La Grinta
·18 octobre 2019
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·18 octobre 2019
Depuis 2012, Nicolas Florentin s’occupe des jeunes joueurs de Nancy. Arrivé au centre de formation du club en 1993, l’ancien partenaire de Pape Diakhaté, Youssouf Hadji et Olivier Rambo, a ensuite joué à Beauvais sous les ordres de Jacky Bonnevay, à Troyes avec Jean-Marc Furlan, puis Caen avec Franck Dumas et enfin à Angers avec Stéphane Moulin et Jean-Louis Garcia, l’actuel entraîneur de l’équipe première de Nancy. À la fin de sa carrière, conscient de la fibre d’éducateur sommeillant en lui depuis sa jeunesse, il accepte de rejoindre Patrick Gabriel, directeur du centre de formation qui l’avait recruté avec Pascal Viardot seize ans auparavant, pour entraîner les jeunes de moins de 12 ans. Après s’être occupé de la préformation, coaché les moins de 15 ans, les moins de 17 ans nationaux et deux intermèdes en tant qu’entraîneur adjoint de l’équipe professionnelle, à quarante-et-un ans, Nicolas Florentin a repris les moins de 18 ans régionaux et passe ses diplômes de directeur de centre de formation (BEFF). « Pouvoir porter à nouveau les couleurs de mon club en tant qu’entraîneur, c’est important pour moi », explique-t-il. Rencontre.
Tout d’abord, et c’est un sujet qui fait débat en Bundesliga entre les générations d’entraîneur, avoir joué longtemps au haut-niveau aide-t-il autant qu’on le pense à devenir entraîneur ?
Nicolas Florentin : Il y a quelque chose que l’on ne peut pas nous enlever, nous anciens joueurs, c’est l’expérience. L’expérience des exigences que le chemin vers le haut-niveau demande, du travail accompli pour y arriver. Après une autre chose est certaine, c’est que le fait d’avoir joué à un haut-niveau ne te garantit pas d’être un bon entraîneur. Car il n’y a pas que le football à gérer. Et chez les nouvelles générations, ce ‘tout’ est encore plus fort. Il demande une fibre de la formation, une écoute et une attention particulière.
Dans votre cas, comment s’est déroulée la bascule vers le coaching ?
N.F. : Pour la petite histoire, j’ai entraîné avant même d’être professionnel. À 13 ans, je m’occupais des petits de 7 ou 8 ans de mon club (l’A.S. Pagny, à 40 kilomètres au nord de Nancy). J’avais déjà une certaine fibre de l’enseignement en moi puisqu’au départ le métier que je souhaitais faire c’était prof de sport. J’ai passé mon premier diplôme à 16 ans puis d’autres ensuite durant ma carrière de joueur. Y compris celui d’Initiateur 1 que l’on te donne en passant pro. Mais à mon sens, ce n’est pas parce que tu es joueur professionnel que l’on doit te dispenser de certaines formations, notamment enrichissantes sur la gestion des jeunes. Donc tout au long de ma carrière, j’avais en tête que je finirai par entraîner. Et puis, il y a eu ce moment important : lorsque je me suis retrouvé à regarder un match dans la tribune avec des béquilles et des vis dans le tibia après une grave opération en août 2009. C’était au stade Michel-d’Ornano face à Nantes et c’était la première fois que je regardais un match différemment. Je ne regardais pas que le ballon, c’était même tout sauf le ballon, c’est-à-dire le déplacement des joueurs, la hauteur des blocs, la hauteur du gardien, les replis défensifs…
La transition se fait donc surtout dans l’approche du jeu ?
N.F. : De mon passé de joueur professionnel, le joueur était consommateur. Si ce n’est la préparation de ton corps, de toi-même, tu venais à l’entrainement et consommais ce que ton entraîneur avait mis en place. Tu faisais ce qu’il te demandait. Quand tu es entraîneur, tu es dans la construction des séances. Et cela nécessite un gros travail de préparation et de réflexion, à partir de ta manière de voir le jeu et de tes joueurs.
