La Grinta
·23 juillet 2019
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·23 juillet 2019
Au terme de la première saison à Leeds United de Marcelo Bielsa, le temps est venu de dresser le bilan de l’exercice 2018-2019 avant d’aborder la saison 2019-2020. Au programme du troisième article de notre trilogie, retour sur le principal mythe autour du travail de l’Argentin : le « burn-out ».
« Les cycles ne peuvent s’apercevoir qu’en 8 à 10 matchs. Il faut analyser le championnat par quarts pour voir des tendances ». Jamais trop prudent, Marcelo Bielsa, alors entraîneur du LOSC, se gardait bien de crier au triomphe après la victoire initiale des siens face au FC Nantes (3-0) lors de la saison 2017-2018. Une déclaration pour signifier en substance que l’évaluation d’un début de saison ne se décrète pas au terme du premier match du championnat. Et que dresser un bilan demande du temps.
Concernant l’évaluation de la fin de saison cette fois, il existe un allant de soi selon lequel les équipes dirigées par l’Argentin seraient frappées d’un syndrome à l’aube du printemps : le « burn-out » Ainsi, celles-ci souffriraient d’un état d’épuisement général, à la fois physique, psychique, émotionnel et mental à l’heure de récolter les lauriers semés durant l’année. Les équipes de Bielsa feraient-elles preuves de surrégimes répétés ?
Partir du postulat selon lequel les équipes de Bielsa fléchiraient physiquement ou mentalement au fil de la saison ou à la fin de celle-ci revient à balayer l’intégralité de la carrière professionnelle du technicien argentin. Car cette méthode reste la plus pertinente pour examiner la véracité ou non des faits. Surtout que le premier obstacle rencontré dans l’affirmation de cette idée est de taille : l’observateur, embourbé dans le football contemporain et le tropisme européen, se repose sur les saisons les plus récentes de l’Argentin et les issues malheureuses pour s’en convaincre. Indépendamment des saisons plus courtes en Argentine (tournoi semestriel), ce serait omettre la contextualisation des faits et les 30 ans de carrière de notre sujet d’étude.
Été 1990. Après avoir gagné tous les titres imaginables avec les équipes de jeunes puis la réserve des Newell’s Old Boys, un jeune éducateur prodige de 35 ans du nom de Marcelo Bielsa est nommé nouvel entraîneur de l’équipe professionnelle à l’aube de l’Apertura 1990.
Contexte : Après avoir été titré lors de la saison 1987-1988 sous José Yudica, Newell’s reste sur deux saisons compliquées (12e à chaque fois). Place à Bielsa, le plus légitime étant donné son antériorité au sein du club, pour insuffler de nouvelles idées.
Verdict : Au terme des 19 journées de l’Apertura (victoire à deux points), Newell’s aura régné en maître durant toute la saison au point de terminer les douze derniers matchs de la saison invaincu. La deuxième partie de saison est même presque parfaite : 6 victoires et 3 matchs nul. Première saison, premier titre. Difficile de rêver d’un meilleur début de carrière.
Contexte : Auréolé de son premier titre, le Newell’s de Bielsa aborde le Clausura dans de parfaites dispositions, invaincu lors des quatre premiers matchs (2 victoires, 2 nuls) avant de se montrer plus irrégulier. À partir du printemps, Newell’s ne décroche même qu’une victoire en 9 matchs (4 nuls, 4 défaites) pour terminer 8e du Clausura. Mais les Rojinegros trouveront les ressources suffisantes (physiques ? mentales ?) pour venir à bout de Boca Juniors, le vainqueur invaincu du tournoi, en finale nationale. Un authentique exploit.
Précision : À l’époque, pour déterminer le champion de la saison, s’affrontaient le vainqueur de l’Apertura (Newell’s) et du Clausura (Boca Juniors). Et ladite finale nationale favorisait ostensiblement le vainqueur du Clausura puisqu’elle avait lieue à peine une semaine après la fin du tournoi.
Verdict : Après un an à Newell’s, Bielsa a décroché son deuxième titre sur trois possible.
Contexte : En quelques mois, Newell’s est passé du club en perte d’identité à l’équipe à battre. Mais durant cet Apertura, l’équipe implose. Avec 1 victoire sur les 10 premiers matchs du tournoi, Newell’s vit un automne 1991 cauchemardesque.
