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·2 maggio 2025
EXCLU - Marcus Thuram : « Je veux devenir de plus en plus intelligent dans le jeu »

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·2 maggio 2025
Rires, étonnement, appréhension ou simple curiosité, le shooting réalisé avec Marcus Thuram a provoqué de nombreuses réactions au centre d’entraînement de l’Inter. Jamais avare d’idées créatives et décalées, l’attaquant de l’équipe de France a, non sans un certain plaisir, accepté de poser avec un boa et un python (le serpent étant le symbole du club milanais) autour du cou. Interview d’un buteur en quête de perfection.
Voici quelques extraits de notre interview de Marcus Thuram. L’intégralité de cet interview de 14 pages est à retrouver dans le magazine n°371 de Onze Mondial disponible en kiosque et sur notre eshop depuis le 28 mars 2025.
Commençons fort, fais-moi ton classement actuel des 10 meilleurs attaquants au monde…
Je ne fais pas ce genre de choses, car ça dépend du style de ton équipe, ça dépend des joueurs qui jouent avec toi, ça dépend de plein de choses. Le football n’est pas un jeu individuel. Te délivrer un classement comme ça, à chaud, des meilleurs attaquants du monde, c’est trop vaste. Je ne peux pas faire ça et je n’arrive pas à faire. Mais si à travers ta question, tu me demandes si je considère que je fais partie des 10 meilleurs attaquants du monde, personnellement, oui, je suis persuadé que je fais partie des 10 meilleurs attaquants du monde.
Pourquoi ?
Car, aujourd’hui, à 27 ans, je suis à ma troisième saison en tant qu’attaquant de pointe. Je développe beaucoup de choses, j’ai fait du chemin. Je maîtrise de mieux en mieux le poste. Et j’ai la chance d’apporter en tant que numéro 9, ce que je parvenais à apporter dans les couloirs. C’est-à-dire, les passes décisives, les dribbles, les créations de penalties, en plus de mettre des buts.
Tu fais partie des meilleurs attaquants du monde. Comment devenir le numéro 1 ?
En continuant à travailler, en continuant à se poser les bonnes questions, en continuant à réfléchir. Je veux devenir de plus en plus intelligent dans le jeu, car c’est ce qui différencie les bons joueurs et les meilleurs joueurs. C’est leur intelligence de jeu, leur capacité à comprendre ce qu’il va se passer sur le terrain 30 secondes avant. Et tu sais, avoir 30 secondes d’avance, c’est énorme. Il faut aussi insister sur l’anticipation (il coupe). En fait, tous les petits détails que les gens ne voient pas forcément à la télé, mais que chaque joueur professionnel devrait aspirer à contrôler. Tout ça te permettrait d’entrer dans le match en sachant tout ce qui va se passer et comment les actions vont se conclure.
Je vais revenir indirectement sur ma première question. Pour toi, quels sont les attaquants qui sont devant actuellement ?
Tu sais, les fans qui débattent et qui disent : « Est-ce que ce joueur est meilleur que lui ou lui ? ». Moi, je suis un joueur professionnel, je n’entre pas dans ce genre de discussion ou de débat. Je sais que j’ai encore beaucoup de chemin à faire, du moins, je l’espère. Je n’ai que 27 ans, j’aspire à progresser. Je me concentre sur moi-même, et j’espère devenir la meilleure version de moi-même à la fin.
En interne, avec tes proches, tu n’as pas ce genre de discussion ?
En interne, ça ne parle que de foot, avec un papa, ex-footballeur, et un petit frère, joueur de foot à la Juventus. Donc oui, ce sont des discussions qu’on a.
Qu’est-ce qu’il en ressort ?
Tout ce que je viens de te dire juste avant.
Comment améliorer les petits détails que tu évoques ?
En se posant les bonnes questions, en regardant ses performances, en analysant ce qu’on a bien fait et moins bien fait. J’aime aussi regarder ce que les autres attaquants font. J’analyse les buts inscrits. Moi, ce que j’aime faire, à la fin de chaque journée, je regarde tous les buts marqués dans tous les championnats. Et si tu regardes bien, tu trouves toujours une petite ressemblance. Par exemple, tu verras plus de buts marqués au premier poteau. Ou quand un joueur se trouve dans une situation bien précise, il va systématiquement centrer dans la même zone. En regardant, en apprenant et en enregistrant, on gagne du temps. Ensuite, on peut reproduire les bonnes choses sur le terrain, avoir le bon geste, le bon déplacement.
As-tu une action que tu as enregistrée et reproduite ?
Par exemple, le but que j’ai marqué hier en Ligue des Champions (l’interview a été réalisée au lendemain de la victoire sur la pelouse de Feyenoord, ndlr). Quand Dumfries s’apprête à centrer, il est au même niveau que la ligne des défenseurs. Finalement, il met le ballon en arrière à Barella. Lui n’est pas sur la ligne des défenseurs, il est plus en retrait. Et à partir de cet angle-là, la trajectoire la plus facile pour Barella, ce sera au deuxième poteau. Ce centre-là, celui qui le fait souvent, c’est Kevin De Bruyne sur Erling Haaland. À chaque fois qu’il est devant la ligne des défenseurs, il met le ballon au deuxième poteau et Haaland marque. Et voilà le but que j’ai marqué hier.
Tu l’avais donc déjà visualisé ?
Exactement, quand je regarde des buts ou des actions, j’enregistre immédiatement, je ne regarde pas bêtement. Finalement, tu ne regardes pas le but, tu regardes surtout où l’attaquant se positionne et où le passeur se trouve. Et souvent, si tu regardes bien, c’est toujours les mêmes actions.
Lors de notre entretien réalisé en 2019, tu disais vouloir « être plus tueur ». Tu en es où aujourd’hui ?
J’ai fait un très, très long chemin depuis cette interview (rires). Avant, je marquais des buts individualistes, sur des actions personnelles. Maintenant, je marque des buts sur des centres, sur des ballons repoussés, je mets la pointe, je tacle, je marque de la tête. J’ai appris à aimer marquer des buts moins beaux que d’autres. Donc sans hésitation, je suis plus tueur aujourd’hui.
Tu pourrais l’être encore plus ?
(Direct) On peut toujours. Et c’est ce qui est beau dans le foot. Hier, j’ai marqué, le week-end suivant, j’ai encore une chance de marquer, et ainsi de suite. Chaque match est un peu comme un test où il faut répondre présent. Et où l’on a la chance de faire mieux que le match précédent.