Vous avez été notamment coaché par Jean-Marc Furlan à Troyes, un entraîneur avec une approche marquée du jeu. Mais quelle est véritablement l’influence des personnes qu’on a fréquentées en tant que joueur ?
N.F. : Forcément, tous les entraîneurs que j’ai pu avoir ont une influence sur ce que je suis aujourd’hui. Par exemple, la rigueur de László Bölöni et Jean-Louis Garcia, la confiance et la liberté laissées aux joueurs avec Franck Dumas, les efforts défensifs de Francis Smerecki, la culture tactique de Jean-Marc Furlan et son approche mentale. Ce n’est pas que je garde ce qu’ils m’ont montré ou que je pioche parmi leur éventail que je connais, c’est surtout que ça fait partie de mes idées du football. Ça me correspond.
Justement, quelle est votre philosophie ?
N.F. : La possession n’est pas un gage de réussite, à l’image de l’équipe de France à la Coupe du monde 2018 mais j’aime avoir le ballon et m’imposer avec. J’apprécie beaucoup le 4-4-2 à plat car il y a des paires et des triangles partout. Ça permet de créer du mouvement chez l’adversaire par le redoublement de passes et les dédoublements. Mais aujourd’hui j’encadre des jeunes qui sont en formation, alors mon idée c’est de faire découvrir un maximum de systèmes et d’animations aux joueurs pour ne pas les formater pendant plusieurs années. On essaye donc d’être flexible, en laissant la sortie de balle aux défenseurs centraux sans que le milieu reculé intervienne pour créer des décalages plus haut, en jouant la transition avec des contraintes de temps après la récupération dans telle zone du terrain. Pour les joueurs, c’est avoir une réflexion tactique dans les différentes phases du jeu au moment de passer professionnel.
Il n’y a pas une uniformisation des systèmes de jeu pour toutes les catégories à Nancy, comme au Barça ou ailleurs ?
N.F. : Non il n’y en a pas. On souhaite faire découvrir aux joueurs tous les systèmes de jeu et leurs animations. Il n’y a pas comme il fut un temps à Lorient où toutes les équipes jouaient en 4-4-2. Ici, chaque entraîneur est libre, parce qu’on pense que durant leur carrière professionnelle, les joueurs devront savoir s’adapter à tous les types de football. Bien évidemment, c’est en concertation avec le directeur du centre, Patrick Gabriel, mais la seule chose imposée c’est le projet de jeu : celui de faire cultiver une ouverture d’esprit avec une culture tactique assez développée afin de s’adapter à ce que entrainement leur demande.
Aujourd’hui, on demande plus aux joueurs de réfléchir qu’à votre époque ?
N.F. : Oui il y a eu une vraie évolution et elle porte le nom de la vidéo. Au début de ma carrière, il y avait un match par semaine sur Canal+ et ceux de l’équipe de France mais rien d’autre. Aujourd’hui, tu prends un abonnement et t’as des matchs tous les jours sur plusieurs chaines. C’est un énorme accès à l’information pour les joueurs. Mais c’est aussi générationnel. Aujourd’hui, nous les coachs, sommes ouverts à la discussion avec les joueurs, on essaye d’avoir leur ressenti. Jean-Marc Furlan était déjà de cette trempe-là. Avec László Bölöni c’était différent. On faisait ce qu’il nous disait, on ne s’occupait pas de savoir s’il avait raison ou tort. Les joueurs d’aujourd’hui ont à leur disposition bien plus d’outils que ce que l’on avait avant et donc sont en capacité de comprendre plus de choses. Ou en tout cas bien plus tôt. Je pense que la vidéo, à la télévision ou même au centre de formation dans l’analyse, c’est un vrai accélérateur vers le haut niveau. Certains clubs le font aussi, mais à Nancy on essaye que les jeunes soient acteurs de leur projet de formation, notamment en étant capables eux-mêmes de réaliser les montages vidéos.
Dans vos rencontres et lectures, y-a-t-il un personnage qui vous a marqué ?
