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·6 février 2020
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·6 février 2020
En 1960, le Congo belge obtient son indépendance. En 1965, Joseph-Désiré Mobutu s’empare du pouvoir par la force. Celui qui fut gardien de but dans sa jeunesse va alors utiliser le football pour servir son régime et son culte de la personnalité. Entre investissements massifs, succès en CAN et polémiques, le Congo verra l’émergence d’une équipe mythique : les Léopards.
Quand, dans la violence, Joseph-Désiré Mobutu accède au pouvoir, l’ancien journaliste va utiliser le sport comme une manière de promouvoir sa politique. À l’instar du Nigérian Benjamin Nnmadi Azikiwe qui, dans années 40 et 50, avait utilisé le football à des fins politiques, il va user du sport le plus populaire comme un moyen d’affirmer sa vision du Congo. Dès 1965, alors que Mobutu vient de s’emparer du pouvoir, Stanley Rous, président de la FIFA, se rend sur place. Il constate lors de son séjour que la fédération congolaise de football est une simple auxiliaire du gouvernement.
En réalité, les terrains de football congolais n’ont pas attendu Mobutu pour être le théâtre d’instrumentalisation politique. En 1957, un match entre l’Union Saint-Gilloise, club bruxellois et une sélection de joueurs congolais avait viré à l’émeute et à l’agression des supporters belges, assimilés aux colonisateurs. Un événement en forme de prémices à l’indépendance de 1960.
Sous Mobutu, le stade devient d’abord le lieu d’exécutions publiques, comme celles de quatre anciens ministres accusés de complots et pendus devant 20 000 personnes en 1966. Puis, rapidement, le dictateur congolais va utiliser le football comme une arme politique. Au niveau de la sélection, les joueurs autrefois surnommés « Simba » deviennent les « Léopards ». Une manière de s’approprier l’équipe nationale pour celui qui est toujours coiffé d’une toque en peau de léopard lors de ses sorties publiques. En parallèle, dans un pays qui tire notamment sa richesse de ses mines de diamants, il investit dans le football local.
Lors d’un match amical face au Ghana, il se rend compte du faible niveau des footballeurs locaux étrillés trois buts à zéro par les Black Stars. Illico, il parvient à effectuer le rapatriement d’une partie des joueurs exilés en Belgique et recrute des entraîneurs étrangers.
« Je vous ai rappelés avec le seul objectif de former une équipe bénéfique à ce grand pays. Chacun, dans son propre domaine, doit faire son maximum pour défendre, comme il se doit, le prestige national. Et pour cela, le sport est aussi important que l’économie » – Mobutu aux joueurs congolais rapatriés de Belgique (propos rapportés dans le SoFoot numéro 170)
Le père de la nation sait aussi braquer les projecteurs sur son pays, comme en 1967, lorsqu’il accueille à Kinshasa le grand Santos du roi Pelé. À l’époque, le fantasque brésilien réalise régulièrement des tournées mondiales avec une équipe de all stars de Santos avec pour objectif celui de renflouer les caisses de son club. Devant 60 000 personnes, les Léopards s’inclinent deux buts à un mais l’essentiel est ailleurs: Mobutu a pu faire état de sa puissance et de son prestige. La star du football mondial de l’époque et le monde entier savent désormais où se trouve le Congo.
En 1968, pour aborder au mieux une CAN qu’ils se doivent de gagner, les Léopards vont effectuer leur stage de préparation au Brésil. Le tout est bien entendu financé par le « Papa Maréchal ». Et cela porte ses fruits, puisque quelques mois plus tard, avec le Hongrois Ferenc Csanádi à sa tête et sous le soleil éthiopien, le Congo remporte la CAN. C’est le premier succès de l’équipe nationale qui avait disputé sa première CAN en 1965.
L’hymne de la CAN 1968 en hommage aux Léopards, composé par la star Tabu Ley Rochereau, père du rappeur Youssoupha. (crédit vidéo : Youtube, @Syllart Records)
L’accueil est triomphal : les Léopards parcourent Kinshasa en jeep sous les vivats de la foule. Les joueurs sont alors portés aux nues par un Mobutu qui sait se montrer généreux avec eux : maison, automobile et primes sont à la clé. Les joueurs vont même jusqu’à réaliser des mises aux verts dans les résidences luxueuses de l’ « Aigle de Kawele ». Une réussite à l’échelle de la sélection qui se double de celle des clubs avec les victoires du Tout Puissant Mazembe en Coupe des Clubs Champions (actuelle Ligue des champions africaine ndlr) en 1967 et 1968, le club de Lubumbashi disputant même les finales de 1969 et 1970.
