L'instant tactique avec Éric Chelle : « Plus tu as de leaders dans ton équipe, plus ça te simplifie la tâche » | OneFootball

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·18 juillet 2025

L'instant tactique avec Éric Chelle : « Plus tu as de leaders dans ton équipe, plus ça te simplifie la tâche »

Image de l'article :L'instant tactique avec Éric Chelle : « Plus tu as de leaders dans ton équipe, plus ça te simplifie la tâche »

Nommé à la tête du Nigeria en janvier 2025, Éric Chelle a trouvé un challenge relevé et excitant, à la hauteur de ses ambitions. Apprécié durant sa carrière de joueur, le Franco-Malien mise sur la franchise et la relation avec ses hommes pour atteindre ses objectifs. Dans le cadre de notre rubrique « Instant Tactique », le sélectionneur des Super Eagles présente ses idées et développe ses caractéristiques. Entretien.


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La venue dans le foot

Je suis né en Côte d’Ivoire, d’un papa français et d'une maman malienne. Mon père est Français et catholique, ma maman est Malienne et musulmane. Je suis né en Côte d'Ivoire parce que mon papa travaillait en Afrique de l'Ouest. Jusqu'à mes 13 ans, on a vécu à Abidjan. Je jouais au football à Korhogo pour m'amuser. À 13 ans, nous avons rejoint la France pour les études. Je suis arrivé au collège, à Martigues, et j'ai signé ma première licence en cadet. J'étais en équipe trois à l'époque. La même année, je suis entré au centre de formation et j'ai commencé ma petite carrière de footballeur. J’ai fait les U17 Nationaux puis la réserve du FC Martigues. Dans le même temps, je jouais au basket. J'ai gravi les échelons, j'ai joué en National 1, en Ligue 2. J’ai ensuite rejoint Valenciennes. J'ai fait une petite carrière sympathique à VA, à Lens par la suite. Je suis revenu à Istres en Ligue 2 avant de finir à Niort. J'ai arrêté ma carrière en 2014. En fait, ma première licence, je l'ai signée à 16 ans. Et mon premier contrat pro, je l'ai signé à 28 ans. On peut dire que j’ai un parcours atypique.

L’approche du football

Le basket est important dans mon processus. Je jouais le dimanche en U17 Nationaux, et le samedi, je jouais en National 3 au basket. J'étais un joueur assez athlétique. Et dès que je suis arrivé à Valenciennes, je me suis immédiatement interrogé sur le jeu parce que j'avais un entraîneur devenu mon deuxième papa, Daniel Leclercq. Il a fait en sorte que je me questionne sur le jeu. Durant ces années, je réfléchissais au jeu. Et j'ai tout de suite intégré dans mon projet de jeu, dans mes idées et dans ma philosophie, ce que je voyais au basket. Au basket, ce sont des mouvements coordonnés par rapport à des systèmes de jeu. Et j’ai tout de suite voulu intégrer ça. J'ai voulu devenir entraîneur très tôt. Et peu à peu, j’ai fait évoluer mon projet de jeu.

Devenir coach, une vocation ?

Ouais, devenir coach était une vocation pour moi. Durant ma carrière, j’étais assez bien dans les vestiaires, j’avais envie de prendre la parole, j'avais envie d'emmener les autres avec moi.

J'étais très présent en termes de vie de groupe. J'étais quand même un leader, j’étais écouté. J’aimais pousser le groupe, de faire en sorte que les objectifs soient atteints.

La plupart des coachs ont un passé de joueur, logique ?

C'est vrai qu'en tant que joueur, on a une facilité parce qu'on connaît le jeu. Mais être coach, c'est vraiment une vocation parce qu'il faut être entraînant, il faut cette capacité à être écouté. Il faut avoir ce charisme pour être écouté. Et surtout, il faut être capable d'écouter les joueurs, d'avoir un feedback, d'écouter le feedback des joueurs, à la fois par la parole ou par la posture et même par l'image qu'ils renvoient. Donc oui, les joueurs de foot ont une facilité, mais je dirais quand même qu'il faut vite travailler après ce processus pour se faire comprendre et surtout être compris.