Que faudrait-il pour être le tueur ultime ?
Pour être le tueur ultime, il faudrait qu’avant que l’action arrive, savoir comment ça va se finir. On revient sur le sens de l’anticipation et l’intelligence de jeu.
Tu penses avoir une intelligence de jeu assez forte ?
Comme je te l’ai dit précédemment, tu peux toujours être mieux. Aucun joueur n’est un produit fini. Comme Harry Kane a pu le dire dans une interview, à son âge, il apprend encore. Tu imagines si Harry Kane apprend encore après tout ce qu’il a fait dans le foot. Donc il est évident que moi aussi, je peux encore apprendre. Peu importe le joueur, qu’il ait 20 ans, 27 ans ou 35 ans, il n’est jamais un produit fini. On peut toujours apprendre.
À l’école, on développe son intelligence en lisant des livres, en apprenant ses leçons, toi tu développes ton intelligence de jeu en regardant des actions. Mais encore ?
En discutant beaucoup avec d’anciens attaquants, en discutant avec papa qui était un très grand défenseur. On peut apprendre de tout le monde, de Lautaro Martinez, de Taremi, d’Arnautovic, de Joaquin Correa ou même de Simone Inzaghi. Chaque personne qui a joué au foot ou qui s’y connaît en football peut nous aider par un petit mot ou un conseil. Ça peut nous amener à réfléchir et à apprendre plus rapidement.
Comment te situes-tu sur le terrain pour accroître tes chances de marquer de buts ?
Il faut se placer parfaitement, en fonction d’où est le ballon, d’où se trouve le défenseur… Il faut savoir si le défenseur court vite ou non, s’il est plus petit que toi ou non. Il y a beaucoup de paramètres qui font qu’avant de rentrer sur un terrain, il faut que tu saches comment ça va se finir. Tout est dans l’intelligence et l’anticipation du jeu. Par exemple, je peux tomber sur un défenseur qui n’aime pas tacler du pied droit, mais plutôt du pied gauche, du coup, je vais sortir sur son pied droit. Tous ces petits détails font la différence.
As-tu des habitudes ou des rituels sur le terrain ?
Bien sûr, il y a des déplacements que je préfère, je préfère me retrouver dans certaines situations aussi. Évidemment, l’objectif est que je me sente à l’aise dans chaque position du terrain. Mais en tant que 9, je préfère avoir ou voir le ballon dans certaines zones. C’est sûr.
Et si tu devais visualiser ces situations préférentielles ?
(Direct) Non, mais je ne vais pas te dire. Je ne sais pas qui lit tes interviews. Je ne vais vraiment pas te dire ça (rires). Sois sérieux un peu. Ça se trouve, un futur adversaire va lire ton interview. Je ne suis pas fou quand même. Le but, c’est de donner le moins d’informations possible à ce niveau. Ils en ont assez avec les vidéos qu’ils font avant les matchs. Alors tu imagines si moi, en interview, j’explique ce que j’aime sur le terrain. Ce serait un peu bête de ma part, je me tirerais peut-être une balle dans le pied en faisant ça.
Tu permettrais aussi à de nouvelles générations d’attaquants de devenir encore meilleures.
Pour ça, ils peuvent m’envoyer des messages sur Instagram, on peut échanger avec plaisir. Je suis ouvert. J’ai reçu plein de conseils de la part de très, très grands attaquants. Donc je serais très honoré d’aider un jeune. Mais, en interview, c’est très, très rare que je dise ce que j’aime bien faire sur le terrain.
Avant chaque début de match, tu te donnes quel pourcentage de chance de marquer un but ?
Je me donne 100% de chance de marquer. Tu ne peux pas commencer en te disant : « J’ai une chance sur deux de marquer un but », impossible. Quand le match commence, ton rôle, c’est de marquer un but, c’est d’aider l’équipe, c’est de bien jouer. Quand j’entre sur le terrain, dans ma tête, dans les vestiaires, quand je mets mes chaussettes, je me dis : « Je vais marquer aujourd’hui ». J’en suis persuadé. Après que je marque ou non, c’est autre chose. En tout cas, je ne peux pas entrer sur le terrain avec un doute sur le fait que je vais marquer. Car à partir de là, l’adversaire aura déjà une avance psychologique sur moi. J’entre sur le terrain en étant persuadé que je vais marquer. Comme le gardien qui entre sur le terrain en étant persuadé qu’il ne va pas prendre de but. Si tu poses la question à un gardien, penses-tu vraiment qu’il va te dire : « Quand j’entre sur le terrain, je ne suis pas sûr de finir sans prendre de but » ? Si c’est le cas, il faut le changer, il ne faut pas qu’il joue ce soir (rires). Si le coach vient et demande au gardien « Tu vas prendre un but ce soir ? », et que le gardien répond « Peut-être », c’est chaud ! De bons gardiens comme Yann Sommer à l’Inter ou Mike Maignan en équipe de France, si tu leur demandes « Vous allez prendre un but ce soir ? », c’est « Non » direct.
Quand on se donne 100% de chance de marquer et qu’à la fin du match, on ne marque pas, que se passe-t-il ?
On analyse pourquoi on n’a pas marqué. Ensuite, on se redonne 100% de chance au match suivant.
Et quand on ne marque pas durant plusieurs matchs ?
C’est la même chose, le même processus.
Un petit doute va s’installer doucement, non ?
Non, je ne pense pas. Dans ma façon de voir le foot et dans ma façon de réfléchir le foot, je ne pourrai pas laisser le doute s’installer. Le foot, c’est du plaisir. Je ne douterai jamais sur le fait que je vais prendre du plaisir sur le terrain. Donc non, le doute ne s’installera jamais dans ma tête.
Tu n’as jamais connu de période de doute ? Tu as marqué contre Feyenoord, mais ça faisait un petit moment que tu n'avais pas trouvé le chemin des filets…
Oui et j’étais tranquille. Je savais que j’allais marquer à un moment donné. Je ne suis pas en train de te dire que je suis content quand je ne marque pas. Mais le doute, c’est quelque chose de mental (il coupe). Je commence à développer ce truc. Lorsque je sors d’un match sans marquer, je ne vais pas dire que je ne suis pas content. Surtout si tu as gagné, tu ne peux pas ne pas être content. Mais je préfère toujours marquer. Si le doute s’installe, ta période sans marquer va être encore plus longue. Il ne faut pas se mettre de pression, il ne faut pas être obnubilé par le but, il ne faut pas penser qu’à ça en entrant sur la pelouse. Il faut jouer son jeu, prendre du plaisir, respecter ce que le jeu demande. Et ensuite, tu seras récompensé à la fin.
