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·11 de outubro de 2025

EXCLU - Manon Uffren : « Il y a beaucoup d’injustice dans le football féminin »

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Football et transmission familiale, santé mentale, but du milieu de terrain, réseaux sociaux… autant de sujets sur lesquels Manon Uffren est incollable. À 28 ans, la joueuse de Parme a déjà un vécu particulier dans le football de haut niveau. Une carrière pas comme les autres faite de rebondissements et de décisions fortes qui font d’elle une joueuse au destin singulier.


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Quels sont tes premiers souvenirs avec le ballon rond ?

Tout a commencé dans le jardin avec mon frère. Je devais avoir 4-5 ans. Mes parents ont décidé de me prendre une licence dans mon village. Je pense que j'avais 5 ans, à Eygalières, dans le sud.

Tu as rapidement baigné dedans avec un papa président et une maman qui travaille au club !

C’est ça ! À l’époque, mon papa était président du club, il avait même succédé à mon grand-père. J’ai joué avec les garçons jusqu'à 14-15 ans.

Comme beaucoup de jeunes filles, tu débutes avec les garçons. Tu as été bien accueillie ?

Forcément, il y avait des préjugés, « c'est une fille… », « pourquoi elle joue au foot, pourquoi elle est là ». J'étais un peu la seule fille dans les villages aux alentours qui jouait au foot. Forcément, j'étais prise de haut, mais quand j'ai pu leur montrer ce que je valais sur le terrain, le regard a changé.

C’est vrai que tu as cassé le bras d’une gardienne adversaire lorsqu‘elle évoluait en poussines ?

Oui, j’avais cassé le bras d'une gardienne en frappant (rires). Depuis toute petite, j'ai toujours eu une grosse frappe, apparemment, c’est de famille, mon papa et mes frères ont aussi une grosse frappe.

Finalement, tu t’envoles pour un prestigieux centre de formation. Tu t’en souviens ?

Oui, je suis partie à Clairefontaine après avoir fait les sélections, en sport études. J'ai signé dans une équipe de filles à Monteux, à l'époque, elle devait jouer en deuxième division.

L’alternance entre Clairefontaine et Monteux, comment tu la gères ?

Honnêtement, c'était très compliqué de quitter ma famille, le cocon familial. À cet âge-là, je suis très proche de ma famille, de ma mère. Les débuts sont particulièrement durs. J'ai du mal à m'adapter à ma nouvelle vie. Par chance, j'avais une très bonne amie à Clairefontaine. J'ai pu m'appuyer sur elle, je n'étais pas vraiment seule. Forcément, il faut une période pour s'adapter à cette nouvelle vie, mais après coup, ça reste trois années formidables.

Clairefontaine est souvent décrit comme un lieu particulier. Tu as ressenti cela ?

C'est vraiment un endroit à part. Au début, je ne m’en rendais pas compte. Tout le monde dit que Clairefontaine, c'est incroyable, mais il faut y aller pour s'en rendre compte. En arrivant là-bas, quand tu vois la prise en charge, la manière dont les coachs travaillent, tu te rends compte que c'est un truc de dingue. Tout est fait pour que tu te développes au maximum pendant ces années. C'est un autre monde.

Ça te permet d’arriver à Montpellier, n’est-ce pas ?

Oui, je signe mon premier contrat à Montpellier à 18 ans, tout commence à aller plus vite. C'est aussi à ce moment-là que je me dis que le football peut devenir mon métier, que je peux en vivre. Avant, quand j'étais à Clairefontaine, ça ne me traversait pas forcément l’esprit. J'ai choisi Montpellier, même si l'Olympique Lyonnais était intéressé par mon profil, car je revenais près de ma famille, dans le sud de la France. J'ai énormément appris durant mon passage, ça a été compliqué parce que je n'ai pas forcément beaucoup joué.

