Lucarne Opposée
·14 Juni 2025
Une brève histoire de Coupe du Monde

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·14 Juni 2025
Testée en 2000, installée en 2005, la Coupe du Monde des Clubs tente désormais de séduire la planète à coups de millions et de marketing. Oublié le sportif, l’important est ailleurs. Et tant pis si on doit souiller un vieux rêve d’universalisme.
Tout le monde est en boucle, preuve que le lobbying est efficace. Il faut dire que Gianni Infantino a tout fait pour que l’on se passionne pour sa dernière folie. Sur le papier, une Coupe du Monde des clubs est évidemment une excellente idée. Elle est même l’héritière d’une longue tradition.
Les graines du football ont été plantées sur le nouveau monde par les Européens et a suivi une évolution similaire dans chaque pays : installation, dissémination, assimilation puis appropriation par les locaux. C’est ainsi que l’idée de s’opposer aux pères naît rapidement et génère bien des envies des deux côtés de l’océan. Seul manque alors un cadre, une véritable organisation de part et d’autre pour sortir des tournées amicales de la première moitié de siècle, seuls moments de lutte entre continents. C’est ainsi qu’il faut attendre le début des années cinquante pour qu’enfin l’idée devienne réalité.
À l’époque, alors que l’Europe commence à s’offrir des compétitions continentales avec notamment la Coupe Latine, l’Amérique du Sud n’a pas encore sa Libertadores. Au Brésil, la Copa Rio pioche chez les champions de différents championnats européens et leur offre des duels face à des Brésiliens, des Uruguayens et des Paraguayens (l’OGC Nice participe à la première en 1951). L’année suivante, au Venezuela, la Pequeña Copa del Mundo de Clubes invite européens et sud-américains à s’affronter.
12 juillet 1952 : le Venezuela invente la Coupe du Monde des Clubs
Le Real Madrid y croise par exemple Millonarios et River Plate. Les deux épreuves ne durent qu’un temps. Alors que la Pequeña Copa del Mundo de Clubes touche à sa fin, le Tournoi de Paris voit le jour en France. Tenant un rythme annuel pendant une décennie, il devient plus épisodique par la suite mais se perpétuera jusqu’aux années 2010. S’il n’est en rien estampillé Coupe du Monde des Clubs, ce tournoi fait tout de même office de précurseur, aide à développer la graine qu’est l’idée d’un affrontement mondial entre géants des deux continents.
L’Europe ayant déjà sa Coupe, il faut donc attendre la première Copa Libertadores pour que l’idée d’une Coupe du Monde à l’échelle des clubs prenne enfin sens. Henri Delaunay, qui est notamment l’un des artisans de la création de la grande Coupe du Monde et de l’EURO, en est alors l’instigateur. Une fois l’accord trouvé avec la CONMEBOL, la machine est lancée, les champions européens et sud-américains, considérés à l’époque comme les meilleurs au monde, vont pouvoir s’affronter en match aller - retour. Le 3 juillet 1960, Montevideo, qui avait accueilli la première finale de Coupe du Monde 30 ans plus tôt, accueille ainsi le premier match d’une Coupe Intercontinentale entre Peñarol et le grand Real. Les premières années sont celles des premiers géants, devenus légendes. Le Real Madrid de Di Stefano et Puskás, le Peñarol de Spencer, le Santos de Pelé sont les premiers vainqueurs (lire Santos - Benfica : quand Pelé porte Santos sur le toit du monde). La compétition s’installe rapidement, malgré la difficulté des voyages à travers l’océan, malgré le fait qu’elle n’a rien de mondiale, elle décerne un titre de « Champion du Monde » qui attise alors bien des convoitises.