La pression populaire est tout de même présente. Celle des médias, des supporters, du résultat, du coach. Celle de perdre sa place de titulaire. Toutes ces pressions sont tout de même à prendre en compte, n’est-ce pas ?
Oui, mais il faut simplement être serein avec soi-même, savoir que ces choses-là sont externes au football, ça fait partie de la vie d’un footballeur. Les journalistes qui notent à la fin des matchs, les plateaux télé qui débattent de football (il coupe). Il y a tout un monde autour du monde. Et je pense que dans ce monde-là, les joueurs de football professionnels ne devraient pas interagir avec. Nous, nous sommes des acteurs du jeu. Nous ne sommes pas des spectateurs. Il y a un monde pour les spectateurs et un monde pour les acteurs.
Et dans tout ça, rien n’influe sur toi ?
Franchement, non. J’ai la chance d’avoir cette éducation. Mon père a aussi connu cette vie, cette pression. Depuis petit, on nous a inculqué tout ça. Le fait d’être très serein, très calme, ne pas laisser des choses extérieures nous affecter (il s’arrête et reprend). Quand on était petits et qu’on jouait avec papa, il nous mettait une pression psychologique très forte. Il nous charriait, il nous chambrait, il nous engueulait. C’est marrant, je viens de penser à ce truc, je n’ai jamais parlé de ça, je n’y avais même jamais réfléchi, je m’en rends compte tout juste. Mais le fait de nous faire ça, ça nous a préparés à tout ce qu’on vit maintenant. Par exemple, si je loupais une action, il se moquait de moi. Ou sinon, quand je jouais contre lui, il trichait, il faisait des petits trucs pour déstabiliser et pour faire comprendre qu’au final, c’est toi et toi-même. Tout ce qui se passe autour, il ne faut pas y prêter attention. Le plus important, c’est de se concentrer sur soi-même. Tu sais, ces petits trucs qu’il nous faisait, ça m’a marqué. Mon pied tremblait, mon cœur battait fort, j’étais petit. Mon père me chambrait, j’avais des émotions, je paniquais, il y avait tout un truc. Plus il nous faisait ça, plus on s’habituait à vivre avec ça. Quand tu es petit et que ton père te fait la misère, oui, ça te travaille. Cette éducation fait qu’aujourd’hui, Khéphren et moi, quand on entre sur le terrain, on est sereins.
Comment rentres-tu dans la tête de ton défenseur ?
Tu entres dans la tête de ton défenseur par les performances que tu as faites avant les matchs. Quand tu réalises une grosse saison, le mec, qu’il le veuille ou non, quand il joue contre toi, il sait qu’il est contre toi. Je suis le troisième meilleur buteur de Serie A. Lorsque j’affronte les défenseurs, ils savent qu’ils jouent contre le troisième meilleur buteur du championnat. Et je sais que la veille du match, ils savaient déjà qu’ils jouaient contre moi.
Tu penses que le défenseur a peur ?
Je ne sais pas s’il a peur, en tout cas, il sait qu’il va jouer contre moi. Lui, pendant toute la semaine, on lui a sûrement dit : « Marcus Thuram fait ci, Marcus Thuram fait ça, il joue comme ci et comme ça ». Donc juste ça, le fait qu’il ait préparé son match et s’est préparé à jouer contre moi, c’est que je suis déjà en grande partie dans sa tête.
L’inverse est vrai aussi ? Il est dans ta tête ?
Ah oui, oui, oui. C’est un jeu : « Qui entre plus dans la tête de l’autre ? ». Ce serait mentir de te dire que quand je joue contre Rüdiger ou van Dijk, ça ne me fait rien. Je sais que je vais jouer contre eux. Si je joue contre Rüdiger samedi, les jours d’avant, je suis déjà au courant.
Tu crains certains défenseurs ?
Non, je ne crains pas, je suis excité. Voilà la différence avec certains joueurs. Il y a des joueurs qui craignent d’affronter ce genre de joueurs. D’autres sont contents et prêts. Parfois, quand je joue contre des défenseurs, je sens qu’ils n’ont pas de crainte mais ils sont super motivés. C’est là qu’on reconnaît un certain type de défenseurs par rapport aux autres.
Sur le terrain, ça se parle ? Ça se provoque ?
Non, je ne parle pas trop sur le terrain, à part aux joueurs que je connais. Sinon, avec les autres, non. Je ne parle pas avec eux.
Et quand on te provoque ?
C’est normal, ça fait partie du jeu. Lui veut gagner donc il va tout faire pour gagner.
Être un grand attaquant, c’est aussi savoir gérer ses émotions ?
Être une grande personne tout court, c’est savoir gérer ses émotions. Même dans la vie de tous les jours, il faut gérer ses émotions, pas simplement sur le terrain. Il faut être tranquille et serein. S’il te marche sur le pied, c’est peut-être pour t’énerver, empêcher un but, il a ses raisons. Il ne se réveille pas le matin en se disant : « Je vais lui faire mal ». Il ne fait pas ça méchamment quoi. Il fait ça dans un but précis.
As-tu un petit secret pour entrer dans la tête de ton défenseur ?
Non. Tu entres dans la tête des joueurs grâce à ce que tu fais sur le terrain, c’est tout.
À l’Inter, vous jouez avec deux attaquants, Lautaro et toi. Du coup, qui est le vrai numéro 9 ?
Il n’y a pas de vrai 9 ou de faux 9, on joue avec deux 9 (sourire).
Mais généralement, on a LE buteur de l’équipe.
Pas cette saison en tout cas. Il n’y en a pas, franchement.
C’est plus facile de jouer à deux ou tout seul ? Quelle est ta vision ?
J’ai commencé à jouer tout seul en pointe à Mönchengladbach. Quand je suis arrivé à l’Inter, c’était compliqué de jouer avec quelqu’un. Quand tu joues devant, tu es la personne la plus haute sur le terrain, tu ne dois pas regarder ce que l’autre fait. Tu fais les mouvements que tu sens. Quand je suis arrivé à l’Inter, j’ai dû apprendre à jouer avec lui. J’ai eu la chance de tomber sur un joueur fantastique. C’est super simple de jouer avec lui, dans une équipe fantastique. L’équipe tournait super bien, donc je suis arrivé dans un système bien rodé, tous les joueurs se connaissaient. J’ai dû seulement comprendre certains mouvements et déplacements. Après, je n’ai pas de préférence. J’ai juste appris dans un premier temps à jouer numéro 9 tout seul. Et maintenant, je sais jouer à deux 9.