Les principes de jeu

Par rapport à mon projet de jeu, le mouvement est primordial, à la fois défensivement et offensivement. Pour moi, l'idéal, ce serait que mon équipe soit dans un mouvement perpétuel. Quand on n’a pas le ballon, je veux qu’on cherche toujours à le récupérer dans les pieds de l’adversaire en mettant un pressing très haut et constant. Dans mon idéal, je voudrais un pressing tout terrain pendant 90 minutes. C'est l'idéal. Je n'ai pas encore réussi, mais je travaille pour. Je veux récupérer le ballon très haut et vite finir en quatre ou cinq passes. Et si ce n'est pas possible, repartir sur de la possession. Je peux qualifier ça de la manière suivante : un projet de jeu réaliste, c'est-à-dire être réaliste dans les deux surfaces.

Le schéma tactique préféré

J'aime bien le 4-4-2 en losange. J'aime jouer avec deux attaquants, avoir la supériorité numérique au milieu de terrain. Parce que déjà, il n’y a pas beaucoup d'équipes qui jouent avec un losange. Donc, on est toujours en supériorité numérique au milieu de terrain. Et puis, j'aime aussi le 4-4-2 à plat qui se transforme 4-2-4 quand tu as le ballon.

Schéma tactique le plus équilibré

Tout schéma et toute vision ont des points forts et des points faibles. Dans les systèmes de jeu, c’est l’animation qui compte. Tu peux jouer en 4-3-3, avec un attaquant de pointe qui descend jusqu’au milieu de terrain, comme à l’époque du Barça de Guardiola avec Messi. En réalité, ça se transformait en losange. Donc c’est l’animation de tes joueurs et le profil de tes joueurs qui vont faire que tu sois lisible ou non. L'idée, c'est d'avoir un système de départ. Mais encore une fois, ce qui m'importe, c'est le mouvement. Moi, je joue dans un 4-4-2 en losange. Si j'ai deux attaquants de pointe, je sais que je vais être plus axial. Maintenant, si dans mes deux attaquants, j'aligne deux ailiers, je sais forcément que mes deux ailiers, inconsciemment, vont s’orienter vers les couloirs. Donc en fait, le plus important pour moi, quand on parle de système de jeu, c'est l’animation et le profil des joueurs que tu vas aligner. Ce sont eux qui vont alimenter ton système. Et pour répondre à ta question, il n'y a pas de système idéal. J'ai un système préférentiel, mais surtout, je travaille sur l'animation et les mouvements de mes joueurs.

Le système ou les joueurs, qui passe en premier ?

Les joueurs passent avant le système, je vais aller plus loin, ce n’est pas seulement les joueurs, ce sont les joueurs entre eux. C'est-à-dire qu'il faut tout de suite que tu crées quelque chose entre les joueurs. Imaginons, je suis défenseur central, ma première passe, je vais la faire au latéral. À partir du moment où tu vas faire cette passe, il doit y avoir un certain mouvement qui va se créer pour t'apporter des solutions. Donc en fait, c'est le jeu, c'est l'interaction entre les joueurs qui est importante. L'idée, c'est de travailler sur les relations entre les joueurs, le moment qui est fait par les uns par rapport aux autres.

La différence entre une bonne et une mauvaise tactique

Certains entraîneurs adaptent leur tactique par rapport à l’adversaire, ils cherchent à contrer l’adversaire. Un peu comme ce que faisait le grand entraîneur qu'était Mourinho. Donc lui, son idéal, c'était de trouver les faiblesses de l'adversaire et de contrer l'adversaire. Et puis, tu as des entraîneurs type Guardiola qui veulent imposer leur style de jeu. Et tu en as d’autres, les nouvelles équipes qui ressemblent à celles du projet Red Bull, basés sur un jeu de transition, avec un pressing très haut pour mettre en difficultés les adversaires. Je me positionne entre Guardiola et le projet Red Bull en transition. Je ne veux pas contrer l’adversaire, je veux imposer mon jeu et ma philosophie.