Il y avait déjà de gros noms…

J’ai pu côtoyer des internationales françaises. Il y avait Sakina Karchaoui, Elisa De Almeida, Marion Torrent… ce sont toutes des tops joueuses, c'était une équipe de fou, c'est aussi pour ça que j'ai eu du mal à me faire ma place.

Pour autant, dès ton premier match, tu marques. Tu t’en rappelles ?

Oui, c'était en Coupe de France face à Albi. Le coach de l'époque était Jean-Louis Saez, il me criait bien dessus (rires), mais c'était pour mon bien, c'est lui qui m'a lancé et pour mon premier match, je trouve le chemin des filets.

Ça t’a permis aussi de porter le maillot bleu chez les jeunes. C’est beau…

J'ai connu les U16, les U17, les U19. C'est forcément un souvenir génial de porter le maillot de l'équipe de France. C'est une fierté. Rentrer sur le terrain avec le maillot frappé du coq, entendre l’hymne, ce sont des moments que je n'oublierai jamais. Avec les U19, je me rappelle notamment d'un but marqué de très loin, quasiment du milieu de terrain !

Comme celui face au Havre qui t’a valu le titre de plus beau but de la saison de D1 ?

Oui, c'est peut-être une de mes marques de fabrique (rires).

Il y a un sentiment d’inachevé avec les Bleues ?

Peut-être que c'est un sentiment d’inachevé, mais je me dis aussi qu'il y a de très très bonnes joueuses en équipe de France. La concurrence au milieu de terrain est ultra dense. Mais on ne sait jamais, je ne perds pas espoir. Je ne me prends pas la tête à me dire que je ne suis pas en équipe de France. Je vis ma vie, je fais confiance à la vie. Et si un jour je suis appelée, je serai la plus heureuse. Pour le moment, je travaille à fond !

Dans ta carrière, tu as mis un peu de temps à te fixer véritablement à un poste.

Désormais, je suis une vraie milieu défensive, une numéro 6. C’est là où je me sens plus à l’aise. Avec les garçons, j’étais arrière gauche, puis milieu gauche et même numéro 10. À partir de Saint-Étienne, je me suis vraiment installée au poste de numéro 6.

La maturité, ça aide pour ce poste ?

Forcément. Avec l’expérience, on progresse, c’est là où je me sens le mieux. J’ai le jeu face à moi, ça me permet de bien me projeter. C’est une habitude pour moi.

Tu as une super patte gauche avec un gabarit plutôt fin, pourtant, tu aimes le contact. Ce n’est pas forcément ce qu’on pourrait se dire au premier abord, non ?

Oui ! À Montpellier, on me reprochait d’être parfois un peu trop détente, de ne pas aller au contact. J’ai travaillé dessus, je me suis fait violence. Même si, quand on me voit, je parais fine, je peux aller au contact, au duel, j’ai pris goût à cela. J’aime bien malgré mon gabarit. En position défensive, si tu ne vas pas au contact, c'est un problème.

C’est aussi grâce à ces qualités que tu as pu rejoindre l’ASSE, une belle étape dans ta carrière.

C’est forcément un club à part de par son histoire. J’étais fière de pouvoir signer à l’ASSE. C’est aussi là où j’ai vu mon temps de jeu grandir, jouer tous les matchs, m’installer complètement dans un onze de départ. J’ai pris confiance en moi, j’étais une joueuse clé, c’était un vrai tremplin dans ma carrière.

Tu as senti la fameuse ferveur stéphanoise ?

Chez les féminines, on la sent un peu moins, mais quand on va voir les garçons à Geoffroy-Guichard, c’est incroyable !

Cerise sur le gâteau, tu as marqué dans le derby face à l’OL !

Déjà c’est difficile de marquer face à l’OL ! En plus, j’étais frustrée, car le coach ne m’avait pas titularisé. J’étais entrée « revancharde » et j’ai finalement marqué, on a réussi à faire 1-1. Ça reste un gros souvenir de ma carrière.

C’est aussi après l’ASSE qu’un moment marquant de ta carrière se produit : celle d’arrêter le football. Pourquoi cette décision ?