Malheureusement, la conséquence est que les choses dégénèrent. La deuxième moitié des années soixante marque un tournant. Il y a dans un premier temps la violence qui s’installe sur les terrains sud-américains, Roberto Perfumo le résumant parfaitement d’une simple phrase « le match durait trois minutes, ensuite ce n’était que combat, coups et protestations », elle finit par se répandre. Il y avait déjà eu la « Bataille de Santiago » entre Chiliens et Italiens en 1962, la Coupe du Monde 1966, qui voit les Brésiliens sortis sous les coups adressés à leurs meilleurs joueurs, Pelé étant la cible principale, et les joueurs argentins traités « d’animaux » par le sélectionneur anglais de l’époque, enfonce le clou (lire 23 juillet 1966 : le vol pour la couronne, quand Europe et AmSud se divisent). Les Sud-Américains profitent de la Coupe Intercontinentale pour se venger. L’année suivante, Racing s’impose face au Celtic lors d’un match de barrage organisé au Centenario de Montevideo (lire Quand le Racing apporte le football total en Argentine), un match qui reste aussi dans les mémoires sous le nom de « Bataille de Montevideo » par ses six expulsions, l’intervention de la police pendant la rencontre et les coups qui s’en suivent. Un cap supplémentaire est franchi lorsque l’AC Milan de Neston Combin arrive à Buenos Aires deux ans plus tard pour y jouer Estudiantes. À l’époque, les Pinchas de Zubeldía dominent le continent par leur vice et leur pragmatisme, Matt Busby, qui les a croisés l’année précédente avec Manchester United avait déjà réclamé leur exclusion. Battus 3-0 à l’aller, les Argentins réservent un traitement honteux aux Italiens. Les coups donnés dans le tunnel au café chaud jeté sur les Milanais par les supporters lors de l’entrée de joueurs, les agressions de Poletti sur Rivera ou du KO reçu par Peirino Prati ne sont qu’un début. Car pendant ce temps, le traitement reçu par Nestor Combin, l’Argentin naturalisé Français et passé au rang de traitre par les locaux, est d’une violence inouïe. Déjà frappé par Poletti, Combin s’écroule ensuite, nez brisé par Ramón Aguirre Suárez. L’arbitre, d’une complaisance rare, ne bronche pas et demande même à l’attaquant milanais de reprendre le jeu. Ce dernier s’évanouit sur le terrain. Il est alors arrêté par la police militaire avant d’être relâché. Le scandale est immense. En Italie, les médias parlent de chasse à l’homme, rappellent que les Anglais avaient raison au sujet des Argentins. En Argentine, les sanctions tombent (Poletti par exemple est exclu à vie, Eduardo Luján Manera goûte même à la prison). Mais le cap est franchi, le retour en arrière impossible, les éditions suivantes se poursuivent dans la violence. L’année suivante, Estudiantes détruit (au sens premier du terme) Feyenoord, puis l’Ajax refuse de jouer Nacional en 1971, envoyant le Panathinaïkos à sa place qui termine avec une jambe fracturée pour Yiannis Tomaras. Les coéquipiers de Johann Cruijff décident de participer à l’édition 1972 qui leur offre Independiente et subissent encore de multiples agressions à l’aller disputé à Buenos Aires. Les Néerlandais décident alors de ne plus participer. La Juve prend la place en 1973, l’édition 1974 est refusée par le Bayern qui ne veut pas rencontrer Independiente et envoie l’Atlético de Madrid à sa place.
Estudiantes-Milan 1969, le tournant
Face à ce ras-le-bol européen, la résistance s’organise. L’Équipe tente de mettre en place une Coupe du Monde ouverte, intégrant champions de la CONCACAF et champions Africains lors d’un tournoi unique disputé à Paris. Refus des clubs européens. L’édition 1975 est annulée faute de participant issu de l’UEFA, le Bayern revient en 1976, explique les raisons de son absence de 1974 par le peu d’intérêt économique d’une telle épreuve, les éditions suivantes voient le champion d’Europe refuser d’y prendre part. La fin semble proche.