Est-ce toujours la meilleure tactique qui l’emporte ?

Non, pas forcément. Ces dernières semaines, on a vu de nombreux matchs à la télé, et on s’aperçoit que les matchs ne se jouent pas sur la tactique. Les matchs se jouent au mental et particulièrement les gros matchs. Par exemple, le match entre Manchester United et Lyon, on passe de 2-0 à 2-2 puis à 2-4. Et finalement, ce n’est plus tactique, c'est au mental, c'est aux petits détails, c'est à un mètre de placement. La tactique pure à l'italienne d'il y a 20 ou 30 ans, ça n'existe plus. Aujourd'hui, le football va très, très vite. Et ça ne se joue plus à deux mètres. Aujourd'hui, ça se joue à un mètre, voire 50 centimètres. Le mental fait la différence. Lors des gros matchs, c’est ce que tu vas proposer en termes de mouvement, de projet de jeu, de performance, de préparation mentale et d'interactions entre joueurs qui vont t'amener à avoir des résultats. La tactique, c'est un éternel recommencement. Avant, le 4-4-2 était le schéma préférentiel, ensuite, il y a eu le 3-5-2, ensuite, le 4-3-3. Ça change totalement, puis ça revient. On a déjà tout vu.

La définition du bon entraîneur

Pour moi, un bon entraîneur, c'est quelqu'un qui fédère autour de lui, qui donne du plaisir à ses joueurs. Ensuite, bien sûr, un bon entraîneur, c'est quelqu'un de compétent, qui a un projet de jeu et qui a de grosses notions dans le management. Pour moi, c'est ça. Déjà, si tu as ça, tu es un très bon entraîneur.

La différence entre un bon un bon entraîneur et un mauvais entraîneur ?

Le bon entraîneur doit avoir un staff très compétent, en termes de qualité et de nombre, il doit être capable de déléguer. C'est-à-dire qu'il va se focaliser sur la chose la plus importante : faire des choix. Ça, déjà, pour moi, c'est un bon entraîneur. Après, le deuxième critère, il doit avoir une idée directrice, il doit avoir envie de mettre des choses en place. Je ne dis pas que Mourinho est un mauvais entraîneur, mais dans ma philosophie, je n'ai pas envie de passer mes matchs à réfléchir à comment contrer la personne. Moi, je prends plus de plaisir à essayer d'imposer mon jeu partout où je vais. Voilà ma vision du bon entraîneur.

Peut-on être un bon entraîneur sans avoir remporté de trophées ?

Oui. Enfin, un bon entraîneur va remporter des trophées. Mais si tu prends un entraîneur comme Bielsa, qui est pour moi, l'un des meilleurs entraîneurs de tous les temps, finalement, il ne gagne pas trop. Par contre, Guardiola, partout où il a été, que ce soit en Espagne, en Allemagne, en Angleterre, il s'impose. Il fait évoluer son projet de jeu, toujours basé sur la possession, mais il s'adapte quand même à l'ADN du football où il arrive. Par exemple, en Angleterre, lors de ses premières années, le deuxième ballon lui faisait défaut. Il a assimilé la chose et il a adapté le jeu de son équipe. Aujourd’hui, si Guardiola a un problème, c’est plus « extra-sportif », mais ça va vite évoluer.

La réussite pour un coach

Ce qui me plaît dans le métier d'entraîneur, et ce que je cherche, c'est le process. Le résultat vient en second. Ce qui m'intéresse, c'est que mon équipe me ressemble et qu'elle assimile ce que je veux mettre en place. Je prends mon plaisir quand mon équipe joue comme je le veux. Je suis plus dans le processus. Une fois que ton équipe joue comme tu veux, c'est là que tu peux te focaliser sur les résultats. Voilà ma vision. Un très bon match le samedi passe par une très bonne semaine d'entraînement. Si un joueur veut jouer dans mon équipe, il faut qu'il soit à 100% chaque jour. Il faut qu'il soit bon à chaque entraînement. Je suis plus focalisé sur le processus.