Tout d’abord, ça a surpris tout le monde. Il y a plusieurs facteurs qui m’ont poussé à prendre cette décision. Il y a beaucoup d’injustice dans le football féminin. Il y a des choses que je ne pouvais plus garder en moi. C’était trop. J’ai aussi eu des petits soucis familiaux. C’est un peu tout ça qui m'a poussé à arrêter pour me recentrer sur moi et mes proches. Mentalement, la tête ne suivait plus, je n’étais plus dedans. Cette pause a duré un an et demi.

À quoi tu penses quand tu parles d’injustice ?

C’était au niveau des salaires par exemple. Dans certains clubs, tu es vraiment mal traité, on te prend un peu pour « de la merde ». Plus les années passaient, moins je pouvais supporter cela. C’était trop pour moi. Beaucoup de filles savent de quoi je parle. Et je ne vise pas un club en particulier, c’est plus un sentiment général.

On peut assimiler cela à une dépression ?

Je ne sais pas vraiment si c’était une dépression, je ne pourrais pas dire. Peut-être que c’était ça. En tout cas, je n’étais plus du tout là alors que le football était toute ma vie. C’était peut-être une petite dépression, un burn-out. J’ai arrêté et ça m’a fait beaucoup de bien, je ne regrette absolument pas.

L’accompagnement des joueurs et des joueuses est-il trop léger dans le sport de haut niveau ?

C’est un véritable sujet. Car quand on en parle, c’est un peu tabou. On a presque l’impression que quand tu es sportif ou sportive de haut niveau, tu n’as pas le droit de faire une dépression, un burn-out. C’est juste humain de traverser des périodes comme cela, il faut accepter les moments ou ça ne va pas. Il faut plus en parler, ne pas avoir honte d’en parler.

Tu as eu des coéquipières qui ont pu t’en parler ?

Une fois que j’ai pris cette décision et que ça s’est propagé dans le football féminin, j’ai reçu beaucoup de messages de filles qui me disaient qu’elles avaient aussi parfois envie d’arrêter, mais qu’elles n’avaient pas forcément le courage, car elles n’ont que le football. C’est dur de savoir ce qu’on ferait sans le football. Quand j’ai pu faire une petite interview sur Canal +, j’ai reçu ensuite des centaines de messages en me disant que j’avais beaucoup de courage et surtout que je n’étais pas la seule. Je me suis rendu compte à quel point on était nombreuses !

Ça t’a fait du bien ?

Oui, ça m’a fait du bien de voir que je n’étais pas la seule. Être un possible exemple, c’est aussi une bonne chose. J’espère que ça en aidera plus d’une pour le futur. Il ne faut pas avoir honte.

Quelle a été ta vie pendant un an et demi loin du football ?

Au début, j’ai mis le football de côté, complètement. Je ne voulais plus y penser, plus le regarder à la télévision. Pour autant, je suis restée dans le sport. Pendant deux-trois mois, j’ai profité de ma famille, de mes proches, et je me suis mise à mon compte en tant que coach sportive ! Quand tu as travaillé toute ta vie, tu as parfois peur de ne rien faire. C’est ce qui m’est un peu arrivé. J’avais mon diplôme de coach sportive et je me suis mise à mon compte. Finalement, je gagnais mieux ma vie à ce moment-là qu’avec le football avant !

C’est dingue !

Oui, quand je dis que je ressens un sentiment d’injustice, c’est aussi par rapport à ça. Quand tu es footballeuse, tu fais autant de sacrifices que les mecs, si ce n'est plus, car eux peuvent ramener leur famille et assumer financièrement. Ça n’est pas le cas pour la plupart des filles. On fait encore plus de sacrifices. Finalement, tu ne gagnes rien ou très peu selon le club où tu es. Je ne pense pas qu’on mérite cela.

C’est aussi une façon pour toi de préparer ton après-carrière ?