Pour sauver l’Intercontinentale, il faut une aide extérieure aux fédérations. Elle vient d’un partenaire. Le groupe japonais Toyota décide alors de s’investir dans cette compétition, la prend sous sa coupe avec pour contrepartie de la voir se dérouler chaque année sur un match au Japon et l’obligation donnée aux champions européens et sud-américains d’y participer (les deux équipes reçoivent alors une prime attractive). L’Intercontinentale est sauvée. Nacional remporte la première édition de la nouvelle version face à Nottingham Forest, lance la domination sud-américaine des années quatre-vingts, l’épreuve devient un vrai rendez-vous pour les deux continents. Au point qu’elle fait naitre l’envie aux autres champions d’y participer. L’Intercontinentale touche à son terme mais cette fois, pour la bonne cause.
Exclus depuis le début, champions de la CONCACAF, de la CAF et de l’AFC attendent toujours d’avoir leur chance, les quelques tentatives des années soixante/soixante-dix pour les incorporer ayant jusqu’ici toutes essuyées des refus. La FIFA prend alors les choses en main. En 2000, le projet d’une Coupe du Monde élargie à l’ensemble des continents voit le jour, soutenu par le fait qu’alors chaque confédération dispose d’une véritable compétition continentale majeure parfaitement établie. Organisée au Brésil, cette compétition parallèle à l’Intercontinentale est un premier test. Malheureusement pour la FIFA, son partenaire marketing tombe, l’édition 2001 est annulée, les suivantes ne se disputeront pas. Mais le test a finalement ouvert la voie de l’expansion et avait surtout proposé un format plus équitable (un représentant par confédération + le tenant du titre et le champion du pays hôte, les huit équipes réparties en deux groupes de quatre).
En 2005, l’idée de fusionner ce Championnat du Monde des Clubs avec l’Intercontinentale devient réalité. La Coupe du Monde des clubs voit le jour avec un nouveau trophée et l’ensemble des continents représentés. Elle s’est depuis installée dans le paysage footballistique, prenant une ampleur pour les autres confédérations qu’elle peine à trouver en Europe, faute d’une exposition similaire à celle qu’a pu connaître un temps l’Intercontinentale plusieurs décennies plus tôt, victime d’un manque d’intérêt pour les grands médias et un manque d’attractivité financière pour les nouveaux géants européens. Mais surtout, victime d’un format qui ne fait pas l’unanimité. Car cette nouvelle mouture ne reprend pas les deux groupes, elle transforme la compétition en play-offs dans lesquels Européens et Sud-américains n’arrivent qu’en demi-finales. De nouvelles réformes sont alors envisagées. En 2015, l’Afrique et l’Asie poussent pour une réforme, pour que le format change, en proposant de revenir à l’équilibre des chances en répartissant les six participants en deux groupes de trois, un comprenant le représentant européen, l’autre le représentant sud-américain. Longtemps toute réforme est refusée par la FIFA alors que ce format aurait pourtant l’avantage d’offrir le même nombre de matchs à tous les engagés, de ramener un semblant d’équité. Une équitée qui n’est plus jamais visée et a déjà été mise à mal par une décision de justice qui a changé le monde.
Photo : TOSHIFUMI KITAMURA/AFP via Getty Images
Le 15 décembre 1995, l’arrêt Bosman change en effet et à jamais un football désormais mondial. Mais surtout, met à mal tout rêve d’un football universaliste – chose qu’il a tenté d’être dans les années 1920 puis au lendemain de la guerre avant de se refermer sur lui-même, récupéré par les plus puissants. Comme le souligne Raffaele Poli dans Le Monde « La conjonction de deux facteurs, juridique et économique, amène une concentration de talents et des inégalités de plus en plus fortes ». Leur grande richesse permet ainsi aux meilleurs clubs européens de piller sans relâche les autres équipes du continent mais aussi et surtout celles d’Amérique du Sud de leurs meilleurs éléments. L’arrêt Bosman se transforme alors en machine à creuser les fossés. Le palmarès de l’Intercontinentale qui deviendra ensuite Coupe du Monde des Clubs, n’y échappe pas. Alors que l’Ajax, symbolique dernier vainqueur pré-Bosman et ses neufs Néerlandais face au Grêmio de Scolari et ses neufs Brésiliens, met fin à trois années de domination sud-américaine, la suite n’est qu’une longue succession de défaites pour les équipes du nouveau monde. Qu’importe la nouvelle formule faisant entrer en lice Océaniens, Asiatiques et Africains, plus rien ne peut stopper la domination européenne. Les différences économiques sont désormais abyssales, au fil des années, les talents partent de plus en plus tôt, recrutés désormais alors qu’ils n’ont pas atteint la majorité.