Deux écoles : celle du jeu et du résultat. Votre positionnement ?

Je me positionne au niveau du jeu. Quoi qu'il arrive, si tu joues bien, tu vas avoir les résultats. Si tu joues toujours mieux que l'adversaire, tu vas avoir des résultats. Alors oui, peut-être une fois, tu vas prendre un but à la dernière minute, une deuxième fois, tu vas perdre parce que tu as pris un contre. Mais sur la durée, tu dois gagner. Donc moi, je suis plus partisan de ça.

La part de psychologie

Je ne sais pas si l’entraîneur doit être un psychologue, en tout cas, il doit avoir cette écoute. Un groupe, c'est très fragile. Quand tu rencontres ton groupe pour la première fois, il faut mettre un cadre autour de cette équipe pour protéger tes joueurs, pour que tes joueurs se sentent en sécurité. À partir du moment où tout le monde est en sécurité, parce que tu as mis des règles de vie, tu as parlé de valeurs, il faut que le respect soit une valeur essentielle dans ton groupe, le respect des joueurs et surtout le respect des hommes. Il faut que tu fasses la différence entre les joueurs de foot et les hommes. Et pour être proche et surtout pour faire en sorte qu'ils t'écoutent, il faut que tu apprennes à connaître l'homme et le joueur. Une fois que tes joueurs sont dans un cadre de sécurité, tu peux discuter avec eux, parce que tout le monde est en confiance. Et à partir de là, se créent des interactions. Tu crées une interaction, tu crées des liens avec les joueurs. Et ces liens te permettent d’avoir des leaders dans ton groupe. Des leaders apparaissent. Des leaders offensifs, des leaders défensifs, des leaders de groupe, des leaders de vestiaire, des leaders de fête, plein de leaders différents. Et plus tu as de leaders dans ton équipe, plus ça te simplifie la tâche. Tu peux te concentrer sur le jeu. Pourquoi ? Parce que ton groupe va être autonome. L’autonomie, c'est ce que recherche tout coach. Quand tu as joué 95 minutes, que tu perds 1-0 ou que tu gagnes 1-0, les joueurs ne t’entendent plus à ce moment-là. Et c'est le groupe qui peut faire en sorte qu'on ait des résultats. Donc le coach n’est plus un psychologue, c’est un manager à l’écoute. Tu les mets dans les conditions où les joueurs vont pouvoir créer quelque chose entre eux.

L’impact de l’expérience personnelle

J’ai cette double culture. Mon papa est catholique, donc j'ai deux frères qui sont catholiques. Ma maman est musulmane. Moi, je suis musulman, ma grande soeur aussi. Je suis né dans la tolérance et le respect. C'est mon ADN. Donc quand je prends un groupe, je fais en sorte que mon groupe me ressemble et que ses valeurs soient extrêmement importantes dans la vie de groupe. À partir du moment où je respecte les joueurs et le staff, c'est-à-dire que je suis capable d'expliquer pourquoi un joueur ne joue pas, si le joueur a besoin de discuter avec moi, il peut venir à tout moment et on a une discussion. Mais moi, je veux lui dire la vérité pour l'aider. Je respecte l'homme en faisant ça. Mon travail, c'est de faire des choix, de choisir le meilleur joueur, mais mon travail aussi, c'est de faire en sorte que ces joueurs progressent. Et pour que ces joueurs progressent, il faut que je respecte les hommes. Ma double culture m'aide pour ça. J'ai grandi à Marseille, ville où il y a une grosse communauté maghrébine. J’ai grandi avec des maghrébins, je suis né en Afrique de l'Ouest, mon papa est blanc. Donc j'arrive à avoir un discours avec toutes ces communautés-là. J’ai cette qualité, je peux m’adapter à de nombreuses situations. C’est un vrai plus pour moi.

