La Grinta
·13 août 2025
Rijeka, entre titre surprise et ultras d’extrême-droite, un club à cheval entre deux pays

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·13 août 2025
Vainqueurs de la Coupe et du championnat croate la saison dernière, le discret HNK Rijeka tente de se frayer un chemin dans le sillon des deux mastodontes que sont le Dinamo Zagreb et le Hadjuk Split. La ville portuaire du nord du pays cache derrière cette réussite sportive un passé mouvementé et des ultras pour le moins particuliers.
En arrivant dans la ville portuaire du nord de l’Hrvatska, difficile d’avoir une idée précise de l’atmosphère locale. Rijeka n’est pas une plaque tournante balnéaire réputée comme le sont Zadar ou Split, ses voisines du Sud.
La Gare de Bus nous fait découvrir les docks désaffectés de la ville, situés à quelques minutes à pied. L’endroit est saisissant. Le contraste entre les quelques yachts présents sur le port et les anciennes tours de contrôle et de déchargement rongées par la rouille est immense. Un urbex imprévu se dessine devant les pas des plus aventureux.
Grue désaffectée des docks de Rijeka
Baie de Rijeka depuis les Docks
Rouille, Entreprise de Fiume et Yougoslavie
Des squats ont remplacé les hangars, les rails argentés d’antan sont marrons, le béton armé laisse entrevoir son ossature, bref, le lieu est déclassé. Symbole d’une attractivité commerciale révolue, la seule zone mouvementée se situe dans l’espace de tri des déchets.Une montagne de carcasses irrégulières jonchées les unes sur les autres défie le regard des touristes, qui préfèrent se réfugier dans le centre-ville.
Similaire sur quelques points avec l’architecture de Prague par exemple, le centre-ville de Rijeka témoigne de son passé mouvementé, sous l’égide de plusieurs pays différents. D’ailleurs, la principale cité portuaire croate a un deuxième nom, italien, Fiume. Le troisième bastion le plus important du pays au damier n’a pas toujours appartenu au pays des Balkans, loin de là.
Rattachée à l’empire austro-hongrois jusqu’à la Première Guerre mondiale, Fiume avait déjà auparavant été « vendue » aux Habsbourgs suite à une bataille, entre autres. Suite à la fin du conflit le plus important du début du 20ème siècle, Fiume appartient désormais à l’armée italienne, mais est disputée par des discidents.
Aprés une révolte armée en 1919, la ville passe sous le contrôle de Gabriele D’Annunzio, écrivain italien qui créé alors l’Entreprise de Fiume. Un territoire indépendant peuplé à l’époque par une majorité d’Italiens, dirigé par D’Annunzio, alors fasciste et soutien de Mussolini.
Baie Sud de Rijeka
Suite à l’avènement de ce dernier, la ville devient italienne et se complaît dans l’épisode le plus sombre de l’histoire de la Botte. La minorité croate de la localité demeure cependant très conséquente. Ne faisant pas partie de l’Istrie (région rattachée à l’Italie suite à la Première Guerre mondiale), Fiume est annexée suite à un accord avec la Yougoslavie en 1924.
La langue parlée est l’italien, l’identité croate passe au second plan. En 1945, l’Italie du Duce est défaite, et Tito, alors dirigeant de la Yougoslavie, s’accapare Fiume, en rendant officiel ce changement de pays grâce au traité de Paris en 1947.
La ville devient par la suite Rijeka, un nom croate. Jumelée à Gênes, Palerme et Ljubljana aujourd’hui, l’ancienne Fiume a vu les 40 000 Italiens qui constituaient 70% de la population la quitter. En cause, le massacre de centaines de soldats italiens, tués un par un de sang froid par les hommes de Tito. 650 cadavres sont comptabilisés dans les rues de la nouvelle Rijeka.
Contraste entre un centre-ville esthétique et une périphérie brutaliste
Le HNK, un club international … mais pas trop
Suite à l’éclatement de la Yougoslavie, le port le plus important de l’Hrvatska devient Croate. La dynamique anti-communiste jaillit des entrailles du petit pays, suite à la chute d’un régime jugé terrible et sanguinaire.
L’admiration pour l’ancienne forme de la ville, couplée à une hyperbole de la puissance de l’Entreprise de Fiume sous D’Annunzio, couplée à un certain racisme, fait émerger un relent fasciste dans la ville. Des croix celtiques occupent les murs vierges, et des symboles fascistes, racistes et homophobes tapissent toutes les zones d’expression possibles et imaginables dans la commune.
Le HNK Rijeka, fondé en 1904, prend le nom de Fiume dans un premier temps, jusqu’en 1946. Tel un caméléon, le HNK se mue au fil des pérégrinations politiques de ses dirigeants, docile à toute réorganisation. La croix bleue ciel sur le blanc immaculé du maillot ne change pas, et l’identité survit aux troubles politiques.