Si l’arrêt Bosman a tué l’équilibre sur le terrain, le pire est cependant ailleurs. Alors que le football s’est développé aux quatre coins de la planète, que toutes les confédérations se sont organisées, développées, avec leurs moyens, qu’il y a donc la place à une véritable compétition reprenant l’idée de 2000, la FIFA annonce une Coupe du Monde des clubs à vingt-quatre et laisse espérer que cette voie sera suivie. Il n’en est rien, bien au contraire.
Le football a été implanté aux quatre coins du monde en grande partie par des aristocrates et des fils de classe aisée qui ont longtemps lutté pour en garder le contrôle que ce soit au niveau mondial comme au niveau local. Mais il a été volé par « les pauvres », ce sont eux qui lui ont donné ses lettres de noblesse. Cette lutte n’a jamais cessé. Avec la nouvelle mouture de la Coupe du Monde des clubs, elle reprend de plus belle. Oubliez le critère sportif pour choisir les clubs engagés, l’importance marketing devient importante, les puissants dictent leur règle. Les « petits » ne sont qu’un combustible que les formules 1 du foot mondial utilisent pour gagner des marchés. Alors l’Intercontinentale devient une farce. Elle impose un calendrier fou au reste du monde qui s’écharpe sur plusieurs mois, avec un sprint de trois matchs en une semaine au Qatar pour avoir l’honneur d’affronter le puissant club européen.
Photo : Olivia Vanni/Getty Images
De son côté, la Coupe du Monde des clubs n’a pour attirer qu’un prize pool démentiel mais dont la répartition n’est évidemment pas équitable et exclut même ses principaux acteurs, les footballeurs, du partage des richesses, en témoigne les protestations des joueurs de Seattle. Au niveau des clubs, les Européens reçoivent entre 12,81 et 38,19M$ de droit d’entrée – en fonction de leur classement basé sur des critères sportifs et commerciaux – les Sud-Américains reçoivent 15,21M$, le reste du monde reçoit chacun 9,55M$, l’Océanie ne prenant que 3,58M$. En d’autres termes, Auckland City reçoit dix fois moins que le Real Madrid pour participer à la même compétition. Normal direz-vous ? Amusant tout de même quand la FIFA parle d’un « mécanisme de solidarité sans précédent pour le football de clubs » et que son président nous explique que sa nouvelle mouture permettra d'accélérer le développement au quatre coins du monde. Créé par les riches, volé par les pauvres, récupéré par les riches, tel est le football.
Pire, cette nouvelle mouture marque une attaque frontale envers le football de sélection, de plus en plus menacé. Car la Coupe du Monde des clubs remplace la Coupe des Confédérations, qui servait autrefois de répétition générale pour la Coupe du Monde et qui s'est envolée à l'aube de 2022. Pour faire s'envoler les critères sportifs, telle une vulgaire Super Ligue européenne, projet tant décrié. L’Inter Miami qualifié sans avoir rien gagné, un vainqueur de la CONCAChampions exclu pour des histoires de copropriété quand les clubs de MLS sont tous dans la même situation et que Bayern et LAFC sont ensemble au sein d’un même groupe. Mais ce qui compte reste ce qui brille, comme ce trophée, doré comme un soleil. Un astre sur lequel les petits, bercés de l’illusion de lumière éphémère qu'il produit, se brûleront les ailes, Icares aveuglés par les rêves d’une gloire inexistante et inaccessible et transformés en simples figurants. Des rêves perdus qui emportent avec eux celui d’un football universaliste.