Le Fussball
·21 avril 2025
Supportérisme en Allemagne : entre gestion exemplaire et fractures persistantes

In partnership with
Yahoo sportsLe Fussball
·21 avril 2025
Souvent citée comme un modèle à l’échelle européenne, la gestion Allemande des supporters de football repose sur un socle clair : dialogue, responsabilisation, et intégration. Dans un contexte où d’autres pays, comme la France, adoptent des stratégies plus répressives, l’approche Allemande attire l’attention. Mais derrière les chiffres flatteurs et les tribunes pleines, ce système présente aussi ses limites, ses tensions et ses contradictions. Retour sur un modèle aussi admiré que critiqué.
Le cœur du dispositif Allemand repose sur une conviction. Les supporters ne doivent pas être considérés comme des menaces mais comme des acteurs légitimes du football. Cette idée se traduit institutionnellement à travers deux piliers : les Fanprojekte et la règle du 50+1.
Les Fanprojekte sont des structures de travail social créées dans les années 1980 et soutenues par les autorités locales, la fédération (DFB), la Ligue (DFL) et les clubs. Leur mission est multiple : accompagner les jeunes supporters, prévenir les comportements violents ou extrémistes, favoriser le lien entre les tribunes, les institutions et les forces de l’ordre.
Ces projets fonctionnent selon une logique de confiance mutuelle. Les travailleurs sociaux qui les animent sont souvent d’anciens supporters eux-mêmes. Ce lien d’identification est central : il permet d’ouvrir un dialogue crédible là où les interventions autoritaires peuvent échouer.
Mais cette confiance est fragile. En décembre 2024, le Fanprojekt de Karlsruhe a été secoué par une affaire judiciaire : des éducateurs ont été condamnés pour avoir refusé de témoigner dans une enquête liée à l’usage de pyrotechnie. Ce précédent a inquiété tout le réseau, car il remet en cause la neutralité de ces travailleurs sociaux et pourrait décourager les échanges avec les groupes ultras.
L’autre fondement du modèle Allemand est plus structurel : la règle dite du 50+1. Mise en place en 1998, elle impose que les membres (souvent les supporters) détiennent la majorité des droits de vote dans les clubs professionnels. Autrement dit, aucun investisseur privé ne peut détenir plus de 49 % des parts décisionnelles.
Supporters du Borussia Dortmund brandissent une banderole sur laquelle on peut lire « Le 50+1 est le fondement de notre sport », avant le match de Bundesliga entre le BVB et TSG Hoffenheim le 25 février 2024. Crédit photo : Alexander Hassenstein/Getty Images
L’objectif est clair : protéger l’identité des clubs et éviter qu’ils ne deviennent des simples entreprises guidées uniquement par des intérêts financiers. Cela renforce aussi la légitimité des supporters dans les prises de décisions, qu’il s’agisse de billetterie, de gouvernance ou de calendrier.
Même si cette règle fait l’objet de débats (certains clubs comme Leipzig ou Hoffenheim la contournent), elle reste un symbole fort d’un football pensé avec et pour ses supporters.
L’efficacité de cette approche se traduit dans l’ambiance et l’affluence. La Bundesliga est aujourd’hui le championnat le plus fréquenté d’Europe, avec une moyenne de 43 500 spectateurs par match lors de la saison 2023/24. La 2. Bundesliga, elle aussi, attire massivement, avec plus de 23 000 personnes par rencontre.
Comparaison visuelle des affluences moyennes par match dans les grands championnats européens en 2023/24. La Bundesliga, en rouge, dépasse légèrement la Premier League (bleu) et devance nettement les championnats d’Italie (vert), d’Espagne (orange) et de France (violet). Crédit : Le Fussball. Source : StadiumDB.
Les tribunes y sont réputées pour leurs tifos spectaculaires, leurs chants constants, et leur capacité à se mobiliser sur des sujets sportifs comme politiques. En 2012 par exemple, le mouvement 12:12 a vu des centaines de tribunes rester silencieuses pendant les 12 premières minutes des matchs, en protestation contre un projet sécuritaire de la DFB. Un symbole fort de cohésion et de force collective entre les tribunes Allemandes. Mais cette image positive ne doit pas occulter certaines réalités plus complexes.