L’attaquant, c’est le buteur, c’est celui qui est à la conclusion des actions. Et il n’y a qu’un joueur qui conclut, pas deux…
Ce n’est pas aussi égoïste. On ne se dit pas : « Je veux être ». Ce n’est pas du tout comme ça.
Par définition, un attaquant doit être égoïste…
Oui, il doit être égoïste dans certaines situations. En vrai, ce n’est pas de l’égoïsme, c’est juste que l’attaquant doit tirer. Si l’attaquant doit tirer, il va tirer, il ne va pas faire la passe. Les gens de l’extérieur parlent d’égoïsme. Mais sur le terrain, si Lautaro est face au but et moi seul à côté, s’il tire et ne marque pas, les gens vont dire : « Il aurait dû décaler Marcus ». Mais la probabilité qu’avec une passe, un autre défenseur puisse revenir est énorme. Donc on peut aussi se louper avec une passe, ça revient au même. Si t’es face au jeu et que tu dois tirer, il faut tirer, que tu marques ou non. La seule chose importante, c’est de respecter le jeu. Et lui le fait très bien. Donc ce n’est pas de l’égoïsme.
À Feyenoord, tu aurais pu aller seul et marquer, mais tu as cherché à faire la passe à Lautaro. Tu t’en souviens ?
Je suis d’accord avec toi, j’aurais, peut-être, dû y aller seul. Je pensais que le défenseur allait venir plus vite sur moi, c’est pour ça que je l’ai décalé. Et finalement, Lautaro n’a pas tiré, il a crocheté.
Si tu n’avais pas eu un deuxième 9 avec toi, tu n’aurais sûrement pas fait ce choix. Et tu aurais été seul. Exact ?
C’est vrai, quand tu es le seul numéro 9, tu es clair dans ta tête sur le fait de foncer. Parfois, je suis bien content que Lautaro soit à côté de moi (rires). Je ne dirais pas qu’il y a du bon et du mauvais. Je dirais qu’il y a du bon et du bon parce que j’ai toujours une solution. Par exemple, plutôt que de tirer sur le joueur, je vais lui glisser parce qu’on est deux contre deux. Sur les phases défensives, on s’aide. Franchement, jouer avec lui, ce n’est que du plaisir, c’est un partenaire idéal. Mais c’est vrai, quand tu joues tout seul, tu n’as pas à penser. Et c’est comme ça que j’ai appris à jouer en Allemagne. Il y avait Alassane Pléa derrière moi et les milieux de terrain. Et dans tous les cas, ça allait finir avec moi. Il n’y avait pas 10 000 questions à se poser. J’ai dû tout réapprendre quand je suis arrivé à l’Inter. Et maintenant, je le maîtrise.
Aujourd’hui, tu joues avec un autre vrai buteur. C’est différent ?
C’est vrai, souvent, le deuxième attaquant a plus un rôle de 10. Mais pas ici. Donc oui, ça dépend avec qui tu joues, dans quel système tu joues, si tu joues avec des pistons offensifs ou défensifs.
Par exemple, si tu joues en équipe de France avec Randal Kolo Muani, ça ne sera pas pareil, car ce n’est pas un véritable buteur. Alors que si tu joues avec deux Inzaghi devant, ils vont se marcher dessus.
C’est vrai ce que tu dis. Tout dépend du joueur avec qui tu joues et surtout, du style de ton équipe. Par exemple, deux attaquants n’auraient pas pu jouer ensemble et pourtant, ce sont deux très, très grands attaquants. Donc quand tu me demandes les 10 meilleurs attaquants, il y a trop de paramètres différents pour trancher. Par exemple, si tu mets Haaland et Kane dans la même équipe (il coupe). Non, mauvais exemple, Kane s’adapte partout (il réfléchit). Si tu mets Haaland et Lewandowski ensemble en pointe, ça ne va sûrement pas coller. Et pourtant, ils font partie du gratin mondial. Donc c’est compliqué.
Tu en es déjà à 13 buts en 26 matchs de Serie A, tu as donc égalé ton record personnel sur une saison. Comment doit-on interpréter ce chiffre ?
Ça veut dire que je progresse, que j’ai appris de la saison dernière et que la saison se déroule bien. Il n’y a pas 10 000 choses à interpréter, c’est un chiffre.
Ce que tu as fait en 35 matchs la saison dernière, tu l’as fait en 26 cette saison. Ce chiffre veut quand même dire quelque chose, non ?
La mauvaise chose, c’est que tu pourrais présenter ce chiffre à quelqu’un et il dirait : « Ah cette saison, il joue beaucoup mieux que la saison dernière ». Alors que c’est faux.
C’est pour ça que je te demande l’interprétation de ce chiffre.
Comme je t’ai dit, c’est un bon chiffre, je fais une bonne saison et c’est tout.
Et pour toi, tu ne joues pas mieux que la saison dernière ?
Marquer des buts, ça ne veut pas dire bien jouer. J’ai déjà vu plein d’attaquants mettre des buts et faire des mauvais matchs. Ça fait un de plus au compteur. Si tu fais ça sur cinq matchs, ça fait cinq buts en plus. Mais ça ne veut pas dire que tu as fait cinq bons matchs.
Quand on est un attaquant, c’est mieux de marquer plutôt que de bien jouer.
Hmm, non, pas pour moi. Mais peut-être pour un autre attaquant.
Pourquoi ?
Pour moi, si tu joues bien, tu auras beaucoup plus de chance de marquer que si tu joues mal. Je suis persuadé que sur la durée, tu vas gagner en privilégiant les bonnes performances. Sachant que j’entre sur le terrain pour marquer, mais avant tout, je veux bien jouer. Sinon, tu me mets sur le terrain deux minutes, je marque, après tu me sors, et moi je suis content ? Si on va dans l’extrême, ils n’ont qu’à faire ça. Mais tu penses que je serais content ?
Si tu finis à 38 buts en 38 matchs, pourquoi pas ?
En jouant seulement deux minutes par match ? Je serais l’homme le plus triste du monde. Moi, ce que je veux, c’est jouer au football. Toi, tu serais attaquant, tu serais content de ça ?
Je finirais à 38 buts par saison…
En jouant seulement deux minutes par match ? Il ne faut jamais oublier pourquoi on joue au football. Quand on était petit, on voulait toujours être sur le terrain. Quand on aime le football, on ne se contente pas des stats. On veut être sur le terrain, s’amuser, produire du spectacle et donner des sensations aux gens.