En 1971, le Congo-Kinshasa devient République du Zaïre et tous ses habitants sont tenus d’adopter des noms africains. Joseph-Désiré Mobutu devient lui-même : « Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga », littéralement : « Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter ». L’objectif est simple : effacer toute trace de l’impérialisme occidental et du colonialisme belge pour revenir aux racines africaines. Et c’est sous le nom Zaïre que les Léopards se présentent à la CAN 1974 organisée en Égypte.
Les protégés de Mobutu se présentent confiants à cette compétition. Il faut dire que lors de cette décennie 70, le football congolais continue de tutoyer les sommets. Le club de Mobutu : l’AS Vita Club de Mayanga Maku et Pierre Ndaye Mulamba vient de remporter la Coupe d’Afrique des clubs champions de 1973. Le Zaïre de l’époque à une équipe très solide basée essentiellement sur les effectifs des principaux clubs du pays: le TP Mazembe, le CS Imana et l’AS Vita Club.
Les Léopards sont coachés par l’autoritaire coach yougoslave Blagoje Vidinić dont la préparation physique est intense. Son équipe a pour base l’excellent gardien Kazadi Mwamba, les défenseurs Raymond Tshimen Bwanga, ballon d’or africain 1973, Florian Lobilo Boba et Kilasu Masamba. Au milieu on trouve le métronome Ricky Mavuba (père de Rio Mavuba ndlr), le milieu offensif Mafu « Seigneur » Kibonge, suppléé par les attaquants Jean Kembo aka « Monsieur buts » (père de Jirès Kembo Ekoko, ancien joueur de Rennes ndlr), Emmanuel Kakako Etepé et Kidumu Mantantu, capitaine de l’équipe.
Devant, Pierre Ndaye Mulamba s’avérera être l’argument numéro un d’une équipe offensive et séduisante qui joue pour lui. Le récent champion d’Afrique avec l’AS Vita qui empile les buts en club ne doit sa présence dans le onze de départ qu’à l’absence de dernière minute de Kembo, malade. Surnommé « Mustang » ou « Volvo » pour sa vitesse, il est alors connu de tous les Zaïrois comme « Mutumbula » – littéralement le croque-mitaine – pour sa propension à hanter les défenseurs à qui il fait vivre un véritable calvaire à chacune de ses apparitions.
Sur place, en phase de groupes, les Léopards se défont de la Guinée. Puis s’inclinent, deux buts à un, face au frère ennemi congolais et champion d’Afrique 1972. Au dernier match, les Léopards disposent de l’Île Maurice et grâce à leur deuxième place se retrouvent propulsés en demi-finale face au pays organisateur : l’Égypte. Dans un stade hostile et dans un scénario fou, les Zaïrois vont marquer l’histoire de la CAN.
Menés deux buts à zéro, les Léopards trouvent la ressource de s’imposer trois buts à deux avec un doublé de l’inévitable Mulamba et un but de Kidumu. Quelques jours plus tard, en finale, dans un stade qui sonne creux, les Zaïrois affrontent la Zambie. Le premier match voit les équipes finir sur un score nul, deux buts partout au terme des prolongations. Pour la première et dernière fois de l’histoire de la CAN, le match est rejoué deux jours plus tard. Le Zaïre s’impose par deux buts d’écart et remporte la CAN grâce à quatre buts de Pierre Mulamba sur les deux finales.
La finale retour gagnée face à la Zambie reste à ce jour la dernière CAN remportée par le Congo, le tout sous les yeux de Mohammed Ali s’il vous plaît !
Celui qui, quelques mois auparavant, était inconnu à l’échelle du continent entre dans l’histoire, devenant du même coup meilleur buteur avec neuf buts en six matchs. Un record sur une compétition dans l’histoire de la CAN. Une performance qui n’a pas été réitérée depuis quarante-six ans. Stratosphérique. Cette épopée attentivement suivie au Zaïre recevra un accueil triomphal à Kinshasa à la hauteur de la performance. Après un retour en avion présidentiel, chaque membre de l’équipe reçoit alors en récompense une maison et une Volkswagen verte.