Une causerie type

Pour motiver un groupe… (il coupe). Tu as trois sortes de motivations. La première motivation, c’est la motivation par l’argent. Que ce soit toi, moi, mon agent ou qui tu veux, ils se lèvent le matin pour gagner leur argent. Voilà la première motivation. Ensuite, tu as la motivation directive, c’est-à-dire la motivation militaire : « Éric, tu te lèves, c’est l’heure d’aller à l’école », ou si tu es mon employé : « Tu dois me faire un super article sur Éric Chelle, sinon, ça va mal se passer pour toi ». Voilà la motivation directive. Et puis, tu as la motivation par l'épanouissement personnel. C’est-à-dire : « Les gars, écoutez, si on gagne la CAN, votre nom entrera dans l'histoire du football mondial ». Moi, j'essaie d'intervenir sur ces trois motivations. Dans mes causeries, tu as l’aspect technique et tactique évidemment. Et tu as aussi la motivation. Et souvent, j’utilise la motivation par l’épanouissement personnel. J’observe souvent ce que disent les adversaires, leur posture aussi. Je rebondis toujours là-dessus. Avant d’affronter le Rwanda, leur coach avait dit dans une interview : « Les Nigérians sont des bons joueurs parce que ce sont des sorciers ». J’ai intégré cette déclaration dans ma causerie. J’ai donc dit à mon groupe : « Voilà ce que l’entraîneur a dit, donc maintenant, je m’en fiche du résultat, je m’en fiche de la pression, je m’en fiche de la Coupe du Monde, je veux que vous sortiez le meilleur match pour le faire mentir ». Tout ça pour te dire que j’ai des trames. Tu es obligé d’avoir des trames. Ta causerie va commencer par le contexte, ensuite par le côté tactique et pour finir, tu vas accentuer sur la préparation et l’aspect mental.  J’essaie toujours d’intégrer un événement qui va avoir un effet sur la motivation par l’épanouissement personnel.

La gestion des egos

Quand tu arrives dans un groupe, le premier discours est le plus important. Il faut poser des règles strictes. Ces règles vont te permettre de poser un cadre autour de ton groupe. Tout le monde doit entrer dans ce cadre-là. Il faut que tu aies la force de faire en sorte que tout le monde respecte ces règles. Par exemple, première règle : entraînement à 9h00, rendez-vous dans le vestiaire à 8h30. Si à 8h31, Osimhen, Ibrahimovic, Platini, Zidane ou Pelé arrivent en retard, il faut une sanction. C’est obligatoire. C'est une histoire de respect par rapport à l'institution et surtout par rapport aux autres joueurs. À partir du moment où tout le monde est logé à la même enseigne, tout le monde te respecte. Après, Il suffit juste que tu respectes les gens. C’est tout. Voilà mon management. Les joueurs aiment qu’on leur dise la vérité, ils aiment être respectés. Je fonctionne comme ça. Victor Osimhen est une superstar du football, c’est un immense compétiteur. Je n’en ai pas vu beaucoup des joueurs comme ça dans ma vie. Et avec lui, tout a été fluide. On se ressemble beaucoup finalement. Pour bien gérer ces joueurs, j'essaie juste de bien connaître l'homme. Et pour bien connaître l'homme, il faut mettre le respect en premier lieu.

La part de chance dans un match

Pour moi, la part de chance est grande. Si je dois donner un chiffre, je dirais que la part de chance représente 15%. Combien de matchs se jouent sur un coup de pied arrêté ? Combien de fois un défenseur sauve miraculeusement le ballon sur la ligne ? Combien de fois un match se joue sur un coup de billard dans la surface ? La part de chance est importante, mais je vais aller plus loin, elle est souvent provoquée. Tu as deux équipes qui jouent avec leur projet de jeu, leurs forces et leurs faiblesses. Finalement, ça se joue à un détail. Et souvent, le détail, c’est un coup de chance. Mais ce coup de chance n’arrive pas par hasard, généralement, il est provoqué.

Entraîneur et sélectionneur, quelles différences ?