Mais le football d’enfant et le haut niveau, ce n’est pas pareil. Là, on te demande des résultats !
Oui, mais l’essence même de tout ça, quand j’entre sur le terrain, c’est le Marcus petit qui rêvait de devenir joueur de foot. Sinon, je marque, je demande le changement et c’est fini. Car si c’est ça, je m’en fous de jouer au foot, je ne m’amuse plus. Et pour moi, ça, c’est impossible. Moi, jusqu’au dernier jour de ma carrière, à chaque fois que j’entrerai sur le terrain, ce sera Marcus, l'enfant émerveillé, dans un stade avec 80 000 spectateurs qui scandent son nom. Et je serai l’homme le plus heureux du monde.
Depuis ton arrivée à l’Inter, ta valeur a doublé sur le site Transfermakt. Tu es désormais évalué à 75 millions d’euros. Ça t’inspire quoi ?
(Étonné). 75 millions d’euros ? Ils disent que je coûte 75 millions d’euros !
Comment interpréter cette valeur ?
Ça veut, peut-être, dire que j’ai progressé fois deux. C’est ce qu’ils disent, non ? (Rires). Ça veut dire que j’ai bien évolué, que je suis dans une équipe qui fonctionne bien. Je ne sais pas si ma valeur aurait autant augmenté si l’équipe ne tournait pas bien.
Tu ne regardes pas ce genre de choses ?
Non, bah non.
Quand on est footballeur, on s’aime bien, on aime regarder ce genre de choses, non ?
Footballeur ou pas footballeur, je me serais beaucoup aimé. Comment mon père m’a élevé, je peux t’assurer que ce n’est pas être footballeur qui m’a rendu comme ça. Je n’étais pas encore footballeur, je m’aimais beaucoup. Et peut-être un peu trop. Maintenant que je suis footballeur, je m’aime un peu moins. Ça n’a jamais été un problème.
Et si on revient à ta valeur Transfermakt.
C’est un signe positif. Moi, je ne prête pas trop attention à ça. Maintenant que tu me donnes cette information, ça veut dire que je fais du bon travail depuis que je suis arrivé à l’Inter.
Tu disais : « Je cherche toujours à être la meilleure version de moi-même ». Peux-tu visualiser cette meilleure version de toi-même ?
La meilleure version de moi-même, déjà, elle a les cheveux longs comme Khéphren (rires). Pour être un peu plus sérieux, la meilleure version de moi-même, ce serait de maîtriser tous les aspects du jeu. Mon rêve, c’est d’arriver sur le terrain et de pouvoir… (il coupe). Tu vois quand tu regardes le match à la télé, parfois, tu peux dire : « Mais il n’a pas vu ça ! », parce que toi, tu as un angle large, ça veut dire que tu vois tout ce qu’il se passe sur le terrain sur ton écran. Et bah moi, mon rêve, c’est d’entrer sur le terrain et d’avoir une vision du jeu comme si je regardais le terrain d’au-dessus. Et comme ça, impossible de faire des mauvais choix, 100% de réussite, 100% de bons choix, 100% de tout.
Tu penses que c’est possible un jour ?
Tout est possible. Neymar au PSG, parfois, tu avais l’impression qu’il avait tout vu, tout scanné. Benzema, pareil, il voit tout avant tout le monde. Et moi, c’est ce à quoi j’aspire.
On dit que dans le foot, la chose la plus difficile, c'est de marquer un but. Quel est ton regard là-dessus ?
La chose la plus difficile, c'est d'être constant dans le fait de marquer des buts. En gros, il ne faut plus que les gens se posent la question de savoir si tu vas marquer ou pas. Tu es sur le terrain et tu marques, point final. Un peu ce que Haaland arrive à faire. On est dans une culture où les gens banalisent les choses. Mais vraiment, ce que Haaland fait, c’est incroyable. Ce que Messi a pu faire, ce que Ronaldo a pu faire aussi. Marquer un but, oui, tout le monde peut marquer un but. Mais sur une saison, marquer autant de buts, sur deux saisons, sur trois saisons et ainsi de suite, ça, c’est hors du commun. Il faut que tu comprennes qu'une fois que tu marques beaucoup de buts, tu es une cible. Les gens font attention à toi, les équipes préparent des choses contre toi et malgré ça, tu arrives quand même à marquer. C'est vraiment ça le truc le plus dur, c'est de marquer beaucoup de buts sur une longue période.
Sur un match, c’est difficile ?
Dans un match, tu peux marquer un but. Surtout dans le foot actuel, ça peut finir en 3-3, 4-4, tu as des opportunités. Moi, ce que je recherche d’un point de vue personnel, c'est cette constance sur une longue période.
Tu es entraîné par Simone Inzaghi, qui a été un bon attaquant. Vous avez pu échanger sur ce rôle ?
Oui, oui. Il me donne ses conseils, certaines choses qu'il a comprises sur le tard, des sensations notamment. Avoir un coach qui a été attaquant, c'est le rêve pour un attaquant. Car il y a plein de choses que nous pouvons seulement comprendre, qu'un attaquant peut seulement comprendre.
Par exemple, son frère Filippo Inzaghi n’était pas très beau à voir jouer…
Simone Inzaghi était beau à voir jouer. Concernant, Filippo Inzaghi, ce n’était, peut-être, pas très beau, mais c’était un art à part entière. Tu sais, partir toujours à la limite du hors-jeu, c'est beau. Tout dépend ce que tu appelles beau. Je ne sais pas, en tout cas, partir à la limite du hors-jeu à chaque fois, pour moi, c'est beau. Semer son défenseur sur un mouvement, un appel, c’est beau. C'est avoir l'intelligence de se cacher et de partir au bon moment, de calculer la trajectoire de la passe, faire attention au hors-jeu, à son appel, à l’alignement du défenseur, au gardien qui sort puis marquer. Vraiment, parvenir à faire ça, c’est un art.
Tu aimerais donc ajouter cet art à ta palette ?
Bien sûr. Quel attaquant ne voudrait pas avoir le sens du déplacement de Filippo Inzaghi ? C’est pour ça, dire que Filippo Inzaghi n’était pas beau à voir jouer, ça me fait rire.
En tant que spectateur, c'est moins spectaculaire, on va dire !