Rijeka a la particularité d’avoir glané des titres italiens, austro-hongrois, yougoslaves et croates, et possède une armoire à trophées très variée, bien qu’avant 2004, seules deux Coupes de Yougoslavie pouvaient se targuer d’être les deux seules réalisations majeures du club, le reste étant limité à des titres régionaux ou de divisions inférieures.
Le caméléon a connu sa période la plus faste sous les couleurs du damier Croate, avec sept Coupes de Croatie et une Supercoupe glanée en 2014, pour deux championnats nationaux, dont le dernier exercice 24-25. La saison passée, le doublé Coupe-championnat a permis au plus italiens des Croates de disputer les barrages préliminaires de la Coupe d’Europe, avec une rencontre les opposants à Shelbourne cette semaine (défaite 1-2) …
Troisième entité la plus titrée du pays, le HNK a tout de même du mal à se faire un nom derrière les mastodontes que sont le Hadjuk Split et surtout le Dinamo Zagreb. Le Stadion Rujevica peut accueillir jusqu’à 8 200 âmes dans ses travées, et possède un parcage sous forme de cages, idéal pour accueillir les groupes plutôt enclins aux dérives hooligans d’Europe de l’Est.
Pur produit des Balkans, le HNK possède son groupe d’ultras quasi-néo-nazis, l’Armada Rijeka. Bien loin derrière les Bad Blue Boys de Zagreb ou encore de la Torcida Split, les nordistes se créent un nom au fur et à mesure des coups de poings et de couteaux.
Panneau stické du stade
Béton armé et sticks douteux
À l’approche du stade, une scission s’opère entre le magnifique centre-ville coloré et esthétique et les barres d’immeubles menaçantes et soviétiques. La partie touristique de la ville étant un mirage dans lequel la plupart des locaux n’ont pas le privilège de vivre. Des fresques bleues et blanches mettant en exergue des légendes du club ne parviennent pas à faire oublier les centaines de sticks néo-nazis peuplés de croix celtiques qui jonchent les rues à l’approche du stade.
Certains ont presque un effet magnétique pour les yeux et attirent nos pupilles dans un champ d’expression parallèle et torturé par un masculinisme qui coule à flot dans les veines bagarreuses des ultras locaux. Une femme quasi nue avec le slogan « free legal porn to counter a dick massacre » figure sur certains sticks. Ambiance.
Sticks situés à quelques rues du stade …
Stick situés à quelques rues du stade …
D’autres nous intiment de ne pas être homosexuels sous peine de conséquences plutôt barbares, et nous rappellent que la Croatie représente la quintessence du développement humain. Un peuple surpuissant et supérieur apparemment. Même si à Rijeka, aucun indice ne nous laisse conclure à une quelconque supériorité : malgré un beau centre-ville, rien d’extraordinaire n’est à relever ici. Le pouvoir d’achat relativement faible des locaux ne doit pas permettre à la plupart d’entre eux de voyager, ce qui explique peut-être la volonté de s’affirmer auprès des touristes qui font ressortir la misère de certains habitants de la cité croate en contrepoint.
Un piège dans lequel la plupart des contrées populaires et ouvrières moins fortunées ne tombent pas pour autant, heureusement.
Le street-artiste le plus célèbre de la ville, et officiant en premier lieu pour l’Armada du HNK est par hasard sur notre route, en train de compléter l’une de ses fresques. Au cours d’une discussion amicale et détendue, ce dernier nous explique le fonctionnement du groupe, et nous présente certaines de ses œuvres. Lui ne se rendra pas au match du jour, mais plusieurs membres de l’Armada viennent vers nous durant la conversation.
Impossible de leur parler anglais, notre street-artiste officie désormais en tant qu’interprète, et nous permet de réaliser que nos places sont situées à proximité de l’emplacement des ultras. En nous avertissant, le magicien des bombes de peintures nous avertit de ne pas aller au centre de la tribune.
Fresque de l’Armada Rijeka ainsi que son réalisateur
Fresque de l’Armada jonchant le Rujevica
Fresque du HNK
Dans notre imaginaire, les places de la tribune ultra ne sont pas en vente libre. De plus, le nom de la tribune n’était pas explicite à l’achat, bref un petit peu piégeux. Malgré tout, un des membres du groupe nous explique (avec l’aide de notre peintre préféré) qu’en été, les touristes sont acceptés en petit comité dans la partie gauche de la travée.
Un stade enclavé, et une passion déchainée
Le Rujevica est situé dans les hauteurs de la ville, un panorama maritime magnifique nous est offert depuis nos places, la baie Adriatique rayonnant sous le Soleil de cet après-midi aoûtien. La rencontre se déroulant sur un rectangle vert parfait oppose donc le HNK Rijeka au Slaven Beluco, petit club de seconde zone croate. Les premiers chants jaillissent des antres de la tribune de l’Armada, et deux locaux nous préviennent sur la route d’accès à la tribune « It’s gonna be a tough one ».