Quand tu es sélectionneur, tu es plus sur un métier de directeur sportif. Dans ton approche, tu es dans l’observation, dans l’analyse de tes joueurs. Tu ne les as pas souvent, donc tu es obligé de mettre un suivi en place, tu dois regarder leurs matchs, tu dois avoir les informations sur le plan physique, sur le plan émotionnel. Donc tu es plus sur un suivi de directeur sportif. Et surtout, la principale différence, c'est que tu n'as pas d'objectifs à la semaine. En tant que sélectionneur, tu as des objectifs à moyen terme, lorsque tu es entraîneur, tu as des objectifs à court terme. C'est plus facile d'être entraîneur que sélectionneur, parce que quand tu perds un match, tu sais que la semaine d'après, tu as un autre match. Donc, tu peux oublier le match précédent. Quand tu es sélectionneur, tu perds un match, ton match d'après, il est dans trois mois. Tu as le temps de ruminer, tu as le temps d’encaisser… Et pendant ces trois mois, il se passe beaucoup, beaucoup de choses. La pression est différente aussi. Quand tu es sélectionneur, tu as la pression d’un pays. En tant qu’entraîneur, tu as la pression de ton club et les supporters de ton club. Ça n’a rien à voir avec un pays, une nation.

Les critères de sélection d'un joueur

Déjà, il faut avoir du temps de jeu. Il faut être en pleine forme physiquement et il faut que tu sois bon aussi. Et puis, la dernière chose, c'est tactiquement. Est-ce que tu peux entrer dans le système de jeu du sélectionneur ? En tant que sélectionneur, tu n’as pas le temps. Quand j'ai pris l'équipe nationale du Nigeria, je n’ai eu que deux séances avant le match. Donc, en deux entraînements, il faut que je sois capable de vite faire passer le message et ce que je veux pour mon équipe. Sur le plan physique, le joueur doit être en forme. Il faut aussi qu’il soit intelligent tactiquement pour être prêt à comprendre et appliquer mes consignes. Il faut aussi une belle qualité technique. Et pour finir, il faut être prêt mentalement, les matchs internationaux ne sont pas faciles…

Le processus pour imposer sa patte

On a plusieurs dossiers sur ordinateur. J'ai un dossier projet de jeu où j'ai tous mes entraînements, tous mes mes « skills » d'entraînement. J'ai tous mes circuits techniques. J'ai mon projet de jeu qui est expliqué avec des vidéos bien précises. Par exemple, quand il se passe ça, je veux que le groupe fasse ça. J’ai illustré mes attentes par des vidéos concrètes. J'ai travaillé sur Tactical Pad, on présente notre projet de jeu avec cet outil. Et on arrive quand même à vite faire comprendre nos idées. Tu as aussi la manière d'entraîner. Nos entraînements sont bien préparés. Ils commencent toujours par un échauffement technique. On ne fait pas un échauffement simple de gamme, on a un échauffement technique. Ensuite, on part sur des évolutions 11 contre 0, où on va travailler le système de jeu. Et ensuite, on est plus sur des jeux à thèmes, avec des consignes bien précises.

Groupe élargi ou restreint ?

J’aime avoir un groupe de 20 joueurs. Je veux avoir le temps de bien connaître les hommes et les joueurs.

L’entraîneur africain, sous côté ?

Les entraîneurs africains qui ont fait leur cursus en Afrique, pour eux, c'est compliqué. Pour moi, ils n’ont pas la formation adéquate. Après, les Africains formés en Europe avec des formations en France, en Angleterre, en Allemagne ou en Italie, ils ont ce bagage pour réussir. L'entraîneur africain formé en Europe est sous-coté en Europe, on est d'accord. Quand on regarde, on ne voit pas beaucoup d’entraîneurs africains en Europe. On peut dire ce qu'on veut, mais pour moi, oui, l'entraîneur africain est sous-coté. Quand on voit les sélections africaines, on retrouve beaucoup d’entraîneurs étrangers quand même. Mais en Europe, on ne voit pas d’entraîneurs africains à la tête de sélection européennes.

Ses inspirations

Je t’ai cité pendant l’interview Marcelo Bielsa et Pep Guardiola. Je vais aussi te citer Daniel Leclercq. Il a été champion avec le RC Lens. Dans le management, je pense à Phil Jackson, l’entraîneur des Chicago Bulls époque Michael Jordan. Il a un management très intéressant. Voilà mes mentors.