Avoir changé complètement de vie pendant ces mois m’a rassuré sur le fait qu’après le football, quelque chose m’attend. Il y a beaucoup de personnes qui ont du mal à arrêter, car elles ont peur de vivre sans le football.

Tu as eu le courage d'arrêter, mais aussi l'ambition de revenir, avec le FC Nantes. C’est fort…

Au début, quand j’ai arrêté, c’était une fin de carrière dans ma tête. Mais l’amour du football a pris le dessus. Plus les mois passaient, plus ça me manquait. Je voyais mes copines à la télévision. Et le coach du FC Nantes, Nicolas Chabot, m’a appelé pour me présenter son projet. J’ai tout de suite bien senti l’aventure. J’ai passé des années magnifiques à Nantes.

Tout est allé très vite à Nantes…

C’était court et intense. J’arrive en janvier 2024 après un an et demi sans football. J’étais déterminée, je suis bien revenue grâce au staff notamment, car il y a des risques de blessures avec un tel arrêt. Finalement, on monte en D1 quelques mois plus tard. Premier match en D1, premier but, comme avec Montpellier. Je ne marque pas trop, mais je marque dans mes premières ! Puis j’ai été élue meilleure joueuse de D1 au mois d’octobre et j’ai reçu le trophée du plus beau but de l’année !

Tu peux nous le raconter (un lob du milieu de terrain sur une frappe du gauche) ?

C’était face au Havre. Je récupère le ballon au milieu du terrain. En prenant l’information, je vois la gardienne vraiment avancée. Je me suis dit qu’il fallait la tenter.

Tu tentes cela à l’entraînement ?

Oui, ça peut m’arriver, j’ai toujours bien aimé ces gestes-là !

Tu vas être attendue au tournant en Italie !

Oui, ils vont attendre un but de loin encore (rires).

Justement, comment t’es-tu retrouvée à signer pour Parme ?

Parme me voulait depuis un petit moment déjà. J’avais toujours eu cette ambition de changer de championnat un jour. La France, j’avais déjà fait un peu le tour. J’avais ce souhait de découvrir un championnat étranger. Parme m’a appelé pour me présenter le projet. C’était quelque chose de solide. Je me sens déjà  bien ici. J’avais cette envie !

Ça ne fait pas trop peur de quitter la France pour la première fois ?

Forcément, un petit peu, mais c’était surtout de l’excitation positive de vivre une nouvelle expérience, découvrir une nouvelle culture, apprendre une autre langue. Ce sont des choses que j’aime. J’appréhendais un peu ! En plus, le championnat italien se développe très bien et il dispose de grosses équipes.

Est-ce qu’on aura le droit à un but dès le premier match ?

J’espère ! On débute la saison contre la Juventus, ça serait sympa de débuter l’aventure par un but face à un club mythique.

Sur les réseaux sociaux, tu as une énorme communauté avec plus de 100 000 followers sur Instagram. Tu fais partie des joueuses françaises les plus suivies alors que tu n’évolues pas forcément dans un top club. Comment tu gères cela ?

C’est quelque chose qui s’est fait naturellement. Depuis que j’ai signé à l’ASSE, mon nombre de followers a augmenté à une vitesse incroyable. Ça n’est pas forcément quelque chose que je cherche. Après, je ne mets pas ma vie privée sur les réseaux, je préfère rester cachée. Mais comme j’ai pas mal de personnes qui me suivent, je tente d’alimenter avec des photos de terrain. Après, ça n’est pas une prise de tête. Je peux aussi faire quelques partenariats.

C’est une manière d’obtenir des revenus complémentaires…

Oui, j’ai de nombreuses demandes. Après, je ne prends pas tout et n’importe quoi. Même si je ne compte pas forcément m’orienter vers l’influence après ma carrière, ça peut servir. Pour tout dire, ça me soule presque un peu. Je gère ça toute seule. Ça fait un petit boulot en plus, même si je ne me prends pas la tête avec ça.

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