Verdict : L’ironie veut que le club ait mieux terminé le tournoi qu’il ne l’avait commencé, invaincu lors des sept derniers matchs (5 nuls, 2 victoires). Autrement dit, non seulement Newell’s n’a pas subi de contrecoup mental ou physique mais le club s’est remobilisé au fil de la saison malgré les difficultés.
Contexte : Une remobilisation qui portera ses fruits dès le tournoi suivant : invaincu lors de ses quatorze premiers matchs, Newell’s vit une saison extraordinaire. Une seule défaite, 8 buts concédés seulement en 19 matchs, le titre de champion à la clé et une campagne historique (finaliste, 16 matchs joués) menée en parallèle en Copa Libertadores.
Contexte : Saison 1992-1993. Au grand dam des dirigeants de l’Atlas Guadalajara, Marcelo Bielsa, entraîneur convoité, refuse le poste d’entraîneur, ce dernier préférant un rôle plus réflexif et moins sujet au stress. Au prix d’âpres négociations (sportives) et d’une mise au point sur les rôles de chacun, l’Argentin acceptera néanmoins de s’occuper du centre de formation avec le luxe de choisir le futur entraîneur du club, Mario Zanabria. Un an après des résultats peu glorieux (12e), Bielsa décide de succéder à son ami et ancien coéquipier pour faire mieux. Au Mexique, l’Argentin connaît sa première expérience dans un championnat comptant 40 journées où, comme en Argentine, la victoire rapporte deux points.
Verdict : Ses débuts ne sont pas idéaux. Avec 3 victoires, 3 nuls et 4 défaites après 10 matchs (soit au quart du championnat), difficile d’imaginer l’Atlas se qualifier pour la Liguilla (play-offs réservés aux 8 premiers). Et pourtant, une série de six matchs sans défaites avec quatre victoires à la clé avant la mi-saison permet aux hommes de Bielsa de revenir dans la course. Et une nouvelle série positive de neuf matchs (dont cinq victoires) entre la 23e et 31e journée permettra au club de Guadalajara de se qualifier pour la Liguilla sans connaître par ailleurs de heurts particuliers. Cinquième à l’issue du championnat, l’Atlas s’inclinera face à Santos Laguna, 4e et futur finaliste, dès les quarts de finale des play-offs.
Contexte : La saison suivante est marquée par une irrégularité endémique. Si le club ne subit pas de série de défaites avant la 13e journée, il peine également à enchaîner.
Contexte : Fort de sa nouvelle notoriété sur le continent, Bielsa suscite les convoitises d’un des clubs les plus puissants et instables du championnat mexicain : l’América. La saison précédente, le club de Mexico s’était incliné en demi-finale de la Liguilla après avoir terminé second du championnat. Précision importante : Leo Beenhakker avait été débarqué entre-temps au printemps (en fin de saison régulière) pour avoir aligné un joueur en conflit avec la direction. C’est donc dans une certaine instabilité structurelle que Bielsa tend à devenir l’homme fort du club.
Contexte : Été 1997. Bielsa fait son retour en Argentine… mais à Vélez et non à Newell’s. Et le barème a évolué puisque depuis l’Apertura 1995 la victoire a trois points est instituée. Au milieu des années 1990, Vélez est l’une des meilleures équipes du continent et une référence à l’échelle internationale. L’héritage que doit assumer Bielsa est colossal. Sous Carlos Bianchi puis Oswaldo Piazza, Vélez a notamment remporté le Clausura 1993 et 1996, l’Apertura 1995, la Coupe Intercontinentale 1994 (face au Milan de Capello) et la Copa Libertadores 1994 (face au Sao Paulo de Telê Santana). En 1997 cependant, Vélez reste sur deux échecs, treizième de l’Apertura 1996 et cinquième du Clausura 1997. Pour la première fois de sa carrière, Marcelo Bielsa doit assumer un passé récent riche en succès. Charge à lui de retrouver les sommets avec ses principes de jeu si singuliers.
Contexte : Après avoir convaincu les supporters et avoir su gagner l’adhésion des joueurs en bouleversant les habitudes d’un groupe qui a tout gagné, Vélez doit désormais confirmer l’enthousiasme général en luttant pour le titre.