« Je vous avais demandé la semaine dernière par téléphone de ramener la coupe au pays et vous l’avez fait. Je saurai m’en souvenir. » – Mobutu Sese Seko aux joueurs zaïrois après leur victoire à la CAN 74
Pour un peu plus entrer dans l’histoire, cette même année 1974 voit le Zaïre devenir la première nation d’Afrique noire à participer à la Coupe du Monde. Pour ce faire, les Léopards se sont défaits du Maroc pour composter le seul billet alloué par la FIFA au continent africain pour ce mondial qui aura lieu en RFA. Un succès en soi, revendiqué par le « guide suprême » Mobutu qui voit là une occasion de légitimer sa politique. La presse locale se charge d’ailleurs d’entretenir un culte de cette équipe nationale dont le succès est attribué au Maréchal. Le Zaïre gagne des héros auxquels s’identifier, ce qu’ils n’avaient pas sous l’époque coloniale. Mobutu lui gagne en visibilité, son pays devenant du même coup le seul représentant du continent africain.
Sous des températures oscillantes entre trente et quarante degrés, les Zaïrois se préparent pour un mondial qu’ils abordent de manière confiante malgré un tirage difficile avec au programme la Yougoslavie, le Brésil et la moins redoutable Écosse. La préparation se déroule dans une bonne ambiance et les Léopards poussés par des millions de Zaïrois se voient déjà performer en RFA. Mobutu ne se rend pas sur place mais une délégation de ministres et de membres des forces armées les accompagnent. En prime une sélection des meilleurs marabouts du pays est présente pour un voyage qui s’annonce déjà historique.
Pourtant, cette fois, le déroulement est beaucoup moins idyllique. L’équipe zaïroise alors exclusivement amatrice se frotte, dans ce groupe B, au gratin du football mondial pour la plupart professionnel. Pour le premier match, sans démériter, les Léopards s’inclinent deux buts à zéro face à l’Écosse de Kenny Dalglish. À la veille du second match, le contexte devient houleux. Les joueurs sont remontés, les primes de la FIFA n’ont pas été versées comme cela avait été promis. À l’époque la FIFA, verse pour chaque équipe, en guise de prime de qualification, la somme de 800 000 deutsche marks. Un montant dont les Léopards n’ont jamais vu la couleur. C’est que la somme a fini dans la poche de Mobutu, apparaissant sous l’appellation « faux-frais » dans les livres de comptes de l’état. Révoltés, les joueurs menacent de faire grève. Une histoire qui rappelle étrangement celle des primes de la CAN 1974 que les Léopards n’ont également jamais reçu.
Il faut rappeler que les joueurs zaïrois ne touchent pas de salaire fixe de leur activité de footballeur, les primes sont alors leurs seuls revenus d’où l’importance de ces dernières. Mobutu informé par câble de la situation se refuse à toute concession. La FIFA se voit obligée d’intervenir pour éviter de ternir l’image de la Coupe du monde. 3000 deutsche marks sont alloués à chaque joueur. Malgré ce geste, les joueurs ne décolèrent pas. Le 18 juin 1974, le Zaïre joue son second match face à la Yougoslavie de Dragan Dzajic pour ce qui restera gravé comme l’image du naufrage zaïrois à ce mondial. Au bout de vingt minutes de jeu et trois buts encaissés, le portier Muamba Kazadi est remplacé par son coach persuadé que celui-ci est en grève des arrêts. Son remplaçant, Dimbi Tubilandu, 1,65m sous la toise, encaisse six buts de plus pour ce qui reste l’une des plus grandes défaites de l’histoire de la Coupe du monde et la première grève en crampons de l’histoire.
« Deux jours avant le match, un Congolais, établi depuis 25 ans en Allemagne, est venu nous montrer un journal allemand où l’on parlait de ce que nous devrions avoir : 25.000$ à chaque joueur pour le 1er tour. Par rapport à ce qu’on nous avait promis ici, les joueurs se sont fâchés et ont exigé d’être payés avant de monter sur le terrain. » – Victor Kilasu Masamba à propos de la grève des joueurs lors du mondial 74
Ce match Yougoslavie-Zaïre passera à la postérité comme l’une des plus grosses défaites de l’histoire de la coupe du monde
En prime, la star Mulamba est même expulsée lors de cette déroute (il sera même suspendu un an par la FIFA pour ce geste ndlr), pris pour l’un de ses coéquipiers qui avait administré un coup de pied à… l’arbitre ! Pour Mobutu l’humiliation est totale et les menaces sur les joueurs pleuvent : s’ils perdent par quatre buts ou plus face au Brésil, ils ne pourront pas rentrer au pays ! La devise de l’équipe nationale choisie par Mobutu « vaincre ou mourir » n’a jamais paru aussi concrète. Ce dernier match face au Brésil de Pelé voit les Léopards, privés de plusieurs cadres – dont Kibonge – écartés par le pouvoir, tenter de garder le score coûte que coûte. Le dégagement illicite de Mwepu Ilunga sur un coup franc brésilien (alors que le score est de deux buts à zéro ndlr) restera comme le symbole de cette peur panique d’encaisser quatre buts.