N.F. : Quand j’étais plus jeune, j’aimais la façon de faire de Rolland Courbis : un meneur d’hommes proche de ses joueurs et très sincère. Il y a aussi Diego Simeone dans ce style-là. Mais un personnage qui m’a marqué, c’est Jean-Marc Furlan. À l’époque, lorsqu’il arrive à Troyes depuis Libourne-Saint-Seurin, on était dans un contexte difficile où depuis quelques mois plus personne n’était payé au club. Et il nous parle de montée. On a eu beaucoup de travail tactique, du tableau noir à l’ancienne. C’était important de connaitre le partenaire, de savoir que dans telle zone et situation, il fallait jouer dans telle autre zone. C’est de l’imagerie mentale. Et dès les premiers matchs de championnat, tout ce qu’il nous a raconté, ça se passait exactement comme ça. Directement, tout le groupe a adhéré, ça a créé une bulle positive où tu n’étais pas dans la peur de mal faire mais dans le plaisir de réussir. À la fin de la saison, on est monté en Ligue 1. C’était que du bonheur.
Julian Nagelsmann, le coach de Leipzig, considère que le métier d’entraîneur est constitué à 30% de tactique et à 70% de social. Selon vous quelle est la part de psychologie et de tactique ?
N.F. : Il a sûrement raison dans les chiffres. La psychologie est importante. Prépondérante même. Il y a le jeu certes, mais si tu as cette qualité d’écoute envers tes joueurs, que tu leur apportes confiance et sérénité, tu peux leur permettre d’être au meilleur niveau dans les matchs. Aujourd’hui, les réseaux sociaux et les médias sont plus développés et le football évolue avec ça. Mais ça peut vite brouiller les jeunes, alors la proximité avec eux est importante. Il faut se tromper le moins possible et être juste avec les joueurs.
Vous entamez votre septième saison en tant que coach. Comment ça progresse un entraîneur ?
N.F. : Forcément en « mangeant » beaucoup de football et en analysant ce que tu regardes. Mais l’entraîneur progresse beaucoup en regardant ce qu’il se fait ailleurs. Aussi bien dans les autres clubs, en supervisant. Par exemple, j’ai été voir Fulham, Chelsea et Arsenal sur un petit séjour. C’est enrichissant. Mais aussi en s’intéressant à d’autres sports. Je pense qu’il faut s’ouvrir. Il y a beaucoup de choses à transposer au football. Pas plus tard qu’hier matin avant la séance d’entraînement, j’ai passé des vidéos de basket et de rugby aux joueurs. C’est le détail, la rigueur, l’exigence, l’investissement, la motivation, l’adrénaline dans les matchs. Prochainement, je vais leur passer des vidéos de plongeon. La relation avec le football est difficilement compréhensible mais c’est le dépassement de soi pour obtenir quelque chose que l’on désir. Pour les joueurs, ça permet de progresser mais aussi pour l’entraîneur, car c’est aussi des méthodes d’entraînements différentes. Dans mon cas à la formation, il y a aussi en discutant avec l’entraîneur de l’équipe première et en ayant la chance de pouvoir tenter des choses en matchs.
À la tête d’une équipe de formation, peut-on s’identifier à des matchs de très haut niveau ?
N.F. : Oui, on en discute souvent avec les jeunes. C’est surtout par rapport aux attitudes de certains joueurs. On ne copie pas. L’écart est élevé et le profil des joueurs n’est pas toujours le même. Mais on essaye de s’inspirer, notamment des points de détails, pas sur un style de jeu. Ça peut être l’attitude de telle ligne, l’attitude dans les binômes et les triangles, la complémentarité des joueurs de couloirs. Tout comme les combinaisons de coup-franc et de corner. Regarder, analyser et s’inspirer, c’est tendre vers ce haut niveau.
Nancy a la réputation d’être un club formateur. Mais quelle est la clé pour que le centre de formation fasse partie du projet sportif de l’équipe première ?