Tout dépend où tu places le curseur du spectateur. Tout dépend à quel point aussi tu comprends le jeu. Beaucoup de gens viennent au stade et ont certains avis. Mais il faudrait qu'ils soient sur le terrain pour comprendre certaines choses. Et c'est normal qu’ils ne comprennent pas. Mais pour moi, en tant qu'attaquant, voir le déplacement de Filippo Inzaghi, c'est spectaculaire.
Ton papa a joué avec Trezeguet, Anelka, Henry. Tu as échangé avec ces joueurs ?
Oui, j’ai eu des échanges avec eux. Ils m’ont donné des conseils. Les conseils changent en fonction du joueur et de ce qu'ils aimaient faire. Mais une chose est sûre, ça fait gagner énormément de temps de discuter avec ce genre de joueurs.
As-tu retenu une phrase forte ?
Je te dirais une phrase de Thierry Henry sur le fait de répéter sur le terrain ce que tu aimes. Il me disait toujours : « S'il y a une action que tu apprécies et que tu maîtrises, il faut tout mettre en œuvre pour se retrouver dans cette position. Il ne faut pas jouer au hasard, il faut arriver à créer cette situation préférentielle ». Et plus tu maîtrises de situations, plus tu deviens inarrêtable.
Tu tombes aussi dans une routine.
Si la routine fonctionne, non. Erling Haaland se met toujours dans la même situation et il marque des buts. Je ne pense pas qu’il se dise : « Oh, c’est ennuyant de faire ça ». Si un truc marche, il faut le faire, tout simplement.
Il y a des attaquants dont tu n’aimes pas le style ?
Non, car chaque attaquant fait des choses qui peuvent m’aider à apprendre. Après, tu me parles des attaquants ou des grands attaquants ? Je ne connais pas tous les attaquants. Mais tous les grands attaquants, non. Il n’y en a aucun dont je n’aime pas le style.
Quels sont les attaquants de l'époque que tu as pu analyser ?
Quand j'étais petit : Adriano, Ronaldo, le Brésilien. Mais bon, à cet âge-là, je n'analysais pas. Mais s'il y a un attaquant que je dois te citer, que je regarde avec attention depuis que j'ai commencé à jouer, qui joue tellement intelligemment, et avec qui c’est facile d’apprendre en le regardant, c’est Karim Benzema. Si un enfant arrive et me dit : « Je veux être attaquant, quel attaquant dois-je regarder ? », c’est Karim Benzema, à tous les coups. Le gars, c'est un ordinateur du football. Tu lui présentes les problématiques, il te donne les réponses à la seconde, il te corrige tout et remet tout en place, c'est le ChatGPT du football (sourire). Karim Benzema, tu lui donnes un truc, il te le ressort en fois deux, fois trois. En fait, il a une culture du football, du placement, du détail. C’est hallucinant, c’est hallucinant.
As-tu des sources d’inspiration de gens en dehors du football ?
En dehors du foot, un athlète m'a inspiré : Mohamed Ali. Il avait cette confiance en lui, ce charisme, cette tranquillité. Même s'il faisait un sport violent comme la boxe, il arrivait à ramener cette légèreté et cette poésie, donc oui, Mohamed Ali alias Cassius Clay.
Peut-on être un grand athlète sans avoir de caractère ?
Non. Je te dirais même, ce n’est pas possible d’être un grand athlète sans avoir un mauvais caractère. Il y a des moments où… (il coupe puis se reprend). Quand je te dis mauvais caractère, ce n'est même pas un mauvais caractère, c'est qu'à un moment donné, il y a un truc qui sort. Ça va se décrire par un mauvais geste ou un mauvais regard. C'est pour ça qu'il y a un tel décalage entre le sportif de très, très haut niveau et quelqu'un qui n'évolue pas au très haut niveau. Il y a une mentalité à avoir que certaines personnes ne peuvent pas comprendre.
Comme quoi ?
Sur des réactions, sur des phrases que certains peuvent percevoir comme mal placées. Par exemple, Kylian (Mbappé) n’est pas compris parce qu'il a tellement une mentalité de compétiteur qu'il y a des gens qui peuvent voir ça comme de l'arrogance, alors que ce n'est pas de l'arrogance, c'est juste un athlète de très, très haut niveau.
Donc toi, Marcus Thuram, as-tu un côté mauvais caractère ?
Ouais, mais j'essaie de... (il coupe). Non, mais je l'ai dit, ce n'est pas un mauvais caractère. Je me suis repris, c’est plutôt avoir un fort caractère. Donc oui, j’ai un caractère fort. Ce n'est pas un secret. Ce n'est pas un secret depuis que je suis jeune (rires). Mais non, ce n'est pas un mauvais caractère, c'est un caractère fort.
Sinon, on ne peut pas être un grand joueur ?
Non.
Quand tu te poses devant la télé, tu regardes un match et Marcus Thuram joue, quel est ton avis sur ce joueur ?
Je pense quoi de moi-même ? Je ne peux pas me regarder à la télé et être sur le terrain en même temps (sourire).
Non, mais quand tu regardes le match en différé.
Je ne peux pas me regarder. Il faudrait poser la question à quelqu’un d’autre.
Mais tu revisionnes tes matchs quand même, non ?
Oui, mais je ne le regarde pas avec un œil de supporter. Je le regarde avec un œil d'analyse, de progression. Et de toute façon, il n'y a jamais rien qui va aller. Je ne suis jamais content, il y a toujours un truc qui va m’énerver, il y a toujours un problème, je vais dire : « Pourquoi tu as fait ça ? », ou « Pourquoi tu n’as pas fait ci ? ». Dans ta question, je comprends que tu veux mon oeil en tant que supporter, ce n’est pas possible.
Et en tant qu’analyste donc ?
Quand je m’analyse, je m’agace. Car je me dis toujours que j’aurais pu faire mieux.
Tu auras 28 ans dans quelques mois, quand seras-tu proche de ton prime ?
Ça veut dire quoi ça ?
Quand est-ce que tu seras à ton top du top ?
Quand je maîtriserai tout ce que j'ai à maîtriser (il laisse un blanc puis enchaîne). Tu voulais un chiffre ?
Oui.
Je ne peux pas te donner de chiffre.
Karim Benzema a remporté son Ballon d’Or à 35 ans.
Je ne pense pas que le prime de Benzema était à 35 ans. Benzema a toujours été un joueur à part. Il jouait avec Cristiano Ronaldo, c’est pour ça que les gens ne s’en rendaient pas compte. Je ne pense pas que le prime de Benzema était à cette époque-là. Si tu regardes des vidéos de Benzema, déjà quand il était à Lyon, tu hallucines. Ses premières années à Madrid, tu hallucines. Benzema a toujours été Benzema. Quand Cristiano Ronaldo est parti, il a pris plus de lumière sur lui car il était au Real Madrid. Mais franchement, si tu veux que je te dise : « À cet âge-là, je serai à mon prime », je ne le ferai pas.