Le coup de sang d’Ilunga, symbole de la peur panique des Léopards d’encaisser quatre buts et de ne pas pouvoir rentrer au pays (crédit vidéo: Youtube, @vengahombre67).
Les Zaïrois s’inclinent finalement trois buts à zéro. Avec quatorze buts encaissés pour zéro marqué en trois matchs, le bilan est cuisant. Le retour au pays est pesant, les héros d’hier sont fustigés et c’est un aéroport vide qui les attend à l’arrivée à Kinshasa. Les joueurs sont même retenus au palais présidentiel de Mobutu quatre jours durant avant d’être autorisés à rentrer chez eux. Malgré cette débâcle, les joueurs ne manquent pourtant pas d’offres pour rallier l’Europe: Saint-Étienne propose des contrats à Mayamba et Kakoko, Gelsenkirchen à Lobilo et Kivusu, le PSG à Mulamba…. Sans surprise, Mobutu qui gardait en tête la fuite des meilleurs joueurs congolais pour la Belgique après l’indépendance, s’opposa fermement à tout départ.
« Le Président Mobutu nous a menacé : « tout joueur qui restera en Europe, avait-il dit, je vais exterminer sa famille ». […] En 1974, Mobutu était au sommet de sa puissance. Qui pouvait douter de l’exécution d’une telle menace ? » – Victor Kilasu Masamba à propos des menaces de Mobutu
La plupart des joueurs continuent alors, souvent dans l’anonymat, leur carrière dans le championnats zaïrois. D’autres rejoignent la vie civile ou tentent l’exil. Le dictateur Mobutu après avoir connu le pinacle africain devient la risée du football mondial. Pourtant, la propagande sportive repart de plus belle, puisque seulement trois mois après cette déroute, en octobre, le Zaïre se retrouve de nouveau au cœur de l’actualité sportive. Le combat du siècle Ali/Foreman à lieu dans la moiteur de Kinshasa. Mobutu a mis les petits plats dans les grands en investissant dix millions de dollars dans l’événement. Pour le « père de la nation » c’est une autre occasion de se mettre en évidence et développer un peu plus un culte exponentiel de la personnalité. La victoire de Ali est alors érigée en apogée du mobutisme.
Déçu par cette débâcle footballistique, Mobutu stoppe les investissements et se désintéresse du ballon rond, c’en est fini de la période de gloire du football congolais. Les Léopards sont éliminés du premier tour de la CAN 1976 et ne connaîtront plus cette compétition pendant vingt ans. En 1994, en marge de la CAN, la Confédération Africaine de Football décore Pierre Ndaye Mulamba pour son record de buts sur une compétition. Dans la foulée, le ministre des sports du Congo, demande au joueur de remettre sa médaille à Mobutu, ce que refuse « Mutulumba ». Pour avoir dit non à Mobutu, quelques jours plus tard, à son domicile de Kinshasa, où séjournent sa femme et ses trois enfants il est agressé. Son fils de onze ans, abattu sous ses yeux, il est torturé et mutilé, puis laissé pour mort.
Sur les vingt-deux joueurs ayant pris part à la Coupe du monde 1974, six sont aujourd’hui décédés
Mobutu, quant à lui, quitte le pouvoir en 1997 laissant le pays dans une instabilité totale. Dans la foulée, il fuit le pays et mourra au Maroc loin de l’Afrique du Sud où s’est exilé Pierre Mulamba. Lui qui menait déjà une vie modeste au Congo se retrouve dans l’extrême pauvreté des townships du Cap. Il devient gardien de parking. En décembre 2009, il connaîtra un ultime hommage de la FIFA pour le tirage au sort de la coupe du monde 2010. L’année suivante, en 2011, grâce à l’action de l’avocat Alain Makengo, président de l’association des anciens champions d’Afrique et mondialistes, l’état octroie enfin une aide de 500 dollars par mois pour les anciens champions africains.
Un geste qui sonne comme une reconnaissance tardive des derniers congolais à avoir remporté une CAN. Pierre Ndaye Mulamba, quant à lui, décède en 2019 à l’âge de 70 ans, son destin tragique fait écho à celui du Kazadi mort lui aussi dans la pauvreté la plus totale en 1996. Le « croque-mitaine » aura le droit à des obsèques nationales retransmises à la télévision, auxquelles assisteront ses anciens partenaires encore vivants. Une cérémonie en forme de clin d’œil pour des héros d’un autre temps, restés dans le cœur des Congolais mais dont le pouvoir avait pendant longtemps oublié l’existence.
Sources :