N.F. : Je pense que c’est un travail important et patient qui est fait à la formation depuis 1973 et la création du premier conservatoire du football à la Forêt de Haye. C’est Platini, Rouyer, Hadji, Biancalani, Lenglet et pleins d’autres. Mais c’est surtout naturel. Nous savons qu’un joueur formé ici coûtera beaucoup moins cher qu’un joueur venu de l’extérieur. C’est un cercle vertueux. On essaye de développer une identité, on a toujours donné la chance et un temps de jeu conséquent aux jeunes en équipe première, certes un peu moins cette saison, et sur les cinq dernières années, 80% des ventes du club concernent des joueurs issus de la formation. Après ils partent tôt, l’âge moyen de ces joueurs vendus c’est avant 21 ans. Peut-être que si on était en Ligue 1, on pourrait les garder un peu plus longtemps, mais pas sûr non plus. On a aussi beaucoup de joueurs qui partent très vites. Comme Mickaël Cuisance au Borussia Mönchengladbach, désormais au Bayern Munich et Hakim Guenouche au FC Zürich. Et ça avant même de passer professionnel. Après, dans notre centre de formation, on essaye de se rapprocher de 50% de joueurs locaux et 50% de joueurs venant de l’extérieur. On sait que quand tu es local, tu es attaché au club et tu donnes plus d’importance au projet. Cela favorise certainement une réussite.
En quinze ans, le football et la vie des footballeurs ont beaucoup évolué. Cela se ressent chez les jeunes ?
N.F. : Oui, bien évidemment. Aujourd’hui par exemple l’image du footballeur est encore plus importante et il faut faire attention à la communication sur les réseaux sociaux. Si le jeu a changé, l’époque et les mentalités aussi. Avant, lorsque l’entraîneur disait quelque chose, on ne cherchait pas à comprendre. Aujourd’hui, les jeunes ils regardent les grands joueurs et te donnent leur avis sur ce que tu leur dis. Aussi, à l’époque, rentrer dans un centre de formation n’était pas une finalité. Aujourd’hui, pour certains c’est le cas. On dirait que dans leur approche, dans l’aspect motivationnel, qu’ils ont fait le plus dur. J’en ai discuté avec Arsène Wenger à Arsenal et il était du même avis. Il disait que le plus dur dans le football de haut niveau et encore plus en formation, c’est l’endurance de la motivation. Ils veulent tous aller le plus haut possible dans le discours mais tous ne sont pas égaux dans cette endurance.
Au-delà du métier d’entraîneur, vous avez été adjoint de Patrick Gabriel et Didier Tholot en équipe première. En quoi cela consiste ?
N.F. : Le rôle d’entraîneur adjoint c’est d’être un relais entre les joueurs et le coach Après ce sont deux périodes différentes. Avec Patrick Gabriel, que je connais depuis très longtemps, j’étais dans la proposition, la conception et l’animation des séances. Avec Didier Tholot, on ne se connaissait pas donc j’étais plus dans l’accompagnement. Mais globalement à l’extérieur du terrain c’est d’être dans l’organisation des déplacements. Et à l’intérieur des matchs, c’est signaler des attitudes, gérer les coups de pieds arrêtés, présenter les vidéos, etc. C’est très intéressant.
Quelle est la suite pour vous ?
N.F. : Bien entendu j’ai passé un peu de temps chez les professionnels, c’est clairement quelque chose qui m’intéresse beaucoup. Aujourd’hui je suis à la formation, cela me plait et m’intéresse beaucoup aussi. Mais c’est deux choses complètement différentes. D’un côté c’est surtout la pression du résultat, de l’autre c’est prendre le temps d’expliquer les choses aux jeunes. Pour l’avoir vécu en tant que joueur, cette pression du résultat m’anime. Mais après, le football c’est fait d’opportunités. Quand j’étais joueur j’ai changé plusieurs fois de clubs au dernier jour du mercato. Je ne me fixe pas un plan de carrière, Aujourd’hui ce qui m’importe c’est de terminer ma formation en obtenant le diplôme de directeur de centre de formation. Après il me restera plus qu’un seul diplôme à passer, celui permettant d’entraîner les professionnels. Pourquoi pas…