Mais tu n'y es pas encore ? Tu t’en rapproches ?
Oui, je ne suis pas trop loin.
Comment s’est faite cette évolution ?
Comme je le dis depuis le début de l’interview, grâce à de nombreuses remises en question, que ce soit avec mon père ou des gens qui ont pu jouer au foot. Et toujours réfléchir à comment devenir meilleur.
Le symbole de Milan, c’est le serpent…
(Il coupe) Le symbole de l’Inter Milan.
Le symbole de Milan, c’est le serpent, on le décrit comme puissant et élégant, es-tu en phase avec ce symbole ?
Dans mes bons jours, oui.
Peux-tu développer ?
Que ce soit en dehors ou sur le terrain, j’aime dégager de la puissance et de l’élégance (il coupe). Enfin, la puissance, quand je m’habille, non (rires). Mais l’élégance, oui. Après tout dépend de l’avis de chacun, certains pourront me trouver élégant, d’autres un peu moins. Mais oui, j'aime bien être élégant et c’est pour moi avant tout. Quand je m'habille ou quand je vais sur le terrain, avant tout, c'est pour moi. J'aime bien dégager ce que le serpent représente. J’aime faire ressentir que je suis là et donner un sentiment de domination par rapport à mes adversaires.
Tu es un dingue de mangas ? Comment ça se fait ?
C’est venu avec mes cousins quand on était en Guadeloupe, on a commencé à regarder Dragon Ball. On avait 9/10 ans. Et après, on a commencé à acheter les mangas, à lire, on lisait à l’envers. Ensuite, on est passés à Naruto, et ça a ouvert la porte à plein de mangas et encore aujourd'hui, je regarde plein de mangas.
Quel est le manga avec lequel tu as la relation la plus forte ?
C'est le premier Dragon Ball. J’ai commencé avec ce manga.
Tu te retrouves dans un personnage ?
Que je me retrouve, non, car nous ne sommes pas dans un manga. Mais j’aime beaucoup San Goku. Il combat contre les plus forts, mais il garde toujours ce côté d'amusement dans le combat. Et à la fin, quand il bat ses ennemis, souvent, ses ennemis deviennent ses amis parce qu'il les respecte tellement comme personne et comme combattant, qu'ils n'ont pas d'autre choix que de s’allier à lui.
Ta fameuse célébration, elle te vient de San Goku ?
Non, non, non, pas du tout. Ça ne vient pas de San Goku, je vais te dire la vérité sur cette célébration, personne ne la sait (sourire). C’est un jeune qui s’appelle Yvandro Borges, il jouait au Borussia Mönchengladbach. Et durant la préparation estivale de ma dernière saison en Allemagne, il était en stage avec nous. Il venait de rejoindre le groupe pro. Et je lui dis : « Toi, tu vas jouer professionnel, tu es attaquant et les attaquants doivent avoir une célébration ». Il me dit : « Bah oui, moi, j'ai une célébration ». Et je lui ai dit : « C'est quoi ? ». Et là, il me montre le signe. Je lui réponds : « Elle est top cette célébration, mais tu ne vas pas beaucoup la faire cette année, car tu ne vas pas beaucoup jouer » (rires). Et finalement, comme il ne jouait pas, je lui ai dit : « Maintenant, quand je vais marquer, je vais faire ta célébration ». Mais sauf que les gens ne savent pas que c’est sa célébration à lui (il éclate de rires). Et donc, c'est devenu MA célébration. On la partage avec Ousmane (Dembélé), on la partage avec Khéphren (Thuram).
Et tu regardes encore Dragon Ball ?
Un peu moins maintenant, j'ai regardé tous les épisodes, même Dragon Ball Super. Mais tous les ans, il y a de nouveaux mangas qui sortent, il y a « L’attaque des titans », il « JoJo's Bizarre Adventure », il y en a beaucoup.
Ton ancienne photo de profil sur Instagram était un gorille, pourquoi avoir changé ?
Oui, c’est Oozaru, quand Goku Petit se transforme en gorille pendant la pleine lune. Moise Kean me l’a volée.
En interview, la plupart des joueurs français décrivent leur style de jeu en expliquant qu’ils viennent de la rue. Ils expliquent aussi qu’ils avaient « faim » car ils voulaient aider leur famille. Toi, ce n’est pas du tout le cas. Qu’est-ce qui t’a motivé ?
Moi, c'est l’amour pour le foot. J'aime tellement le foot que je ne voyais pas ma vie sans le foot. Depuis petit, je travaillais, jouais, je n’avais que le foot dans ma tête. J’aime tellement ça…
Souvent, on a cette soif de réussir dans le fait de partir d'en bas pour arriver en haut. C’est le storytelling habituel du footballeur.
Pas que footballeur, de la vie en générale, c’est souvent ce qu’il se passe.
Un garçon comme toi n’avait pas forcément besoin de ça ?
Pourquoi pas besoin ?
Tu ne pars pas d'en bas.
Non, je ne pars pas d'en bas. Pour le coup, vraiment pas. Je ne pars vraiment pas d'en bas, mais tu n’as pas besoin de partir d’en bas pour vouloir quelque chose, tu n’as pas forcément besoin d’être en bas pour avoir soif de réussir.
Des garçons qui n’ont manqué de rien vont avoir tendance à avoir moins faim.
Mais je n'avais pas tout quand j'étais petit. Ce n’est pas parce que je ne manquais de rien, que je n’avais pas soif de réussite. Et inversement, tu sais, il y a des gens qui n’ont rien et qui n’ont pas faim non plus.
Par exemple, dans le même magazine, Dilane Bakwa explique que sa maman n’avait pas de quoi lui acheter des crampons, et c’est pour ça qu’il voulait en partie réussir, pour aider sa maman. Ça n’a jamais été ton cas…
Avoir ou ne pas avoir, ça ne développe pas forcément une faim. Je suis persuadé qu’il y a plein de gens sur cette terre qui n’ont pas grand choses et qui n’ont pas faim. Ils sont restés dans la même situation, sans rien faire. Et il y a plein de gens dont les pères sont chefs d’entreprises, et ils ont, eux aussi, très envie de réussir, de faire de grandes choses. C'est plus une éducation que d'avoir ou de ne pas avoir. On m’a transmis cette éducation. Mon père m'a toujours expliqué que si je voulais quelque chose, il fallait travailler. Je n'ai pas travaillé parce que je voulais avoir quelque chose ou changer ma vie. Je voulais travailler parce que j'aimais le foot. Du coup, comme j’aimais le foot et que je voulais que le foot fasse partie de ma vie, il fallait que je travaille.