Verdict : Vélez entame parfaitement le Clausura, leader à l’issue du premier quart du tournoi avec quatre victoires en cinq matchs. Un leadership que n’abandonnera pas les hommes de Bielsa, dominateurs et tout-puissants avec un excellent bilan de 14 victoires, 4 nuls pour une défaite. Avec ce troisième titre aux allures de démonstration, Marcelo Bielsa permet à Vélez de rester sur la voie du succès et réaffirme son statut d’entraîneur émérite à l’échelle du pays et du continent. Prochain défi ? Gagner les coeurs et les esprits en Europe.
Contexte : 7 juillet 2011, l’Athletic Bilbao annonce officiellement la signature de Marcelo Bielsa comme nouvel entraîneur du club basque. Cinq mois après sa démission de la sélection chilienne et presque 13 ans après la prise en charge de son dernier club (Espanyol Barcelone), l’Argentin endosse de nouveau la tunique d’entraîneur. Sous Joaquin Caparros, los Leones viennent de terminer à une honorable sixième place en Liga dans l’anonymat général. Sous Bielsa, le club tend à faire mieux avec une nouvelle prérogative sous le nouveau président, Josu Urrutia : proposer une nouvelle identité de jeu.
Championnat, Coupe du Roi, C3. Le calendrier de l’Athletic est infernal. 26 avril 2012, demi-finale retour de Ligue Europa. Battue (1-2) à l’aller par le Sporting, la bande à Bielsa donne la leçon à San Mamés pour arracher sa place en finale (3-1) un mois après avoir éliminé Manchester United et Schalke 04. Mais aux portes de la gloire, l’équipe s’effondre, battue lors de cinq des six derniers matchs de la saison. Bilan ? Finale de C3 perdue (3-0), finale de Coupe du Roi perdue (3-0) et une malheureuse 10e place en Liga alors que le club était toujours européen fin avril.
Cette fin de saison, Ander Herrera s’en souvient encore parfaitement : « Je ne peux pas mentir, durant les derniers mois, on ne pouvait même plus bouger. Nos jambes ont dit « stop ». On avait l’habitude de jouer avec les mêmes joueurs (14) donc nous n’avons pas joué à notre meilleur niveau lors des finales. On était une équipe complètement différente de ce qu’on avait démontré auparavant. Pour être honnête, on était complètement morts. »
Après 65 matchs joués, un record dans l’histoire du club, si l’aspect physique n’est évidemment pas à écarter dans l’explication du dénouement (mais comment expliquer alors cette qualification en finale de C3 mal embarquée ?), le niveau des adversaires (FC Barcelone, Atlético Madrid) et l’aspect culturel du club (groupe basque donc limité quantitativement) n’ont pas aidé à optimiser les chances de bien faire.
Contexte : L’été a été mouvementé à Bilbao. Si Bielsa a vite été reconduit par le club (le 2 juin), l’Argentin a subi bon nombre d’événements. Sur le plan extra-sportif, les travaux demandés par le technicien pour améliorer le centre d’entraînement ont pris du retard et ont fortement impacté les plans de la pré-saison. Par ailleurs, conséquence de la saison 2011-2012 riche en exploits, l’Athletic a subi le départ de Javi Martinez (Bayern Munich) et la mise à l’écart de Fernando Llorente (déclaration publique de sa volonté de quitter le club, il rejoindra la Juventus).
Contexte : Quand Marcelo Bielsa débarque à l’Olympique de Marseille au printemps 2014, le club phocéen est à la recherche de stabilité après avoir connu deux entraîneurs en deux ans (Elie Baup, José Anigo) et ce quatre ans seulement après son titre de champion de France. L’OM, une formation sans idée, vient de réaliser une piètre saison, 6e de Ligue 1 et ridiculisée d’un zéro pointé historique en phase de groupes de la Ligue des champions. Avec Bielsa, le président Vincent Labrune souhaite redorer sa présidence avec un entraîneur de renom. L’objectif non avoué : se qualifier pour la prochaine campagne de Ligue des champions.
Contexte : Voilà quinze ans que Leeds United végète dans le sous-sol du football anglais. Trois ans en League One et le reste en Championship. Propriétaire du club depuis mai 2017, Andrea Radrizzani tente bien de conjurer le sort pour effacer cette hérésie. Rien à faire. Ni Thomas Christiansen ni Paul Heckingbottom n’ont été en mesure de permettre à Leeds de rejoindre l’élite. Sur les conseils de son directeur sportif Victor Orta, Radrizzani décide alors de tenter le tout pour le tout en essayant de séduire un homme meurtri, chassé quelques mois plus tôt par une autorité (Lille) animée davantage par l’intérêt que par la loyauté. Outre-Manche, la terre de Leeds, elle, est ravagée par les atermoiements et le chaos. Depuis 2004, ses supporters, dans la nostalgie de ses vieilles gloires, attendent le technicien susceptible de ramener le club à la vie. Quelques cinquantaines de VHS plus tard, Marcelo Bielsa accepte le challenge en restant fidèle au même effectif 13e de la dernière campagne de Championship. Et l’objectif affiché est clair : la promotion en Premier League.