En respectant les instructions de l’artiste-interprète officiel du groupe ultra, nous sommes donc sur le côté de la tribune. Les toilettes peuplées de croix celtiques de toutes parts ainsi que la coupe de cheveux, que l’on peut comparer au mouvement skinhead qu’arborent l’écrasante majorité des ultras, impressionnent forcément.
Stick du HNK
Tribune latérale surplombant la baie
La nuance entre un groupe d’extrême droite chantant à tour de rôle pour Rijeka et pour Fiume, avec des hommes tout de noirs vêtus et très tatoués contraste avec la vue sur la baie que l’on a depuis nos places. La pelouse est impeccable, les vingt-deux acteurs sont placés sur le terrain, le match peut commencer.
Dans une ambiance haute en décibels, la latérale populaire reprenant la majorité des chants de l’Armada, les premiers échanges tournent en faveur des locaux.
Le parcage visiteur (en cage) ne se contente que de contre-attaques très peu flamboyantes malgré un gardien extrêmement concentré. Le chat de Slaven s’adonne à deux arrêts de grande classe à bout portant et maintient son navire à flot. Malgré tout, les attaques des pirates de Rijeka pleuvent sur le bateau de Beluco, qui flanche à plusieurs reprises, sans jamais couler.
Le Slaven en action
Une domination totale mais stérile
L’homme fort du front de l’attaque des Riječki bijeli fait tournoyer la défense adverse du haut de son mètre soixante-dix-huit : Toni Fruk, numéro 10 dans le dos a par plusieurs reprises attiré les regards des grands d’Europe sur le Rujevica.
Les occasions sont nombreuses, d’une frappe surpuissante, Niko Janković, formé au Dinamo Zagreb, vient faire trembler la barre transversale adverse, et les coeurs des Riječkis par la même occasion.
Juste avant la mi-temps, Osman Hadzikić, portier du Slaven, vient une nouvelle fois sauver les siens d’une parade de toute beauté.
Merveil Ndockyt, ailier droit passé par la réserve du Barça et par Getafe, manque quelques occasions, malgré une mi-temps très correcte, mais sa couleur de peau lui attire des insultes très peu justifiées.
La mi-temps vient momentanément stopper les ardeurs des deux camps, 0-0.
Les débats reprennent vite, et la deuxième partie de la rencontre est plus périlleuse. Une fatigue générale se fait sentir. La reprise des championnats étant forcément intense, avec les matchs de saison régulière couplés aux barrages européens pour le HNK Rijeka, et l’état physique du onze se dégrade.
Un parcage visiteur très sécurisé …
Pour notre plus grand plaisir, un craquage de fumigènes vient réchauffer l’ambiance, et faire briller nos pupilles. Les ultras redynamisent une rencontre qui tourne à la purge.
De l’heure de jeu à la quatre-vingt-huitième minute, presque aucune occasion n’est à mettre au crédit d’aucune des deux formations. Heureusement pour les locaux et pour le spectacle, les entrants du HNK tentent d’inverser la tendance.
Les minutes défilent et le morne 0-0 paraît imminent. Les locaux poussent depuis les travées du Rujevica. La tension monte.
Craquage de l’Armada Rijeka peu après la mi-temps
Eruption volcanique et coup de canon, bienvenue à Rijeka
À la quatre-vingt-treizième, le coup de canon de Anton Matej Juric à bout portant vient faire exploser le volcan croate. Les filets du Slaven tremblent, 1-0.
Les chants enragés résonnent dans toute la baie, jusqu’en Italie, et les clameurs sont farouches. Le match reprend, et, coup de tonnerre, l’enfant du club rentré à l’heure de jeu, Simon Butic, né en 2006, vient doubler la mise.
Le volcan entre en éruption à nouveau, la déflagration sonore est éclatante, en trois minutes, les Riječki bijeli viennent enterrer le sort de la rencontre, dans un Colisée enflammé et débordant de joie.
Vue panoramique depuis le Kop
Les célébrations sont impressionnantes, tous les supporters chantent d’une seule voix, et les milliers de cœurs présents au stade battent à l’unisson, au rythme des clameurs à la gloire de Rijeka. Tout le Rujevica est debout et célèbre sa jeune pépite salvatrice, car même ici le talent s’exprime grâce à un ballon rond, sur un rectangle vert, dans les montagnes hostiles du Nord de la Croatie.
En quittant l’antre des Blancs et Bleu Ciels, des croix celtiques nous rappellent tout de même que derrière une joie partagée se cache un lourd passé et des idéaux dangereux, loin d’être enterrés.
Une fin de match sous un ciel bucolique
Un filet très peu tendu