Comment était le niveau à l’Olympique de Neuilly ?
Le niveau, on n'était pas là pour gagner des matchs. On était là pour s'amuser. Je n'avais que 10 ou 11 ans. On était là pour kiffer. En plus, c'était juste à côté de l’école. C’était pour le kiffe.
C’est du jamais vu dans le foot, un ancien grand joueur qui a deux enfants, qui font également de grandes carrières. Tu en as conscience ?
Tu es sûr ? Il y n’en a pas d’autres ? Patrick Kluivert, non ? Ah non, il n’a qu’un garçon en Premier League. Nous, on est deux. Bah, il faut remercier papa et maman, ils ont bien travaillé.
C’est tout ?
Bah, c ’est eux. Nous, on a fait, mais c'est eux qui nous ont mis sur les rails et qui nous ont montré le chemin. Après oui, c'est vrai qu’il faut travailler, il faut avancer, mais si on te met sur les mauvais rails, c'est dur d'arriver à ce niveau.
Toute ta carrière, on a dit : « Le fils de », c’est lassant au bout d’un moment, non ?
Non parce que je suis « le fils de ». Ce n'est pas comme si j’étais devenu « le fils de » à 15 ans (rires). Depuis que je suis petit, je sais que mon père joue au foot. Mon petit frère aussi sait que son papa joue au foot, que son frère aussi. Pour moi, c'est une fierté. Je suis content d’être « le fils de ». Tu imagines, je suis le fils de Lilian Thuram. Je suis Marcus Thuram. Je suis le frère de Khéphren Thuram. Je ne vois pas pourquoi ça me fatiguerait. C’est une fierté. Mon père a été l’un des meilleurs défenseurs du monde. Aujourd'hui, je joue à l’Inter, je gagne des titres, Khéphren joue à la Juventus. Pas mal de personnes aimeraient être à notre place.
Ce qui est marrant, c'est que tu es tellement performant et que ça marche tellement bien pour ton frère, que c’est en train de se transformer en « Le père de ». Tu es d’accord ?
Non, jamais (sourire). Même si je gagne tous les trophées du monde, je serai toujours « Le fils de ». Quand on dira Marcus Thuram, on dira toujours « Le fils de ». Car ce que mon papa a fait, tu ne peux pas l’effacer. Moi, je ne peux pas l’effacer. Même si je brille de mille feux, je ne pourrai pas l’effacer. C’est impossible. Il est venu avant et ce n’est pas une compétition. C’est juste comme ça. Marcus Thuram, le fils de Lilian Thuram.
Mais aussi, Lilian Thuram, le père de Marcus Thuram.
Oui, les gens le disent maintenant. C’est vrai. Je le sais, je ne suis pas dupe. Et ça ne me dérange en aucun cas d’être le fils de Lilian Thuram.
Parlons de Khéphren Thuram, tu le situes où en termes de niveau ?
Je ne répondrai pas de manière très objective, parce qu'à mes yeux, c'est mon joueur préféré, c'est mon petit frère, c'est toute ma vie. Donc moi, je ne peux pas répondre à cette question objectivement, mais il progresse bien, c'est un garçon qui travaille. Je sais qu'il a toutes les qualités pour être un des meilleurs à son poste. Je suis très content de son évolution.
Penses-tu qu’il a le potentiel pour être le meilleur à son poste ?
Le meilleur, c'est très subjectif dans le foot. Surtout quand il s’agit de ton joueur préféré. Ce que je dis, moi, c'est qu’il peut faire partie des meilleurs joueurs à son poste. J’en suis sûr et certain.
Jouer la prochaine Coupe du Monde avec l’équipe de France, tous les deux, c'est l'objectif ?
C'est un des objectifs, oui, bien sûr. Un des objectifs qu'on a en commun. On peut dire ça comme ça.
Tu fais des petites allusions à Deschamps ?
Non, jamais. Jamais, je ne me permettrais de faire ce type de choses.
À l'époque, tu disais faire beaucoup d'introspection. Est-ce toujours le cas ?
Oui, je fais de la visualisation aussi. J'en fais toujours. J'en fais souvent avant les matchs.
Peux-tu développer ?
Oui, je tiens ça de mon père et de ma cousine aussi. Ils me disent que les pensées positives attirent le positif. Donc j'essaie de penser positif, j'essaie de visualiser des actions qui vont se passer sur le terrain et imaginer que je vais les réussir. Je visualise des choses que je vais faire dans la vie et que je vais réussir. J'imagine des rêves se réaliser et en espérant que l'univers me réponde.
Quelle est la question existentielle la plus compliquée que tu t'es déjà posée ?
Non, tous les jours, il y a de nouvelles questions. Pourquoi ça, c'est comme ci ? Pourquoi ça, c'est comme ça ? On n'a pas forcément les bonnes réponses, mais la question que je me pose le plus souvent, c’est : « Pourquoi en 2025, le racisme existe encore ? ».
Et tu n'arrives toujours pas à avoir des réponses ?
J'ai des débuts de réponses, mais quand je réfléchis avec mes expériences, je ne comprends pas comment les gens n'arrivent pas à la même réponse que moi.
Quelle est ta réponse ?
Pourquoi ça existe encore ? Parce que les gens ne sont pas éduqués à aimer leur prochain.
Ce sera impossible à éradiquer donc ?
Si tu penses comme ça, ça veut dire que tu ne luttes pas contre le racisme.
Pas du tout, mais ça existe depuis la nuit des temps, comment faire pour l'éradiquer du coup ?
Tu sais qu'il n’y a pas si longtemps, les noirs et les blancs ne pouvaient pas utiliser les mêmes services. Maintenant, on peut utiliser les mêmes services. C'est qu'il y a une évolution. Toi, tu penses que ce sera toujours comme ça ?
En se basant sur ce que tu dis, l’éducation, c’est de la transmission. Donc un raciste ne transmettra pas les bonnes idées à son fils.
Oui, mais on peut faire en sorte qu’il y en ait de moins en moins. Je pense qu'un jour, le racisme sera éradiqué. J'ai espoir. C'est vraiment la q
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