« Vous avez entendu que les équipes que j’ai dirigées arrivent à cette période de la saison fatiguées physiquement et mentalement. Or, le match contre Derby County (match retour des play-offs) est le match où nous avons le plus couru durant la saison. Donc j’écoute les arguments, mais pas pour me convaincre du contraire, pour voir si je dois donner du crédit à ce que j’entends. Parce que si je ne sais pas ce qu’il ne va pas, je ne peux faire aucune correction. Mais si je corrige seulement ce que me dit l’opinion alors qu’en réalité tout va bien, j’empire les choses au lieu de les améliorer. Je doute toujours de ce que je pense. Et j’écoute toujours les propositions qu’on me soumet à propos de ce que je fais pour voir si je peux faire des corrections et améliorer les choses (…). »
15 mai, 22 h 40. Leeds est éliminé des play-offs, battu (2-4) par Derby County au terme d’un nouveau match fou. Quelques minutes à peine après la sentence, lors de sa dernière conférence de presse de la saison, Bielsa a réitéré des propos qu’il n’aura cessé de clamer durant le printemps. L’Argentin ne veut pas entendre parler de fatigue, qu’elle soit physique ou mentale. Pour le coach de Leeds, c’est un non-sujet. Un faux problème. La solution de facilité toute trouvée pour exprimer ses périples inachevés.
« On écoute ces histoires [de fatigue] sans grand fondement ici ou là », avait déclaré à ce propos Rob Price, le médecin de Leeds en mars dernier. « À partir des tests physiques, d’autres données et des tests hebdomadaires, on sait qu’on peut maintenir le rythme qui est le nôtre », avait-il défendu. Avant d’aller plus loin. « Le rendement physique est même meilleur au fil de la saison plutôt qu’il n’empire. On travaille dur, mais on travaille raisonnablement et de manière intelligente. On ne pousse pas les joueurs à l’épuisement. On contrôle la charge de travail de chaque joueur pour s’assurer qu’ils puissent être performants en match. »
« On peut montrer aux joueurs qu’ils sont bien physiquement et mentalement, avait-il poursuivi, arguant la capacité des joueurs à encaisser toujours aussi bien les séances d’entraînements. Parce que si vous êtes fatigué mentalement, il n’y a aucune chance que vous puissiez être performant physiquement. Mais si vous êtes en forme physiquement, vous avez toutes les chances d’être bien mentalement. Et pouvoir leur montrer cela avec les mesures de performance, les vidéos analytiques, tout cela est juste la confirmation qu’ils sont capables de poursuivre [sur le même rythme] et ils en seront capables », avait-il conclu à ce sujet. Si Rob Price n’a pas publié sur la toile lesdites mesures de performance, il confirme néanmoins la thèse de Jan Van Winckel balancée quatre ans plus tôt : non, la question physique n’est pas l’argument à considérer dans l’explication de la tournure de la fin de saison des Whites.
Quels sont-ils alors ? Si nous avons tenté de trouver les réponses ici, encore une fois, d’autres arguments que le facteur physique expliquent la non-accession (avec les graphiques de LUFCDATA).
Non seulement Leeds s’est constamment créé plus d’occasions que son adversaire, mais ce dernier s’en est moins procuré au fil de la saison (premier graphique). Problème, Leeds a perdu peu à peu sa capacité à se montrer efficace devant le but (second graphique).
Pour mieux comprendre cette fin de saison, appuyons-nous sur d’autres indices. Les Expected Goals d’abord. Non seulement ceux-ci ont augmenté dans la dernière ligne droite de la saison, mais Leeds s’est toujours procuré des occasions de meilleure qualité que son adversaire (avec par ailleurs la seconde meilleure production offensive du Championship avec 79,25 d’xG pour la saison), preuve que le club s’est montré d’autant plus pressant et méritant au printemps.
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