettent les pieds. « Ama la Rayo, odia el racismo » (« Aime le Rayo, déteste le racisme »), orne d’ailleurs un mur du stade.
Principal groupe à revendiquer haut et fort cette identité, les Bukaneros, figures de proue du mouvement ultra au Rayo. Créés en 1992, ils luttent contre le racisme, la répression et le football marchand. Les engagements des Bukaneros ne s’arrêtent pas là : ils luttent notamment contre l’homophobie et les violences conjugales. Peña (groupe de supporters) la plus importante du club, créditée de plusieurs centaines de membres, les Bukaneros rencontraient les joueurs du Rayo lors de la pré-saison durant le mandat de l’entraîneur Paco Jémez . Objectif : insister sur les valeurs non négociables du club et son statut d’institution. Un accueil que Robbie Dunne, journaliste irlandais auteur d’un livre sur le club, résume en ces termes : « Il ne s’agit pas seulement de signer un contrat de joueur, il s’agit de signer un contrat social ».
Récemment, l’affaire Roman Zozulya a rappelé la portée de cet engagement. En 2017, l’attaquant ukrainien, alors joueur du Real Bétis, est sur le point de signer au club en prêt. Le joueur est ouvertement sympathisant de groupes ukrainiens para-militaires ultranationalistes. Il a également publié sur les réseaux sociaux des photos de Stepan Bandera collaborateur du régime nazi pendant la guerre.
Le transfert est inconcevable pour les supporters qui ne veulent pas qu’un joueur aux valeurs contraires des leurs revête la tunique rayista. Instantanément, un mouvement populaire est mis en place. Les manifestations se multiplient devant le centre d’entraînement du club et le joueur, malgré la volonté du président Martín Presa, ne pourra signer au club. L’affaire ira même plus loin lorsqu’en décembre 2019, Zozyula revient jouer à Vallecas dans la peau d’un joueur d’Albacete. Excédé par les chants des supporters du Rayo qui le traitent de nazi, le joueur, soutenu par ses coéquipiers, refuse de rejoindre la pelouse en seconde mi-temps et le match sera même arrêté. Une initiative qui vaudra au club une amende de 18 000 euros mais qui démontre surtout l’étendue de l’engagement des supporters rayistas.
Ce combat contre le racisme se double de tous ceux portés par Vallecas. Les Bukaneros, très investis dans la vie du quartier, sont les instigateurs de nombreuses démarches sociales, de la collecte de denrées alimentaires à la collecte de jouets. Alors que Paco Jémez est entraîneur de l’équipe une, les joueurs vont parfois cuisiner dans les centres sociaux pour déshérités. Meilleure illustration encore en 2014, avec Carmen, une afficionada de 85 printemps qui se retrouve sans domicile. Grâce la mobilisation de certains supporters du club, cette dernière en a rapidement retrouvé un, grâce notamment à l’entremise de Paco Jémez. Les joueurs du Rayo prennent même en charge son loyer. Une belle action qui fera la une des médias du monde entier, et qui résume bien la dimension sociale du quartier qui rejaillit sur le club. En somme, les Bukaneros sont à l’image de leur club, supporters et militants. Un engagement de tous les instants qui se heurte de plus en plus à une direction qui s’éloigne de leurs valeurs.
Sportivement, le club qui n’a accédé à la division une qu’en 1977, n’est pas habitué des années fastes. Depuis les années 80 les Rayistas sont habitués à faire le Yoyo entre la première et la seconde divison avec, en point d’orgue, un quart de finale de Coupe de l’UEFA en 2000/2001. Sur les dernières saisons en Liga, les bonnes séquences avec Paco Jémez et son jeu chatoyant masquent mal les carences d’un club qui a souvent fait partie des plus petits budgets de Liga. Redescendu en 2019, le Rayo a presque toujours été un habitué des saisons difficiles autant d’un point de vue sportif qu’économique. Aujourd’hui, c’est son aspect social et engagé, en somme l’essence du club, qui sont menacés.
En 2011, le club a été vendu à Raul Martín Presa, magnat publicitaire, qui ne cesse de remettre en cause les valeurs du Rayo au grand dam des supporters qui se sentent dépossédés d’une partie de l’âme du club. De quoi rendre les supporters nostalgiques de l’ancien propriétaire, Ruiz-Mateos. Durant sa période à la tête du club, de 1991 à 2011, le club disposait notamment d’un département social. Raul Martín Presa, président et actionnaire majoritaire du club, est lui accusé de ne pas y porter grand intérêt. En plus de supprimer le département social du club, Presa a haussé le prix des abonnements pour la saison 2019/2020.
Une décision qui nie la difficulté économique des habitants de Vallecas et qui n’est pas du tout passée auprès des supporters, qui ont effectué une grève des encouragements. Presa est aussi soupçonné d’utiliser l’identité libertaire du club à des fins mercantiles. Dernier exemple en date avec les maillot aux couleurs LGBT et celui contre le cancer lors de la saison 2015/2016. Cette initiative a été pointé du doigt par les supporters estimant qu’elle n’était pas sincère.
Symbole de cet opportunisme, la création d’une franchise américaine en Oklahoma en 2015. Une autre décision en totale contradiction avec l’esprit Bukaneros contre la marchandisation du football. En 2017, le projet est tombé à l’eau mais démontre le fossé entre un actionnaire majoritaire qui veut capitaliser et franchiser l’identité spécifique et militante du Rayo et un quartier qui veut demeurer fidèle à ses valeurs.
Toutes ces initiatives se sont doublées d’une absence totale de dialogue avec les supporters du club, eux qui autrefois ont toujours été des acteurs majeurs des décisions prises. Récemment, en 2020, les principales peñas ont écrit un communiqué – le dernier d’une longue série – demandant sa démission. En cause, selon les ultras, une incapacité à diriger le club autant sportivement que socialement. Malgré les graffitis « Presa vete ya ! » (littéralement « Presa casse-toi maintenant ! ») qui fleurissent sur les façades du quartier, l’homme d’affaires n’a pour le moment pas donné suite. Vallecas demeure toutefois plus que jamais derrière son club, comme le résume Carlos Sánchez Blas, journaliste à Radio Marca : « Bien sûr, les supporters du Rayo veulent voir leur équipe au meilleur niveau mais si le club tombe en division trois ils continueront à le supporter avec la même passion ».
Le Rayo Vallecano apparaît aujourd’hui presque comme un club anachronique dans un football moderne standardisé. Garants de l’identité forte d’un club de quartier, les supporters refusent de laisser leurs idéaux aux mains de la marchandisation. Une lutte de tous les instants qui se heurte souvent aux impératifs économiques d’un club en difficulté constante. Les Rayistas défendent l’idée que c’est bien plus que du football qui se joue dans leur enceinte de Vallecas, un match qui se joue pour eux depuis maintenant 96 ans.
Sources :
Crédit photos : IconSport
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