Malgré l’ambiance festive, la violence n’a pas disparu des stades Allemands. Les données publiées par le ministère de l’Intérieur et reprises par Statista indiquent qu’en 2018/2019, 4 117 individus ont été classés en catégorie B (préparés à la violence) et 1 003 en catégorie C (en quête de violence). Ces chiffres étaient en hausse par rapport aux années précédentes.
En décembre 2023, à six mois de l’Euro, des affrontements entre supporters et forces de l’ordre ont eu lieu dans plusieurs villes, réveillant les critiques. Chaque partie s’est rejetée la responsabilité, soulignant la fragilité de l’équilibre entre prévention et répression.
Plus récemment, les violences récurrentes impliquant certains groupes de supporters ont récemment conduit à une vaste opération policière. Dans le cadre de l’enquête sur l’attaque d’un train de fans du Rot-Weiss Essen en octobre 2024, des perquisitions ont été menées dans plusieurs régions d’Allemagne, notamment à Essen et Rostock. Les forces de l’ordre ont saisi des engins explosifs, dont deux bombes artisanales et une grenade. Cette intervention fait suite à des affrontements organisés entre supporters, ayant causé des dégâts matériels importants et mis en danger la sécurité publique. Le club du Hansa Rostock, régulièrement touché par ces incidents, est sous pression et a entamé des sanctions internes.
Autre limite : les Fanprojekte, bien qu’efficaces à de nombreux égards, n’empêchent pas l’utilisation ponctuelle de mesures plus coercitives. Des interdictions de déplacements de supporters sont encore décrétées (exemple lors des deux derniers derby entre Hannover 96 et l’Eintracht Braunschweig en 2.Bundesliga) et des interventions policières musclées sont signalées lors de certaines rencontres tendues.
La question des fumigènes reste l’un des principaux points de friction. Officiellement interdits, ils sont pourtant régulièrement et massivement utilisés. Les groupes de supporters réclament depuis des années une légalisation encadrée, appuyée par des expérimentations sous contrôle. Mais les autorités y restent opposées, évoquant des questions de sécurité.
Autre sujet sensible : la persistance de certains réseaux hooligans ou d’extrême droite. Le Dynamo Berlin, par exemple, porte encore le poids de son passé lié à la Stasi et fait face à des difficultés pour se défaire de cette image. Plusieurs autres groupes de supporters, notamment issus de clubs d’ex Allemagne de l’Est, restent encore aujourd’hui associés à une culture hooligan marquée.
Malgré ces tensions, le modèle Allemand reste l’un des plus aboutis d’Europe en matière de gestion des supporters. Il démontre qu’une stratégie fondée sur la confiance, la responsabilisation et le dialogue peut fonctionner à grande échelle, tout en produisant une culture tribune riche, engagée et populaire.
Mais il doit s’adapter. Les incidents récents, les critiques croissantes sur la surveillance, ou les débats autour du 50+1 montrent qu’aucun système n’est figé. L’efficacité du modèle repose précisément sur sa capacité à se remettre en question sans renier ses principes fondateurs.
L’Allemagne a construit, au fil des années, une relation plus saine et équilibrée avec ses supporters. Elle en récolte les fruits : tribunes vivantes, stades pleins, parcages visiteurs de plusieurs milliers de supporters et conflits limités. Mais la réussite ne se mesure pas seulement à l’affluence ou à l’ambiance. Elle se juge aussi à la capacité à gérer les crises, protéger les libertés sans nier les responsabilités et maintenir un lien de confiance même en cas de tension.
Le dialogue n’est pas une solution miracle, mais il reste une alternative crédible à la répression systématique. En ce sens, le modèle Allemand mérite d’être observé, non pas comme une recette toute faite, mais comme une démarche structurée et perfectible.
Pour ne rien rater du football Allemand, rendez-vous sur nos réseaux sociaux ainsi que notre site : www.lefussball.com !
Crédit photo : Christof Koepsel/Getty Images