La nouvelle génération

Aujourd'hui, les jeunes ont tout. Ils ont vraiment tout ce contenu qu'on n'avait pas. Par exemple, en termes de préparation physique, un jeune va sur YouTube, il tape : « Préparation physique », il a du contenu. S’il veut progresser techniquement, il a des entraînements à sa disposition sur YouTube. En termes de contenu, ils ont tout, cette génération a tout. Le problème de cette génération, c'est plutôt sur le plan mental. Comme ils ont tout, ils ne souffrent pas. Ils n'ont pas cette notion de : « Allez, on va souffrir pour réussir ». Notre génération n'avait rien, on essayait d'avoir du contenu, on avait cette envie de réussir. Attention, je ne dis pas qu'ils n'ont pas envie de réussir. Bien sûr qu'ils ont envie de réussir, mais pour eux, c'est beaucoup plus facile. Maintenant, le gros problème qu'ils ont, c'est que tout est sur internet. Ils n'ont pas de chance parce qu'ils ont une énorme pression de vie, que ce soit au niveau du football, mais aussi en tant qu’homme. Ce que j'adore dans cette génération, c'est qu'ils ont une mémoire visuelle exceptionnelle. Nous, on avait une mémoire différente. Il fallait qu'on teste ce qu'on voyait. Il fallait qu’on le fasse. Eux non, quand ils voient quelque chose, ils l'assimilent. C’est un gain de temps énorme. Encore plus aujourd’hui. Maintenant, les communautés se sont démarquées par rapport à leurs qualités. Chaque communauté a une qualité bien précise et bien développée. La nouvelle génération, ils aiment bien quand on leur dit la vérité, ils aiment bien quand on leur dit les choses. J’ai commencé ma carrière à Consolat, dans les quartiers nord de Marseille. J'avais des joueurs de foot, d’autres n’étaient pas joueurs de foot. Ils aimaient les discours de vérité. Après, je suis parti en Afrique, au Mali, j'ai eu des Maliens et pareil, je suis resté sur ça en termes de discours. J'étais très vrai. Après, je suis parti en Algérie. Et en Algérie, ils avaient besoin d'un discours qui allait les emmener vers la réussite. Ils en avaient besoin. Ce sont des joueurs très doués techniquement, mais ils avaient besoin de challenges, besoin de défis. Et aujourd'hui, je suis au Nigeria, dans un pays anglophone. Eux, un peu comme l'Algérie, ils veulent du challenge.

Les différentes visions du monde

Si je suis au Nigeria aujourd’hui, c'est parce que je suis passé par le monde arabe, parce que je suis passé par l'Algérie et que j'ai eu quelques résultats intéressants. Sinon, le Nigeria ne m’aurait, peut-être, pas engagé. Aujourd'hui, la différence entre l’Afrique et le Moyen-Orient se fait ressentir. Par rapport à l’entraîneur africain, je parlais de ce manque de formation. Mais au Maghreb et au Moyen-Orient, ils ont ces formations-là, ils ont ce cursus-là. Au Moyen-Orient, en plus d'avoir ces formations-là, ils ont, comme en Europe, la technologie qui va avec : les GPS, les analyses de donnés, les DATA, ils ont tout. Ils ont des retours sur les DATA des joueurs. Il y a une progression dans le monde arabe, et ce n'est pas péjoratif ce que je dis. Ils ont pris de l’avance par rapport à l'Afrique de l'Ouest ou l'Afrique du Sud. Dans ces zones, il y a un vrai déficit de formation, de structure, et de technologie. Alors qu’au Maghreb et au Moyen-Orient, ils sont prêts à ce niveau. Quand on a joué contre l’Arabie Saoudite, c’était impressionnant. C'était très intéressant ce qu'ils proposaient. Aujourd'hui, c'est une destination et c'est un football qui est en train de progresser. Et dans les années à venir, ils vont franchir encore un palier. Parce qu'en termes de formation, ils progressent énormément.

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